Confidences of Marc Newson: star designer
Numéro a rencontré le designer alors que l’une de ses œuvres a récemment franchi chez Artcurial le seuil du million d’euros. Superstar du design, Marc Newson séduit les marques de tous horizons, du luxe à Apple, en passant par l’aéronautique.
Par Olivier Reneau.
Portrait : Ben Broomfield.
D’origine australienne, le designer Marc Newson a marqué la scène internationale à la fin des années 80 avec un design aux lignes très fluides, souvent connecté à la culture du surf et de la glisse. Curieux de tout, il considère que son métier est d’apporter des solutions à un problème donné et ne s’interdit a priori aucun domaine d’intervention, des objets du quotidien au mobilier d’exception, en passant par des aménagements d’intérieur – d’avion notamment – mais aussi des montres, des vêtements… ou encore la relecture d’une marque iconique, à l’image des célèbres hors-bord Riva. Au fil du temps, Marc Newson s’est ainsi imposé comme une figure hors norme, tout-terrain, un “superdesigner” surfant avec aisance sur tous les domaines de la culture contemporaine. En octobre dernier, l’une de ses premières œuvres, un Pod of Drawers, digression stylistique en plaques d’aluminium rivetées imaginée à partir d’un chiffonnier d’André Groult (années 1920), a été vendu aux enchères chez Artcurial pour un prix inédit de plus d’un million d’euros. Pour Numéro, le phénomène australien, aujourd’hui basé à Londres, évoque son approche du design et sa capacité à s’immerger dans des projets très diversifiés aboutissant à chaque fois à la création d’un objet d’exception… comme s’il avait le don de transformer en or tout ce qu’il touche.
NUMÉRO : À Paris, au mois d’octobre, votre chiffonnier Pod of Drawers s’est vendu aux enchères pour plus d’un million d’euros. Une somme qui confirme que votre travail domine aujourd’hui les ventes de design. Comment percevez-vous cet engouement pour les créations de vos débuts ?
MARC NEWSON : Je serais bien mal placé pour vous dire ce qui fait la différence entre mon travail et celui des autres ! Quant aux raisons qui expliquent des prix si élevés, eh bien, disons que, dans le monde de l’art, les gens sont prêts à dépenser sans compter. Il faut d’ailleurs se souvenir qu’il y a une cinquantaine d’années, les arts décoratifs et les beaux-arts étaient considérés comme très semblables. Le grand schisme n’est intervenu que récemment. Mais, sur le marché de l’art, il y a aussi des niveaux de spéculation ahurissants – autant acheter des actions en Bourse ! Je suis très heureux que mon travail soit apprécié, en particulier parce que, dans leur grande majorité, mes éditions limitées ont souvent été des expérimentations techniques qui avaient besoin d’un support pour exister. Pour moi, elles restent des exercices de création essentiels dans la mesure où – contrairement à mes commandes industrielles – je travaille sans “brief”, je suis donc libre de fixer mes propres paramètres. Mais, étonnamment, des œuvres comme ce Pod of Drawers développent ensuite une vie autonome.
Justement, vous n’avez jamais cessé de créer des pièces en édition limitée pour des galeries, alors que la plupart des designers ont bâti leur réputation en concevant du mobilier destiné à être produit à grande échelle. Vos incursions dans le monde industriel concernent surtout des objets utilitaires et quotidiens : un stylo, des bagages, des lunettes de soleil, un grille-pain… Quelles sont vos motivations dans le choix d’un projet ?
Les éditions limitées me permettent de créer sans subir les contraintes définies par un client, cependant, je trouve que les commandes adressées à un marché de grande consommation sont très stimulantes. Les contraintes imposées posent un défi passionnant à relever. Mon objectif final est toujours le même : exprimer l’ordre et, plus important encore, la simplicité, en utilisant des matériaux, des procédés et une technologie qui soient innovants. Une bonne part de ma motivation vient des recherches que je mène pour chaque nouveau projet – parfois dans un secteur complètement inédit pour moi. J’aime apprendre, découvrir des procédés ou des matériaux qui entrent dans divers processus de fabrication. Mon travail sur les pièces uniques et les éditions limitées est une sorte de laboratoire expérimental, où je dispose des financements suffisants pour explorer à ma guise les possibilités des matériaux ou des techniques qui m’intéressent. Les découvertes que je que fais alimentent ensuite mes projets industriels.
“Il est toujours exaltant de franchir certaines limites. À mes yeux, un designer industriel doit être capable de cela.”
Pendant dix ans, vous avez conçu des collections de vêtements pour G-Star Raw. Placez-vous la mode dans une catégorie à part, du fait de son caractère éphémère ?
La mode, la musique et le cinéma font partie des champs créatifs auxquels je souhaite rester ouvert. Cette ouverture est une source d’inspiration essentielle pour mon travail. J’aime savoir ce qui se passe autour de moi, notamment en architecture. Quant à la mode, c’est simple : je porte des vêtements, j’ai donc envie de pouvoir concevoir ce que je porte. Mais, pour autant, cela ne fait pas de moi un créateur de mode. Je ne revendique absolument pas ce titre. À travers les vêtements, je tente seulement une expérimentation dans un autre domaine créatif, comme j’ai pu le faire avec des voitures ou des montres… Il est toujours exaltant de franchir certaines limites. À mes yeux, un designer industriel doit être capable de cela. On me demande souvent comment une même personne peut concevoir une montre, un avion, une paire de chaussures… Pour moi, il s’agit d’une simple question de logique et de langage, appliquée à des objets qui, d’un point de vue technique, ne sont guère différents. Le défi est plus ou moins le même. Si vous revendiquez le statut de designer, vous avez l’obligation de rester attentif à la culture populaire, de prendre le pouls de la société. Faute de quoi vous n’avez ni légitimité ni pertinence. J’ai énormément apprécié de travailler avec G-Star Raw. La collaboration s’est opérée de façon très naturelle. Dans le secteur de la mode, le processus qui mène de la création à la fabrication est très rapide, alors que dans le monde du design industriel, il faut parfois un an, voire davantage, pour que les pièces que l’on a conçues soient terminées.
Vous semblez adorer tout ce qui vole : les jets privés, l’A380 ou même les navettes spatiales. Comment cette passion est-elle née ?
Longtemps avant de savoir ce qu’ils représentaient du point de vue des matériaux ou de la technologie j’ai aimé la rapidité, l’aérodynamisme et la beauté intrinsèque des avions. Pour moi, le voyage aérien représentait le meilleur moyen, pour un individu ordinaire, de vivre une expérience extraordinaire, “en dehors du monde”. Mon rêve était de pouvoir un jour sauter dans mon propre avion privé pour un aller-retour express ! En Australie, où j’ai grandi, certains de mes amis ont piloté un avion avant même de savoir conduire une voiture, par exemple dans l’Outback, pour se rendre d’un élevage de moutons à l’autre. Le planeur était également un sport très en vogue. Du coup, aucune de ces idées ne me semblait totalement fantaisiste.
Considérez-vous que votre travail de designer soit parfois davantage un travail de directeur artistique ?
Je suis – purement et simplement – designer. Cela correspond à ce que je fais : je résous des problèmes.
Vous avez conçu l’Apple Watch. Quel est aujourd’hui votre rôle au sein de l’entreprise Apple ?
Chez Apple, j’ai le titre de “designer pour les projets spéciaux”.
Comment abordez-vous votre travail avec des marques de luxe telles que Riva, Beretta, Jaeger-LeCoultre ou Louis Vuitton ? Leur héritage a-t-il une influence sur votre approche ?
Du point de vue du design, je ne vois pas de différence fondamentale entre une voiture, une montre-bracelet, un ouvre-bouteille et un bateau… À vrai dire, si une voiture présente davantage de complexité, un ouvre-bouteille peut se révéler plus technique parce qu’on développe actuellement de nouveaux types de plastiques et de polymères qui offrent des possibilités radicales. Mais quand je travaille avec une marque qui revêt une dimension iconique, je ne perds jamais de vue qu’il faut respecter l’ADN qui la caractérise. Mon travail consiste à mélanger son ADN avec le mien, en espérant que le résultat sera aussi exceptionnellement beau qu’innovant.
“Si vous revendiquez le statut de designer, vous avez l’obligation de rester attentif à la culture populaire, de prendre le pouls de la société.”
Vous avez conçu avec Swarovski le trophée des British Fashion Awards 2016. Était-ce votre première collaboration avec cette maison et votre première confrontation avec le cristal ?
Même si nous n’avions jusqu’ici jamais travaillé ensemble sur un projet commercial, je connais Nadja Swarovski depuis des années. J’avais là une fantastique opportunité de travailler sur le cristal, qui est un matériau fascinant.
Qu’est-ce qui différencie la conception d’un objet qui n’a pas de fonction – comme un trophée – et celle d’un verre, par exemple ?
Ah, mais ce trophée a au contraire plusieurs fonctions : il doit être spectaculaire, évoquer le dynamisme, la solidité. Dans ce cas particulier, il devait aussi pouvoir être divisé, de façon simple et efficace, en plusieurs trophées individuels. Au bout du compte, il s’agit avant tout de design, et c’est ça, mon métier. Chaque projet présente un ensemble spécifique de problèmes de design à résoudre.
Qu’est-ce qui fait que vous acceptez un projet en particulier, même s’il ne s’agit que d’une simple bouteille à condiments ?
Cela varie. Je peux accepter parce qu’il s’agit d’une société que j’admire et avec laquelle je suis ravi de collaborer, ou bien parce que le design actuel de l’objet est scandaleusement mauvais et que je meurs d’envie d’apporter une très belle solution à la place.
Y a-t-il un objet sur lequel vous n’avez jamais travaillé et que vous adoreriez dessiner ?
La liste est longue : un train, un réfrigérateur, une piscine… Mais ce que j’aimerais concevoir par-dessus tout, c’est une station spatiale.
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