Snøhetta, les architectes qui vous emmènent sous l’eau
D’un restaurant sous la mer en Norvège à la nouvelle Manufaktur Swarovski en Autriche, l’agence Snøhetta déploie sa vision écologique et collaborative de l’architecture dans le monde entier. Rencontre avec son cofondateur.
Par Thibaut Wychowanok.
Il est rare de trouver des célébrités à l’inauguration d’une manufacture. Pourtant, en novembre dernier, à Wattens, sur les hauteurs de l’Autriche, un designer star, Ron Arad, une muse italienne, Mariacarla Boscono, et un créateur de mode conceptuel, Viktor Horsting (du duo Viktor & Rolf), se pressaient parmi quelques autres pour assister à l’ouverture de la Manufaktur Swarovski. C’est que le bâtiment, s’il tient bien lieu d’atelier de production, est aussi la vitrine flamboyante du champion mondial du cristal et de ses diverses collaborations, de l’Infinity Mirror Room imaginée par l’artiste Yayoi Kusama aux réalisations conçues avec Gucci et Saint Laurent. Ce bâtiment, surtout, est l’œuvre de la très cotée agence Snøhetta. Ces architectes d’origine scandinave ont depuis longtemps attiré l’attention du monde entier avec leurs projets en tout genre : le Centre pour la grotte de Lascaux, l’extension du Museum of Modern Art de San Francisco (SFMOMA), l’Opéra national norvégien, le siège du groupe Le Monde ou le pavillon du mémorial du 11-Septembre à New York.
On retrouve à Wattens les particularités du style Snøhetta. Loin d’un simple hangar de production rectangulaire réunissant machines high-tech et artisans, le lieu est pensé dans une volonté de transparence et une approche dynamique. Une large passerelle oblique, en bois élégant, surplombe l’ensemble des espaces de production : les visiteurs et les clients de Swarovski en ont ainsi une vue directe et embrassent la manufacture d’un seul regard. Tel un atrium romain, un vaste escalier où chacun peut s’asseoir et échanger fait le lien entre les différents espaces. Au plafond, deux cents “cassettes” inclinées filtrent une lumière naturelle, comme pour ouvrir les lieux aux cieux. “Un peu comme à l’Opéra d’Oslo, qui semble prendre naissance dans la mer, vous ne savez pas trop à quoi vous avez affaire, nous confie le cofondateur de Snøhetta, Kjetil Trædal Thorsen. Un bâtiment ? Un forum ? Un objet flottant ? Il ne s’agit pas d’une usine normale avec des gens produisant du cristal. Nous connectons les visiteurs, les clients et les artisans. Nous facilitons leur rencontre et les échanges. La dynamique est également créée par la plateforme en oblique. Dans la nature, rien n’est jamais totalement horizontal ou vertical, fixé. D’ailleurs, si l’architecture est statique, son expérience est toujours dynamique : vous regardez à 360 degrés, vous avancez. C’est pour cela qu’un film rendra toujours mieux compte d’un lieu qu’une image.” Cette pensée en flux si caractéristique de Snøhetta trouve son origine dans un rapport particulier à la nature. “Dans la nature, continue Kjetil Trædal Thorsen, vous pouvez être dans une forêt, sous la terre dans une cave, au-dessus de la mer en haut d’un rocher. Nous travaillons à faire en sorte que toutes ces possibilités deviennent des réalités dans nos bâtiments. Vous pouvez être au-dessus de l’Opéra d’Oslo, devant, dedans. Dans le cas d’Under,notre réalisation qui associe un restaurant et un centre de recherche aquatique, vous pouvez même dîner sous l’eau, face aux poissons. Nous essayons perpétuellement d’étendre les manières dont vous pouvez positionner votre corps dans le monde, comme si vous étiez en pleine nature.”
Parmi les réalisations les plus intéressantes de Snøhetta, on trouve, en pleine nature évidemment, la maison réalisée avec l’artiste norvégien Bjarne Melgaard (un projet très contesté par certains). La bâtisse, qui a tout d’un vaisseau alien porté par des sculptures anthropomorphiques géantes, a été conçue selon un process original. “Bjarne a partagé avec nous des centaines de dessins, typiques de son travail, que nous avons d’abord cherché à interpréter en trois dimensions. Que pouvait-il y avoir de l’autre côté de ce qui avait été dessiné ? Nous l’avons transformé en modèle 3D que nous avons poussé vers une plus grande abstraction. Et enfin, sur cette abstraction, nous avons projeté les dessins en deux dimensions de Bjarne… Ensuite, nous avons mis le feu à la maison pour lui donner cette apparence de charbon noir.”