De Dakar à Paris, le 19M déroule le fil d’une passionnante exposition entre art contemporain et tissage
À Dakar et à Paris, la maison Chanel célèbre avec une passionnante exposition le dialogue entre art contemporain et métiers de la broderie et du tissage.
Par Thibaut Wychowanok.
La Galerie du 19M a judicieusement invité quelques artistes français et maisons parisiennes de métiers d’art à collaborer avec des institutions dakaroises. Le peintre Julian Farade a ainsi pu déployer son chaos de formes et de couleurs, entre figuration libre et expressionnisme abstrait, sur de multiples et larges pans de coton malikane, ce tissu traditionnel couleur ivoire. Une quinzaine de brodeuses du village de Ngaye Mékhé, ainsi que la créatrice Khadija Ba et sa brodeuse Adji Fall Wade, ont par la suite travaillé à adjoindre leur propre création géométrique à l’œuvre instinctive de l’artiste. Enfin, Atelier Montex, la célèbre maison de broderie résidente du 19M à Paris, a imaginé une installation immersive réalisée avec l’espace culturel Kër Thiossane de Dakar. Ces 360 pièces ont été découpées au laser dans du denim recyclé trouvé dans les friperies dakaroises. Car l’art textile est aussi un art de l’engagement, et l’exposition tout entière semble vouloir embrasser avec passion les grands enjeux sociétaux et de développement durable tout en appelant, bien sûr, à la juste valorisation et préservation des savoir-faire.
Sur le fil : de Dakar à Paris, à la Galerie du 19M, Paris. Du 17 mai au 30 juillet.
Le 19M, espace de la maison Chanel consacré à la valorisation des Métiers d’art, réunissait en janvier dernier à Dakar 28 artistes ou créateurs, dont 19 sénégalais. Intitulée Sur le fil, l’exposition présentée au sein du musée Théodore-Monod d’art africain navigue entre couleur indigo (répandue au Sénégal), pagne tissé manjaque et tapisserie. Cette passionnante exploration voyage jusqu’en France ce printemps pour s’installer à la Galerie du 19M à Paris. Capitale culturelle incontestable du continent africain, Dakar connaît une vitalité artistique qui n’a pas échappé à Chanel. Lorsque la maison décide d’y dévoiler son défilé Métiers d’art le 6 décembre dernier – une première en Afrique subsaharienne –, elle s’associe logiquement, pour concevoir son programme de vidéos et de performances, à l’École des Sables (centre de formation et de création en danses africaines) et à l’école de cinéma Kourtrajmé de la ville. Dakar est en effervescence et les galeries d’art ne désemplissent pas. Cécile Fakhoury présente ainsi de récentes œuvres d’Ouattara Watts, star de la peinture née à Abidjan qui, après avoir été repérée par Jean-Michel Basquiat, s’est installée à New York. Selebe Yoon, de son côté, offre son espace exceptionnel (un bâtiment moderniste qui fut une galerie commerciale) à Mbaye Diop pour explorer l’urbanisme et l’architecture locale.
La Galerie Atiss Dakar célèbre quant à elle l’art textile à travers une belle sélection d’artistes africains. Sa fondatrice, Aïssa Dione, est justement l’une des invitées de l’exposition organisée un mois plus tard par la Galerie du 19M de Chanel à Dakar afin de poursuivre son aventure sénégalaise. Cette artiste et styliste était citée en 2015 parmi les 20 femmes les plus influentes d’Afrique par le magazine Forbes Africa. Dès 1992, elle fondait sa société de tissus et se faisait remarquer en modernisant le pagne tissé traditionnel en voie de disparition. Un savoir-faire qui était jusqu’ici gardé par les familles de tisserands de Casamance (région du sud du pays). Sur le fil met ainsi en avant quelques grandes figures sénégalaises, à l’instar du peintre Souleymane Keïta (1947-2014). L’artiste fait partie de la première promotion de l’École nationale des beaux-arts de Dakar. Après avoir séjourné à New York, il se fixe à Dakar où son œuvre mystérieuse s’inspirera autant de la nature de l’île de Gorée (située en face de la ville) que du Mali de ses ancêtres et de l’univers mystique du peuple dogon. Dans son tableau issu de la série Chemises du chasseur (2011), tissu, daim, cuir et fils s’entremêlent sur la toile, comme pour la libérer du cadre et de son caractère bidimensionnel.
Avec Alassane Koné, jeune artiste de Bamako, le travail du fil se déploie également sur la toile. Avec son point de broderie totalement libre, l’artiste représente de façon saisissante et réaliste figures humaines et scènes de la vie quotidienne. Ses couleurs sont feutrées, le végétal pointe sur l’humain, et une douceur protectrice émane de l’ensemble dessiné, pour l’exposition, sur un tissu similaire au denim dont les fils sont colorés par l’artiste. Aujourd’hui représenté par l’agence TRAMES à Dakar, le plasticien découvre l’art par hasard à l’occasion d’une exposition photographique dans les rues du quartier de Kalaban Coro (au Mali), où il a grandi. Il a commencé par se former à toutes les pratiques, avant de réaliser ses premières sculptures à partir d’objets en métal récupérés dans la rue. Puis le coton s’est substitué au métal, et le fil est devenu sa véritable obsession.
Cheikha Sigil est quant à lui l’héritier de l’Espace Médina, en plein cœur d’un quartier populaire de Dakar, où son oncle Moussa Traoré a fondé en 1996 un équivalent de l’Hôtel Chelsea ou de la Factory d’Andy Warhol. Pour l’exposition, l’artiste, qui est aussi styliste, donne forme à des créatures surnaturelles ébouriffées réalisées à partir de fils de broderie traditionnellement utilisés pour orner des bambous. Ils évoquent le kankourang casamançais, personnage mythique recouvert de fibres d’écorce d’arbre, qui effraie la population. Ici, ce vêtement-sculpture est pensé par l’artiste comme un objet sacré et protecteur capable d’offrir vitalité et courage. La préservation des savoir-faire et des traditions prend une tout autre forme chez Manel Ndoye. L’artiste né en 1986 est fasciné par les communautés de pêcheurs et dénonce depuis longtemps la surexploitation des mers. Sur son œuvre, réalisée en bandes de tissus, deux personnages féminins puissants se préparent à la danse ndawrabine, inventée par les femmes pour rendre hommage au travail en mer de leurs maris et de leurs fils. Mais la pièce semble définitivement célébrer l’aura de ces femmes, qui se transmettent la danse de mère en fille et qui vendent le poisson sur le quai de pêche. Les bandes textiles composant l’œuvre empruntent leur bleu (celui de la mer, bien sûr) à des chutes de tissus indigo auxquelles se lient des chutes de bazin, étoffe africaine teintée artisanalement.
Avec Alassane Koné, jeune artiste de Bamako, le travail du fil se déploie également sur la toile. Avec son point de broderie totalement libre, l’artiste représente de façon saisissante et réaliste figures humaines et scènes de la vie quotidienne. Ses couleurs sont feutrées, le végétal pointe sur l’humain, et une douceur protectrice émane de l’ensemble dessiné, pour l’exposition, sur un tissu similaire au denim dont les fils sont colorés par l’artiste. Aujourd’hui représenté par l’agence TRAMES à Dakar, le plasticien découvre l’art par hasard à l’occasion d’une exposition photographique dans les rues du quartier de Kalaban Coro (au Mali), où il a grandi. Il a commencé par se former à toutes les pratiques, avant de réaliser ses premières sculptures à partir d’objets en métal récupérés dans la rue. Puis le coton s’est substitué au métal, et le fil est devenu sa véritable obsession. Cheikha Sigil est quant à lui l’héritier de l’Espace Médina, en plein cœur d’un quartier populaire de Dakar, où son oncle Moussa Traoré a fondé en 1996 un équivalent de l’Hôtel Chelsea ou de la Factory d’Andy Warhol.
Pour l’exposition, l’artiste, qui est aussi styliste, donne forme à des créatures surnaturelles ébouriffées réalisées à partir de fils de broderie tradition- nellement utilisés pour orner des bambous. Ils évoquent le kankourang casaman- çais, personnage mythique recouvert de fibres d’écorce d’arbre, qui effraie la popu- lation. Ici, ce vêtement-sculpture est pensé par l’artiste comme un objet sacré et protecteur capable d’offrir vitalité et courage. La préservation des savoir-faire et des traditions prend une tout autre forme chez Manel Ndoye. L’artiste né en 1986 est fasciné par les communautés de pêcheurs et dénonce depuis longtemps la surexploitation des mers. Sur son œuvre, réalisée en bandes de tissus, deux personnages féminins puissants se préparent à la danse ndawrabine, inventée par les femmes pour rendre hommage au travail en mer de leurs maris et de leurs fils. Mais la pièce semble définitivement célébrer l’aura de ces femmes, qui se transmettent la danse de mère en fille et qui vendent le poisson sur le quai de pêche. Les bandes textiles composant l’œuvre empruntent leur bleu (celui de la mer, bien sûr) à des chutes de tissus indigo auxquelles se lient des chutes de bazin, étoffe africaine teintée artisanalement.
La Galerie du 19M a judicieusement invité quelques artistes français et maisons parisiennes de métiers d’art à collaborer avec des institutions dakaroises. Le peintre Julian Farade a ainsi pu déployer son chaos de formes et de couleurs, entre figuration libre et expressionnisme abstrait, sur de multiples et larges pans de coton malikane, ce tissu traditionnel couleur ivoire. Une quinzaine de brodeuses du village de Ngaye Mékhé, ainsi que la créatrice Khadija Ba et sa brodeuse Adji Fall Wade, ont par la suite travaillé à adjoindre leur propre création géométrique à l’œuvre instinctive de l’artiste. Enfin, Atelier Montex, la célèbre maison de bro- derie résidente du 19M à Paris, a imaginé une installation immersive réalisée avec l’espace culturel Kër Thiossane de Dakar. Ces 360 pièces ont été découpées au laser dans du denim recyclé trouvé dans les friperies dakaroises. Car l’art textile est aussi un art de l’engagement, et l’exposition tout entière semble vouloir embrasser avec passion les grands enjeux sociétaux et de développement durable tout en appelant, bien sûr, à la juste valorisation et préservation des savoir-faire.