30 avr 2021

De Billie Eilish à Joe Biden : 3 questions à Kelia Anne McCluskey, la photographe du rêve américain

En créant des images nostalgiques et faussement artificielles, Kelia Anne McCluskey condense l’expérience intemporelle du rêve américain. Son talent lui a valu de photographier les plus grandes stars américaines du moment, de Lil Nas X à Amanda Gorman en passant par le président des États-Unis, Joe Biden. Alors qu’elle signe la cover de Happier Than Ever, le tout dernier album de Billie Eilish, Numéro revient sur le parcours de la plus américaine des photographes.

Alors qu’elle porte le même nom qu’un personnage de la série télévisée Desperate Housewives, la photographe Kelia McCluskey se plaît à construire un monde aussi artificiel que la douceur cinglante des allées aseptisées de Wisteria Lane. Un ciel bleu californien, des rouges profonds, des femmes en train de jardiner en talons aiguilles… Si la photographe semble s’inspirer de l’esthétique puritaine du show télévisé pour créer ses images – entre brushings, ongles manucurés et résidences pavillonnaires –, son parcours, lui aussi, embrasse la légende du rêve américain. Entre les rares commandes et ses devoirs d’université, Keila Anne McClusky, née en 1994 à Denver (Colorado), peine à devenir autonome financièrement. Jusqu’au jour où, à l’aide de ses maigres économies, elle décide de quitter le foyer familial pour s’envoler à Los Angeles. Il lui faudra ensuite plus d’un an pour faire sa place dans la ville d’Hollywood, dont l’ambiance exalte son imagination : Bong Joon-Ho, Billie Eilish, Lil Nas X, Kerry Washington passeront tour à tour devant l’objectif de la jeune photographe, qui met toujours un point d’honneur à mettre en scène chacun de ses modèles de la même manière. En brouillant les repères temporels – la photographe se plaisant à mélanger les esthétiques de plusieurs décennies –, elle capture la personnalité à l’aide d’un travail de la lumière artificiel, digne des studios hollywoodiens, qu’elle détourne au profit d’une mise en scène décontractée.

 

 

Comme un conte de fée à l’américaine, son talent l’emmène jusqu’au sommet de l’État. En 2019, le TIME Magazine lui propose de signer sa une avec Joe Biden, alors candidat démocrate à la présidence des États-Unis. Terrifiée, elle confie au magazine District qu’elle n’a eu que quelques minutes pour prendre les clichés de l’homme d’état. “Je voulais qu’on ressente que j’ai passé un moment avec lui, mais c’est allé très vite, explique-t-elle. Je n’ai jamais été sous une telle pression de toute ma vie.” Mais au contraire, lorsqu’elle photographie Amanda Gorman pour le New York Times, Kelia Anne McCluskey garde un souvenir tendre de sa rencontre avec la poétesse, avec laquelle elle a arpenté les rues ensoleillées de Los Angeles. Durant plusieurs heures, les deux femmes échangent longuement, et la photographe saisit la douce noblesse de l’artiste de vingt-deux ans, dont le verbe a ému l’Amérique toute entière le 20 janvier dernier.


 
NUMÉRO : Pourquoi avez-vous quitté Denver pour Los Angeles ? Est-ce l’esthétique qui vous a inspiré, ou les opportunités qui s’y trouvaient ? 
KELIA ANNE MCCLUSKEY : L’une des premières fois que j’ai visité Los Angeles, j’ai su que c’était mon endroit avant même que mon avion ne se pose. Il y a quelque chose dans l’énergie colorée et vibrante que L.A. contient, chez les humains et dans les environnements. Je suis très fortement attirée par les photographies de visages reconnaissables : acteurs, musiciens, activistes… et L.A. s’avère être une ville idéale pour réaliser ça. 

 

Vous avez photographié les plus grandes stars de votre pays, dont Joe Biden qui est maintenant président. Comment cela s’est-il passé ?
Quand j’ai commencé à faire des images, je rêvais de photographier pour Vogue, je n’aurais jamais imaginé faire des photos du Président ! C’est un sentiment merveilleux de contribuer par mon art à un moment de l’histoire, comme une documentation de nos circonstances actuelles. De même, mon portrait d’Amanda Gorman a été largement diffusé avant et après son poème d’investiture. J’espère que les images de ces êtres humains emblématiques et puissants pourront véhiculer un sentiment d’espoir et de positivité intemporels.

 

Votre dernier travail avec la couverture de l’album Happier Than Ever de Billie Eilish est solaire, pur, et semble assez éloigné de son esthétique sombre habituelle. Qu’avez-vous voulu partager à travers ces images ?
Travailler avec Billie a été un cadeau vraiment enrichissant. C’est une femme géniale qui sait exactement ce qu’elle veut. Tout au long de la conception et de la réalisation du shooting, nous semblions être sur la même longueur d’onde. Nous sommes toutes deux de jeunes femmes qui naviguent dans le même monde. Nous grandissons et apprenons constamment à nous connaître, et le passage du « sombre » au « doux » n’est qu’un effet secondaire naturel. Je pense que cette connexion et cette expérience ont rendu la maquette authentique et forte, et qu’elle soutient le concept de son album. C’était un honneur.