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1 mai 2025

Que nous racontent les toiles énigmatiques de l’artiste Louisa Gagliardi ?

Jusqu’au 20 juillet 2025, Louisa Gagliardi présente sa première grande exposition personnelle au MASI de Lugano. Au programme, des sculptures et des toiles figuratives monumentales, conçues par ordinateur et teintées de surréalisme, sur lesquelles apparaissent souvent des personnages mélancoliques.

  • Propos recueillis par Nicolas Trembley.

  • Louisa Gagliardi, nouveau talent de la peinture

    Elle a un peu plus de 30 ans et une formation en design graphique. Pour refléter le monde qui l’entoure, Louisa Gagliardi utilise des processus technologiques et crée des peintures conçues sur son ordinateur, qui est son atelier. Ces dernières sont imprimées et parfois rehaussées au vernis à ongles ou au gel. Des personnages qui semblent solitaires évoluent dans des environnements aseptisés au rendu métallique ou irisé, et, de temps à autre, côtoient des groupes d’animaux. La nature semble reprendre ses droits.

    Une grande exposition en Suisse, au MASI de Lugano

    Pour sa première grande exposition personnelle en Suisse, d’où elle est originaire et où elle réside, l’artiste a réalisé des peintures monumentales mais aussi des sculptures. On y retrouvera son univers particulier, où se croisent des références au surréalisme, à la métaphysique et au réalisme magique, dans lequel elle instille des renvois aux mythes populaires et parfois à l’histoire de l’art. Ces peintures, qui dialoguent avec la photographie, questionnent notre identité, les transformations sociales et la relation entre l’individu et son environnement. Nous l’avons rencontrée à Lugano pendant la préparation de son exposition.

    L’interview de l’artiste Louisa Gagliardi

    Numéro : Quel a été votre parcours ?
    Louisa Gagliardi
    : Je suis née à Sion, en Suisse. Ma famille m’a introduite à l’art et à la culture dès mon plus jeune âge. Ma mère et ma marraine particulièrement. Nous allions dans les musées, au cinéma, nous lisions Vogue ensemble au petit déjeuner. Ma chambre était toujours en désordre, chaos que je justifiais déjà en disant que j’étais en plein “projet”. J’ai eu beaucoup de chance d’être élevée dans un environnement très encourageant. Je suis partie étudier le design graphique à l’ÉCAL, où j’ai obtenu un bachelor en design graphique.

    Quand votre vocation artistique s’est-elle forgée ?
    J’ai un souvenir très vif de la première fois où ma marraine, qui était professeure d’histoire de l’art, m’a emmenée au Louvre. Elle avait choisi quelques peintures et m’a expliqué leur histoire et leur symbolique, cela m’a passionnée. Il était clair assez tôt que je voulais faire quelque chose de créatif. Je suis passée par plusieurs périodes : mode, photo, design, peinture… Mais peut-être que, venant du Valais, où règne un esprit assez pragmatique, je me disais qu’il fallait que j’apprenne un “vrai” métier. Je n’ai jamais trop osé convoiter une carrière d’artiste, jusqu’au moment où j’ai commencé à exercer ledit métier, c’est-à-dire designer graphique. À ce moment-là, j’ai compris que ce n’était pas pour moi, que j’allais être malheureuse. Il a donc fallu que je prenne un risque, et je suis devenue artiste.

    Dans mes tableaux, j’aime jouer avec le trompe-l’œil, et les sculptures me permettent de pousser le vice encore plus loin.” – Louisa Gagliardi.

    Dans vos tableaux se mélangent divers univers, des environnements technologiques et aseptisés, mais aussi de nombreuses références à la nature, aux paysages et aux animaux. Comment s’articulent-ils ?
    Les peintures avec des figures humaines existent dans ces univers aseptisés, sans issue, déconnectés. Les animaux sont souvent présents, en plus grand nombre, indiquant que la nature a repris le pouvoir. Avec la technologie, et depuis la pandémie de Covid-19, notre connexion avec le monde est de plus en plus distante. On vit dans une bulle, nos interactions sont filtrées par des algorithmes. On a peur de se montrer sans filtre, peur des microbes, des gens… Pour moi, les peintures avec les animaux sont autant utopiques que dystopiques. Les humains ont eu leur chance, et ils ont tout faux… Place à la nature avant que le monde ait totalement brûlé…

    Vous produisez également des sculptures. Pourquoi avez-vous décidé d’aborder ce médium ?
    Les sculptures sont une extension des peintures. Elles sont souvent réalisées avec la même technique, sauf qu’on passe en trois dimensions. Dans mes tableaux, j’aime jouer avec le trompe-l’œil, et les sculptures me permettent de pousser le vice encore plus loin. Business and Pleasure, par exemple, représente un lit de repos posé sur un socle en Plexiglas, lui-même placé au-dessus d’un miroir qui reflète le dessous du sofa.

    J’aime également jouer avec la notion de “uninvited guest”. Dans mes peintures les personnages ont souvent un air de dédain, genre : “Je vois que t’es là, la porte est ouverte, mais reste à distance.” Idem avec cette sculpture, le socle signale “œuvre d’art”, mais le sofa invite à ce qu’on s’y asseye. Le spectateur est plongé dans la confusion.

    Des environnements technologiques et aseptisés

    Les personnages qui habitent vos travaux vous ressemblent, peut-on parler d’autoportraits ?
    Les personnages sont tout le monde et personne. Je les vois comme des avatars ou des vaisseaux dans lesquels le spectateur peut projeter sa propre histoire. Comme dans un rêve. On connaît l’identité du personnage même s’il n’a pas son visage habituel. Ce ne sont pas des autoportraits, mais si l’on me connaît, c’est vrai qu’on peut y voir certains de mes traits.

    Quelle est l’importance de l’atelier pour vous ?
    Ma pratique me rend assez mobile. Mon atelier est plus ou moins là où est mon ordinateur. Je chéris la routine. Je peux être très anxieuse quand je peins, j’ai donc besoin de calme et de temps. J’aime me lever tôt – le plus tôt possible est toujours le mieux – pour avoir un vrai moment à moi avant d’être rattrapée par le téléphone et les e-mails. Aussi, mon cerveau créatif fonctionne mieux le matin. L’après-midi, je me consacre généralement à des choses plus répétitives. Mais trop de routine peut aussi être contre-productif.

    Un ordinateur pour atelier

    Vous présentez une nouvelle exposition personnelle au MASI de Lugano. Pourquoi ce titre Many Moons? Que signifie-t-il ?
    Many Moons est ma première expo solo dans une institution suisse. Elle présente une vingtaine de peintures réalisées durant les deux, trois dernières années, ainsi que deux installations massives avec de nouveaux très grands tableaux et des sculptures. J’aime le titre Many Moons parce qu’il évoque le passé et le futur, quelque chose de romantique et d’un peu ténébreux, et une lumière que j’utilise aussi dans mes tableaux. Pour les titres, comme je suis francophone et que j’aime que mes titres soient en anglais, je suis beaucoup aidée par mon partenaire, l’artiste Adam Cruces.

    Dans votre pratique, quelle est l’importance de la scénographie et de l’architecture des espaces d’exposition ?
    J’essaie de plus en plus de penser à l’architecture de l’espace au début du processus, d’aller au-delà de la toile. J’aime que le spectateur puisse s’immerger au maximum dans l’univers des peintures. Pour l’exposition au MASI, j’avais cette énorme salle à disposition, qui n’est pas idéale pour un peintre. J’ai donc dû imaginer d’autres espaces, et j’ai créé ces deux salles totalement immersives, comme si on entrait physiquement dans la peinture.

    “Exposition Louisa Gagliardi. Many Moons”, exposition jusqu’au 20 juillet 2025 au Museo d’arte della Svizzera italiana, Lugano, Suisse.