6 déc 2022

De Mikulov à New York, la photographe Marie Tomanová explore le déracinement

Jusqu’au 11 janvier, dans le cadre du parcours PhotoSaintGermain, le Centre tchèque de Paris expose un des derniers projets de la photographe tchèque Marie Tomanová. Rentrée dans sa ferme familiale au sud-est de son pays d’origine, huit ans après avoir émigré aux États-Unis, la trentenaire y capture en 35mm, les traces d’un passé longtemps fantasmé et le sentiment d’étrangeté que chacun peut ressentir après s’être éloigné de sa terre natale.

De la peinture à la photographie, une passion devenue vocation

 

 

Vulnérables et profondément intimes, des clichés de Marie Tomanová dégagent un besoin de rencontrer et raconter l’expérience humaine, dans ce projet comme ses autres clichés réalisés au fil des dix dernières années. Élément salvateur dans nombre de situations vécues par la jeune artiste, entre solitude, timidité, gêne ou encore confusion, son appareil occupe depuis son installation aux États-Unis, puis plus particulièrement à New York en 2012, une place centrale. Diplômée d’une école de peinture à Brno en République tchèque, la jeune femme s’est d’abord sentie peu encouragée à poursuivre sa pratique picturale, notamment à cause d’un professeur qu’elle juge plutôt réactionnaire et misogyne. Dans la photographie, elle trouve alors le médium parfait pour faire jaillir une réalité dont la peinture l’éloigne.

 

Un choc et une rencontre artistique conforteront rapidement l’artiste dans sa vocation. Un jour de printemps, quelques semaines seulement après son arrivée à New York, l’historien de l’art Thomas Beachdel, devenu depuis son mari, l’invite lors d’un premier rendez-vous galant à visiter l’exposition consacrée à Francesca Woodman au musée Solomon R. Guggenheim. Fascinée par le travail de cette photographe américaine érudite à la sensibilité saillante, autoportraitiste du nu et du flou dont le suicide à l’âge 23 ans n’a fait qu’accroitre le mystère régnant autour de son œuvre, Marie Tomanová entame une réflexion sur sa propre pratique artistique et achète dès le lendemain un boîtier numérique sur internet. Elle réalise alors une série d’autoportraits nue dans la nature, moyen pour elle de reconnecter avec ses racines tout en essayant de s’ancrer dans son pays d’accueil. “Voir ma propre image dans le paysage américain, sentir et établir que j’y ai ma place et que je fais pleinement partie de cet environnement était très important à ce moment-là”, explique la trentenaire avant d’ajouter. “C’est là tout le pouvoir que renferment les photographies : celui de vous affirmer une, ou plutôt leur, réalité.”

À la rencontre des autres pour mieux se connaître

 

 

Une fois ce médium apprivoisé, Marie Tomanová s’essaye à la photographie de rue à l’argentique tout en luttant contre sa timidité maladive, qui lui rend la tâche parfois complexe. Alors que la jeune femme se sent en manque d’entourage social dans un New York immensément froid où elle ne dispose encore que de quelques connaissances, son appareil lui permet de pallier cet isolement. C’est ce qui l’incite à tirer le portrait d’une jeunesse new-yorkaise qui lui ressemble. Croisés lors d’événements culturels, de vernissages ou tout simplement dans les rues ou le métro, les visages capturés par Marie Tomanová ont été choisis car ils l’intriguent, dans leur singularité et leur manière de défier les conventions ou encore les codes du genre. Au fur et à mesure qu’elle prend confiance en cette démarche, la photographe s’approche au plus près de ses sujets jusqu’à les immortaliser dans leur habitat naturel, entre petits studio d’étudiants et collocations d’artistes. “Chanteurs, acteurs, poètes ou même drag-queens… Dans les yeux [de ces modèles que j’ai photographiés], on peut lire les ambitions de ces jeunes gens qui, comme moi, sont venus à New York trouver qui ils sont vraiment. Et c’est cette énergie créative, ce dynamisme et ces rencontres qui permettent aux rêves de se réaliser, explique la photographe, avant de s’exclamer : “Car New York a ce pouvoir!”. Au fil des années, Marie Tomanová s’ancre dans la nouvelle scène artistique new-yorkaise, enchaînant les expositions, la publication d’un premier livre, Young American, en 2019 chez Paradigm Publishing puis d’un deuxième, New York New York, chez Hatje Cantz, (Berlin) en 2021, qui rencontrera un grand succès. Invitée à travailler pour des magazines de mode tels que Dazed, GQ, Lapoon ou Vogue, la photographe tient à y amener la même authenticité que dans sa pratique personnelle. Ainsi elle continue à faire ses castings elle-même, arpentant les rues de New York à la recherche des profils singuliers qui ont fait la force de ses images et leur notoriété.

 

À la manière d’un récit de vie raconté à la première personne, les photos de Marie Tomanová pourraient être qualifiées d’autobiographiques. La photographe s’inclut dans nombre de ses prises de vues, posant nue, vêtue de ses anciens habits, ou même en selfie avec son mari… Car le cœur de sa pratique photographique reste son expérience. Ses différentes publications suivent d’ailleurs les chapitres de sa vie et, lorsqu’elle capture les autres, Marie Tomanová  traduit en réalité ce que leurs visages reflètent de sa personnalité et de sa propre histoire. Un projet documentaire exhaustif sur sa vie devrait d’ailleurs voir le jour l’année prochaine, réalisé par la cinéaste tchèque Marie Dvořáková qui la suit de près depuis sa première exposition solo en 2018. En attendant, la photographe s’est envolée de Paris pour Prague puis Anvers pour marquer le lancement de son troisième livre, avant de rentrer à New York continuer d’explorer au format 35 mm les relations sentimentales de ses sujets favoris.

 

 

Marie Tomanová & Nina Medioni, “La distance qui nous lie”, jusqu’au 11 janvier 2023 au Centre tchèque de Paris, Paris 6e.
Marie Tomanová, It Was Once My Universe (2022), troisième ouvrage publié aux éditions Super Labo.

Une exposition au Centre tchèque de Paris et un troisième livre

 

 

Sur fond de ciel bleu, les clichés de la photographe tchèque Marie Tomanová gravitent comme une petite constellation dans l’enceinte du Centre tchèque de Paris. Dans la neige, des chevaux blancs aux yeux rouges fixent l’objectif, plus loin des photos de famille sont étalées sur un carrelage écorché, deux longues mèches de cheveux se cachent dans le tiroir d’une étagère en bois alors que des schnitzels maculent une nappe couleur blanc argent… À 38 ans, l’artiste capture sur pellicule 35 mm des détails et des scènes d’apparence ordinaires, qui à travers son appareil se nimbent d’une grande douceur et intimité. Mais ses clichés traduisent également la mise à nu, aussi crue que sensible, d’une vie rurale en Europe de l’Est, dont elle se sent aujourd’hui de plus en plus éloignée… jusqu’à s’y percevoir comme une étrangère. Ainsi, le sentiment d’appartenance et du “chez soi”, l’idéalisation de ses origines, le retour à un décor figé dans le passé ou encore l’exploration de sa psyché à travers le visage d’autrui font partie des grands thèmes qui traversent le travail de Marie Tomanová, particulièrement mis en avant dans l’exposition en duo avec Nina Medioni que lui consacre jusqu’au 11 janvier le Centre tchèque de Paris dans le cadre du parcours PhotoSaintGermain, invitant depuis un mois à sillonner le quartier de la rive gauche parisienne au gré d’expositions de photographie. Comme un écho aux photographies déployées sur les murs de l’espace d’exposition, la trentenaire publiait en octobre aux éditions Super Labo son troisième ouvrage, centré sur son projet It Was Once My Universe entamé en 2018. Cette année-là, après avoir passé huit ans aux États-Unis sans papiers et dans l’impossibilité de quitter le territoire, la photographe est revenue dans la ferme familiale de la petite ville de Mikulov où elle a grandi pour y documenter les traces d’un passé qu’elle avait depuis fantasmé.

Entre New York et Mikulov, le récit d’un déracinement

 

 

À 25 ans, Marie Tomanová quitte en effet son pays d’origine, la République tchèque, avec la fervente volonté s’accomplir en tant qu’artiste. Sa destination ? Les États-Unis, que la jeune femme choisit – comme de nombreux homologues avant elle – afin de poursuivre la quête du fameux “rêve américain”. Dans un premier temps, elle pose ses valises au Texas, qu’elle quitte très vite pour New York, où elle est engagée comme fille au pair. Alors qu’elle laisse peu à peu ses origines derrière elle en s’adaptant à ce nouvel environnement et ses valeurs, elle en vient à repenser avec nostalgie au confort et à la chaleur de Mikulov, sa ville natale située dans le sud-est de la République tchèque. Mais il y a quatre ans, lorsqu’elle y retourne enfin après ces huit années passées outre-Atlantique, tous ces fantasmes s’effondrent : la jeune femme se voit confrontée à la vie inchangée du lieu, qui fait naître chez elle un sentiment accablant d’étrangeté. Lors de ce retour aux sources, retrouver sa chambre d’adolescente la déroutera particulièrement, l’amenant à prendre conscience de sa propre transformation. Pour témoigner cette expérience déconcertante et donner sens à ce passé qui la laisse sans voix, elle s’empare alors de son outil fétiche : l’appareil photo.

 

Réunissant deux sélections des photographies réalisées par Marie Tomanová entre décembre 2018 et janvier 2019 à Mikulov – l’une par sa propre mère, l’autre par ses soins –, le projet It Was Once My Universe déployé sur les murs du Centre tchèque de Paris revient sur ce sentiment perturbant que nombre d’expatriés traversent lors du retour dans un foyer jadis rassurant, dont ils se sentent désormais complètement détachés. “De la même manière que je ne me suis pas sentie chez moi à New York quand j’y ai emménagé, j’étais redevenue une étrangère dans ma propre maison, confie la photographe à Numéro. Tout y était exactement pareil, mais je réalisais à quel point c’était moi qui étais devenue différente.”

De la peinture à la photographie, une passion devenue vocation

 

 

Vulnérables et profondément intimes, des clichés de Marie Tomanová dégagent un besoin de rencontrer et raconter l’expérience humaine, dans ce projet comme ses autres clichés réalisés au fil des dix dernières années. Élément salvateur dans nombre de situations vécues par la jeune artiste, entre solitude, timidité, gêne ou encore confusion, son appareil occupe depuis son installation aux États-Unis, puis plus particulièrement à New York en 2012, une place centrale. Diplômée d’une école de peinture à Brno en République tchèque, la jeune femme s’est d’abord sentie peu encouragée à poursuivre sa pratique picturale, notamment à cause d’un professeur qu’elle juge plutôt réactionnaire et misogyne. Dans la photographie, elle trouve alors le médium parfait pour faire jaillir une réalité dont la peinture l’éloigne.

 

Un choc et une rencontre artistique conforteront rapidement l’artiste dans sa vocation. Un jour de printemps, quelques semaines seulement après son arrivée à New York, l’historien de l’art Thomas Beachdel, devenu depuis son mari, l’invite lors d’un premier rendez-vous galant à visiter l’exposition consacrée à Francesca Woodman au musée Solomon R. Guggenheim. Fascinée par le travail de cette photographe américaine érudite à la sensibilité saillante, autoportraitiste du nu et du flou dont le suicide à l’âge 23 ans n’a fait qu’accroitre le mystère régnant autour de son œuvre, Marie Tomanová entame une réflexion sur sa propre pratique artistique et achète dès le lendemain un boîtier numérique sur internet. Elle réalise alors une série d’autoportraits nue dans la nature, moyen pour elle de reconnecter avec ses racines tout en essayant de s’ancrer dans son pays d’accueil. “Voir ma propre image dans le paysage américain, sentir et établir que j’y ai ma place et que je fais pleinement partie de cet environnement était très important à ce moment-là”, explique la trentenaire avant d’ajouter. “C’est là tout le pouvoir que renferment les photographies : celui de vous affirmer une, ou plutôt leur, réalité.”