Alison Jackson’s fake press settings
Aucune célébrité n’a été maltraitée pendant ces prises de vue : pour photographier Elisabeth II, Madonna ou Mick Jagger dans des situations compromettantes, Alison Jackson met en scène leurs sosies. Une interrogation sur la fascination qu’exercent les photos volées.
Par Patrick Remy.
Alison Jackson prend toujours des précautions : “Les photographies rassemblées ici n’ont pas pour but de représenter un quelconque événement réel, passé ou futur”, écrit-elle en exergue de chacun de ses deux livres. Au cas où… Il est vrai qu’elle doit se montrer prudente : elle photographie David Beckham aux toilettes lisant El País, Camilla embrassant Charles devant Diana, Sa Majesté Elisabeth II sur le “trône” (le moins noble des deux), George Bush et Tony Blair discutant dans un sauna, Oussama Ben Laden jouant au backgammon, George Bush dans son bureau jouant au Rubik’s Cube, Madonna repassant son linge, Mick Jagger se faisant injecter du collagène dans les lèvres ou Nicole Kidman se curant les dents avec du fil dentaire… Elle plonge également dans l’intimité de Jack Nicholson, Elton John, Paris Hilton, Tom Cruise et Katie Holmes, Richard Gere et le dalaï-lama, Jude Law, Pete Doherty et Kate Moss, et de nombreux membres de la famille royale du Royaume-Uni. Que de scoops ! Mais… tout est faux.
Une deuxième précaution est également imprimée : “Les personnages figurant dans ce livre ne sont pas les célébrités elles-mêmes, mais des sosies. Les diverses célébrités n’ont pas été impliquées dans la conception des photographies et ne les ont pas approuvées. Leur accord n’a pas été demandé.” Ultime précaution : sur la quatrième de couverture de son premier livre sorti en 2003, Private, où l’on voit Camilla Parker-Bowles en déshabillé en train de boire du champagne, figure ce commentaire en bas de l’image : “Cette personne n’est pas Camilla Parker-Bowles.” Aucune légende dans ce livre. Alison Jackson est britannique, et en Angleterre, la liberté de la presse est quasiment un dogme, dont elle use à la perfection : “On ne m’a fait part d’aucune réaction des membres de la famille royale, en général, ils ne commentent rien… mais si mes images sont arrivées jusqu’à eux, ils ont dû être horrifiés ! Camilla Parker-Bowles, elle, doit bien rire, elle est l’une des très rares à avoir un grand sens de l’humour. Je n’ai jamais eu de procès, mais le droit anglais est très permissif. La seule fois où j’ai eu des problèmes, je tournais un film pour la chaîne Channel Four sur Tony Blair, au 10 Downing Street, avec une petite caméra espionne, et j’ai été embarquée par la police. Ils peuvent arrêter n’importe qui sous prétexte de terrorisme. Mon Dieu !”
Ces précautions sont à l’usage, certes, des avocats afin de se protéger d’éventuelles poursuites, mais surtout pour faire face à la crédulité du public. Alison Jackson se fiche des stars. Inutile de lui demander de vous raconter les derniers potins de la famille royale ou du show-biz, elle sera incapable de vous répondre. Ce qui l’intéresse, c’est la perception de ces images par le public : “On m’accuse de faire des photos vulgaires. Mais ce qui est vulgaire, c’est de croire et de célébrer les images. Je pense que le but de mon travail échappe aux gens s’ils ne comprennent pas ça : je m’intéresse à la perception des célébrités par le public, pas à la célébrité elle- même. Je préfère montrer mes photos en galerie ou dans un livre… Dans un magazine, c’est difficile. On risquerait de ne pas comprendre. Je me préserve.”
Etudiante au Royal College of Art, section beaux-arts, elle explorait la sculpture, qu’elle pratique toujours aujourd’hui, entre réalisme et performance.
Le déclic viendra avec la mort de la princesse Diana : “A la mort de Diana, j’avais du mal à comprendre ce chagrin collectif, les gens étaient encore plus tristes que s’ils avaient perdu un membre de leur famille… Comme les icônes religieuses, elle m’a intéressée… qu’y avait-il derrière cette icône ? J’ai commencé à chercher un sosie. Tout le monde disait qu’elle avait été tuée parce qu’elle était enceinte. J’ai donc fait une photo d’elle avec le bébé qu’elle aurait pu avoir avec Dodi, qui aurait donc été métis. Cette photo a déclenché une grande controverse, et moi j’étais toujours au Royal College of Art, avec comme directeur lord Snowdon, un proche de la famille royale… Ça a été très difficile pour moi !”
Son travail est une longue élaboration : elle décortique les photos de la presse people, imagine l’image : “J’essaye de voir à quoi la célébrité ressemble, comment elle est habillée, et j’imagine une situation qui pourrait être réelle. J’ai toute une équipe, dont un directeur de casting, très brillant, une maquilleuse, un coiffeur. Parfois, le processus est très long. Certains sosies sont très pro, d’autres non, il y a toute une direction d’acteurs… Il faut vraiment trouver le bon moment, celui où ils se transforment en leur modèle.” Avec toujours en tête ce but, loin de la surenchère de la presse : “Mon travail est une interrogation sur la culture populaire. Dans le monde d’aujourd’hui, on se fiche de rencontrer des gens, on préfère vivre à travers des images… et parler à travers des téléphones portables.” Comme la plupart des photographes depuis une décennie, Alison Jackson questionne le statut de l’image photographique. Longtemps, celle-ci a été considérée à tort comme un fragment de réalité, l’instant décisif saisi par l’appareil photo. “Pour moi, la photographie est une sorte de déconstruction de l’image, je cherche à savoir ce qui est important dans l’image.”
Aujourd’hui, de nombreuses questions se posent quant à la véracité de certaines icônes photographiques : l’image culte de la mort du soldat républi- cain espagnol de Robert Capa était-elle truquée ? On a retrouvé dans les archives de Capa une photo similaire avec un autre soldat exactement au même endroit. Depuis les années 70, la déconstruction de l’image s’est réapproprié les images télévisuelles (Harry Gruyaert), publicitaires (les cow-boys de Richard Prince), les images de films (les fameux Film Stills de Cindy Sherman), les images imprimées dans la presse ou dans des livres (Hans-Peter Feld- mann découpant les journaux, Gerhard Richter son Atlas) ou les images du Web (Thomas Ruff)… Aujourd’hui, Alison Jackson, comme d’autres, se penche sur la presse people, le phénomène mondial de ces dernières années, interrogeant ces documents du XXIe siècle. “Ça ressemble à la réalité, mais ce n’est pas la réalité. Je ne cherche pas le scandale, j’ai une vision totalement conceptuelle. Bien sûr, tout le monde sait que Diana et Dodi n’ont pas eu de bébé, mais mes images créent une confusion de très courte durée chez le spectateur. Tout mon travail concerne la perception de ces images. On ne connaît les célébrités qu’à travers leurs images ; sans les médias, elles n’existeraient pas, elles devraient donc les remercier.”
Mais parfois, comme un boomerang, la réalité rattrape les photographies d’Alison Jackson : certaines de ses images pourraient être signées Mario Testino quand il photographie l’intimité de ses amis (son livre Let Me in!), comme Lourdes, la fille de Madonna, dansant déguisée avec les vêtements de sa mère, ou Mick Jagger en slip repassant son pantalon. Aurait-elle pu imaginer cette incroyable image (très sexy et pas du tout perverse) de Kate Moss faisant pipi avec Naomi Campbell ? Pour elle, Kate Moss est l’incarnation même du mythe de la célébrité : “Nous sommes un public voyeur. Kate Moss, elle, comprend cela et en joue. Tout le monde veut savoir ce que font ces personnalités en privé. Pour Kate Moss, sa vie privée et sa vie publique ne font plus qu’une. Kate fait la même chose que moi.” Son modèle favori ? “La reine est fabuleuse. Absolument fantastique.” Of course !