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24 oct 2025

Art Basel Paris : 6 nouveaux artistes à suivre absolument

De retour au Grand Palais jusqu’au 26 octobre, la foire Art Basel Paris présente une quatrième édition riche en découvertes. Installé une fois de plus le long des coursives du bâtiment, son secteur Emergence propose cette année une sélection particulièrement prometteuse, portée par des installations originales et exigeantes. Focus sur six nouveaux artistes à y découvrir.

  • Par Matthieu Jacquet.

  • Siyi Li

    Deux jeunes femmes à l’arrière d’une voiture, filmées par une caméra fixe, discutent alors qu’elles traversent Shanghaï. Au fil d’une quinzaine de minutes, nous verrons ces personnages se transformer, et leur rôle et leurs relations évoluer : tantôt amies éméchées de retour de soirée au petit matin, tantôt cadres d’entreprise en pleine visioconférence ou encore femmes de l’upper class sur leur 31, discutant avec un air grave… À 26 ans, Siyi Li dévoile à Art Basel Paris son tout premier film. Présentée sur un grand écran LED par la galerie Cibrián, celui-ci dépeint non sans humour une fresque de la citadine contemporaine à travers ces femmes aux multiples visages, particulièrement rythmée par leurs changements de tenues et le paysage mouvant que l’on découvre à travers les vitres du véhicule.

    Originellement pensé comme un projet éditorial photographique, New Energy traduit la passion du jeune artiste chinois, aujourd’hui basé à Francfort, pour le vocabulaire de la mode, de la publicité et le décor de la métropole chinoise, que l’on retrouve aussi dans ses huiles sur toiles et dessins hauts en couleurs. À travers ces œuvres, tout comme ses sculptures en matériaux fragiles – carton, fleurs –, Siyi Li s’emploie à capturer le passage du temps et sublimer la poésie de l’éphémère.

    Stand de la galerie Cibrián.

    Ash Love

    Au sein du Grand Palais, difficile de ne pas remarquer, même de loin, le bouquet de ballons gonflables colorés qui lévitent au-dessus de l’une des coursives. Avec la galerie Exo Exo, Ash Love semble nous appeler à rejoindre une drôle de fête. En s’approchant du stand, on aperçoit sur certains ballons les mots “Happy Birthday”, tandis que d’autres sont en forme de cœur, de sucettes ou d’ours en peluche. Autour, des impressions sur soie à peine plus grandes qu’un format A4 s’alignent sur les cimaises. Des couleurs saturées jaillissent sur leur fond blanc, laissant apparaître de façon disparate des éléments piochés dans les cartes d’anniversaire. 

    Avec cet ensemble inédit, le jeune artiste continue de s’intéresser aux traditions populaires, aux rites de passage, aux témoignages d’amour et d’amitié et aux motifs liés à l’enfance. Des symboles ancrés dans notre inconscient collectif, parfois aux portes de kitsch, qu’il détourne et subvertit avec un regard queer assumé : sculptures et cadenas en forme de cœur, rappelant ceux que les couples accrochent aux grilles pour figer leur amour, patchworks à base de sacs Eastpack, que l’on voyait en nombre sur le dos des jeunes des années 90 et 2000, ou encore peintures de fond d’écran d’iPhone… Sans oublier le nœud, l’un des motifs favoris de l’artiste qui, dans sa première exposition personnelle chez Exo Exo il y a quelque mois, empaquetait littéralement une partie de l’espace dans un géant ruban argenté.

    Stand de la galerie Exo Exo.

    Duyi Han

    “Prescriptions neuroesthétiques” : c’est ainsi que Duyi Han décrit les images, broderies, meubles, vidéos et autres images qui composent son œuvre. Dans ses installations-environnements composites, qui se rapprochent de l’œuvre d’art totale, se croisent iconographie religieuse  et symboles chimiques – ceux, notamment, des molécules liées au bonheur – ou encore paroles de chansons, dans des objets, couleurs et matériaux qui évoquent aussi bien le cadre sacré des temples chinois que le cadre aseptisé des cliniques.

    Un syncrétisme assumé que l’artiste chinois, formé en architecture à New York, démontre dans l’installation qu’il présente à la foire, où les visiteurs pressés ou essorés par leur visite sont invités à prendre un temps de pause. Alors que résonne une composition pour piano d’Erik Satie, on découvre des tabourets, divans et commodes aux couleurs douces et chaleureuses et aux formes arrondies rassurantes. Tandis que des broderies de molécules des protéines, devenues motif ornemental, sont accrochées sur un papier-peint qui croise des références au mouvement rococo et des éléments des cultures boudhistes et taoïstes modélisés en 3D.

    Au même moment, le jeune homme présente à la foire Design Miami un grand miroir ovale à double surface, brodé de diagramme anatomiques, manuscrits occultes et autres mantras de bien-être, qui confirme son obsession pour notre rapport au corps et à la spiritualité.

    Stand de la galerie BANK.

    Alexandre Khondji

    Chez Alexandre Khondji, il est souvent question de détournement de l’objet industriel et de son usage. Citernes souples dédiées au stockage de liquide, portails métalliques ou encore miroirs de manèges équestres se voient reproduits, la plupart du temps avec des fabricants spécialisés et recontextualisés pour créer avec le visiteur un nouveau rapport. Libéré de sa fonction d’origine, l’artefact interpelle alors par sa matière, sa manière d’occuper l’espace. Comme on le découvre actuellement dans l’exposition du Nouveau Programme de la Fondation Pernod Ricard, où l’artiste présente les composantes d’un ordinateur (clavier, écran) mises à plat sur une étagère sortant du mur.

    Au Grand Palais, c’est un autre accessoire équestre que l’artiste basé à Paris a choisi de se réapproprier : le pare-bottes, structure installée le long des clôtures des manèges pour protéger les jambes des cavaliers, au cas où l’animal s’approcherait trop près du mur. Caractérisé par sa forme bombée, l’objet a été décliné par l’artiste en trois couleurs – bleu, blanc, rouge – pour être installé sur le stand de la galerie Sweetwater. Ici, il met le visiteur à distance tout en convoquant irrémédiablement l’histoire de la sculpture minimale.

    Stand de la galerie Sweetwater.

    Mira Mann

    Performeur et vidéaste, Mira Mann s’intéresse tout particulièrement à ces espaces ambigus entre la fiction et la réalité, le théâtre et son audience. Ces lieux où les récits s’écrivent, se déconstruisent et se réinventent. L’artiste germano-coréen, qui a notamment suivi les cours de Dominique Gonzalez-Foester à Düsseldorf, accorde ainsi une place toute particulière à la scène et aux loges, dont on peut retrouver certains éléments dans ses installations, comme les miroirs bordés de lumières, caractéristiques de ces moments où l’artiste se masque ou se démasque. 

    Jusqu’à ce dimanche, ce sont bien ces miroirs que l’on retrouve sur les coursives du Grand Palais. Plutôt qu’une performance, l’artiste rend dans cette installation hommage aux milliers d’infirmières coréennes qui ont émigré en Allemagne de l’Ouest entre 1966 et 1973, pour aider financièrement leurs familles ou fuir la situation politique en Corée du Sud. Le long des miroirs sont ainsi disposés des objets empruntés au passé de ces femmes, entre vaisselle en porcelaine, livres et photographies d’archives. Quant aux tambours au sol, issus du pungmul – musique folklorique coréenne –, ils furent pour ces populations un vecteur de connexion avec leurs racines de sociabilisation, autant qu’un outil pour défendre leurs droits dans leur pays d’accueil.

    Stand de la galerie Drei.

    Sophie Kovel

    Née à Los Angeles, Sophie Kovel s’intéresse particulièrement aux structures, institutions et symboles du pouvoir et la manière dont ceux-ci s’installent dans nos mémoires collectives pour y laisser des traces parfois indélébiles. Critiques du nationalisme et impérialisme, ou encore du mythe néolibéral du self-made man se lisent souvent en filigrane dans ses installations, textes et photographies. On pense par exemple à sa reproduction d’une partie du papier-peint d’origine de la Maison Blanche, convoquant un imaginaire colonial fondateur du récit national américain. Ou encore à ses clichés en noir et blanc de la villa de Jeff Bezos à Beverly Hills qui, plutôt que nous en livrer une carte postale ostentatoire, nous montrent comment l’architecture nous tient à distance, matérialisant dans l’espace le plafond de verre qui protège ceux qui régissent le monde.

    Dans la nouvelle série de photographies qu’elle présente sur la foire avec la galerie Petrine, intitulée Collections and Estates, l’Américaine dévoile des fragments de collections muséales où apparaissent des objets issus de donations. Porcelaines précieuses, vaisselle peinte à la main et autres chandeliers en or composent des tablées vides à la présence silencieuse, voire désincarnée. L’artiste y rappelle que les reliques du passé qui s’inscrivent dans le temps et persistent, à travers nos institutions, dans les imaginaires de demain restent souvent ceux d’une certaine élite, qui ne livrent que le fragment infime d’une réalité bien plus vaste – et, bien souvent, moins fastueuse. En 2022, elle intitulait d’ailleurs l’une de ses installations Untitled (Sometimes it is not a question of what the visible hides but how it is that we have failed to see certain things on the surface) : “Parfois, la question n’est pas de savoir ce que cache le visible, mais comment nous avons pu ne pas voir certaines choses à la surface”.

    Stand de la galerie Petrine.

    Art Basel Paris, du 24 au 26 octobre 2025 au Grand Palais, Paris 8e.