Who is Arata Isozaki, best architect of the year ?
Lauréat du prix Pritzker 2019, le Japonais Arata Isozaki a essaimé ses réalisations dans le monde entier. Habité par un constant désir de renouvellement, il a notamment calqué ses architectures sur le modèle des organismes vivants.
Par Stefan Cornic.
À 87 ans, Arata Isozaki se fait rare. Depuis qu’il a reçu le prix Pritzker, la plus haute distinction dans le domaine de l’architecture, il n’accorde plus d’interview, mais ses bâtiments sont là. En soixante ans de carrière, le Japonais a construit une centaine de réalisations dans son pays (comme, en 1990, le complexe culturel Art Tower Mito, symbolisé par sa tour hélicoïdale en titane), mais aussi aux États-Unis (le musée d’Art contemporain de Los Angeles, en 1986, ou le postmoderne et coloré siège administratif du Walt Disney World Resort en Floride, en 1991), en Chine (le Central Academy of Fine Arts Museum de Pékin en 2008, ou le très sculptural Shanghai Himalayas Museum en 2012). En Espagne, on lui doit le complexe pour les JO de Barcelone en 1990, tout comme le Domus, (ce musée de l’Homme perché sur un rocher qui domine la mer, 1995). En Italie (où il possède des bureaux), il a signé la bibliothèque de Maranello, en 2011, et la tour Allianz à Milan, en 2014, qui renouvelle l’architecture de gratte-ciel. Il a essaimé ses projets jusqu’au Qatar (le National Convention Center de Doha en 2011, avec de spectaculaires colonnes en forme de racines). Mais en France, nous n’avons pas eu cette chance. Ce qui contribue peut-être au fait qu’Arata Isozaki soit moins connu ici que certains de ses sept compatriotes primés avant lui, comme Shigeru Ban (2014). Un chapelet de lauréats grâce auxquels cette nation est quasiment la plus primée (avec les États-Unis, selon la manière dont on effectue le décompte).
“Je ne pouvais pas m’arrêter à un seul style. La seule constante de mon travail a été le changement.”
Pour voir l’architecture d’Arata Isozaki, il faut donc voyager, et ainsi découvrir l’œuvre de cet architecte qui n’a jamais voulu embrasser un style unique, préférant fusionner les références, les genres et les cultures.“Je ne pouvais pas m’arrêter à un seul style. La seule constante de mon travail a été le changement. Paradoxalement, c’est devenu mon propre style.” Il fait partie de ces architectes inclassables, de ceux pour qui la forme, a priori, ne compte pas. Elle est évidemment source de réflexion et de travail, mais elle est surtout dictée par ce qui a été planifié en amont.“De l’étude de la fonction, de l’histoire et du site sur lequel le bâtiment va être implanté naît souvent un concept”, explique Andrea Maffei, architecte italien avec qui le cabinet Arata Isozaki & Associates a créé un bureau à Milan en 2005.
Arata Isozaki affirme que, pour lui, l’architecture devient très intéressante quand elle permet “aux sens de percevoir quelque chose d’invisible”. Il poursuit : “Pour moi, l’architecture doit être un moyen de révéler quelque chose qui existe, mais qui est intangible.” Précisons que le premier contact avec cette discipline de cet homme né en 1931 à Oita, au sud du Japon, s’est opéré par le biais d’une absence d’architecture, d’une architecture disparue, en ruine. “Quand j’ai eu l’âge de commencer à comprendre le monde, ma ville natale a été incendiée, tout n’était que ruine, il n’y avait pas de ville ni même de bâtiments. Ma première expérience de l’architecture s’est faite à travers le vide”, raconte-t-il. Plus tard dans sa carrière, le vide en tant que fondement ne sera d’ailleurs pas sans lien avec le concept de ma, central pour les Japonais, qui se définit comme un entre- deux, un intervalle qui sépare deux choses, une notion essentielle en architecture.
Entre son diplôme en architecture obtenu à l’université de Tokyo en 1954 et la création de son agence dans la même ville en 1963, Isozaki a complété sa formation en s’appuyant sur deux éléments : les voyages et sa collaboration avec Kenzo Tange.“Je voulais comprendre comment les gens vivaient en différents lieux. À l’intérieur du Japon, mais aussi dans le monde islamique, dans des villages de haute montagne de la Chine, de l’Asie du Sud-Est et des grandes villes des États-Unis. Toutes les occasions étaient bonnes.” Avant ses 30 ans, il avait d’ailleurs fait plusieurs tours du monde.
Ne pas s’enfermer dans une catégorie, tel est son credo.
Sa collaboration avec Kenzo Tange lui permettra, elle, de nourrir sa réflexion sur la reconstruction et sur les besoins de son pays qui, au cours des années 50 et après presque dix ans d’occupation américaine, retrouvait son autonomie. Il prolongera également le dialogue entre les architectures nippone et occidentale initié par son maître, notamment en utilisant des matériaux modernes comme le béton. C’est d’ailleurs dans une veine assurément brutaliste qu’il s’exprime à ses débuts (bibliothèque préfectorale et centre médical à Oita dans les années 60), avant de contribuer à l’avènement des mégastructures métabolistes [dont le modèle est calqué sur la croissance des organismes biologiques] (projet de “ville en l’air” pour le quartier de Shinjuku à Tokyo, 1962). Entre les années 70 et 90, il traverse le postmodernisme, libère toujours davantage la forme. Ne pas s’enfermer dans une catégorie, tel est son credo. Pour y parvenir, il cultive de nombreuses références et propose une conception ouverte de l’architecture. Son travail est autant influencé par la pureté volumétrique du Français Claude-Nicolas Ledoux que par certaines avant-gardes artistiques, ce qui lui permet de se projeter dans le futur et d’en inventer les formes. Dans cet esprit, il collabore avec Anish Kapoor et réalise, en 2013, l’Ark Nova, une salle de concert gonflable et transportable destinée à offrir une échappatoire aux populations ayant subi des catastrophes naturelles. Une arche du salut, en quelque sorte, résultat d’une coopération interdisciplinaire destinée à favoriser le lien social.