Et si l’avenir de l’habitat était dans les arbres ?
Après des stars comme Frank Gehry, Oscar Niemeyer ou Sou Fujimoto, c’est Diébédo Francis Kéré qui, cette année, a édifié le pavillon d’été de la Serpentine Gallery, à Londres. L'architecte s'interroge sur le futur de l'habitat, une œuvre écologique invitant à entrer en connexion avec la nature et le ciel.
Par Christian Simenc.
On l’invite à construire un petit bâtiment dans l’un des parcs les plus huppés de Londres… et lui vient y planter un arbre. Pas n’importe lequel, certes, puisqu’il s’agit d’un arbre à palabres, cette figure fameuse dans les contrées africaines, sous laquelle se déroulent souvent les moments essentiels d’une communauté. Voici donc le nouveau pavillon d’été 2017 de la Serpentine Gallery, 17e du nom, le premier conçu par un maître d’œuvre issu du continent africain, Diébédo Francis Kéré, 52 ans, né à Gando (Burkina Faso) et fondateur de Kéré Architecture, en 2005, à Berlin (Allemagne).
Il est en effet de tradition, depuis 2000 (le premier opus fut signé par Zaha Hadid), de confier la construction de cet édifice éphémère – érigé en plein cœur de Kensington Gardens, devant le centre d’art – à un architecte international n’ayant jamais encore construit “en dur” sur le sol britannique. En commentaire de son œuvre, l’heureux élu de cette édition explique : “En Afrique, l’arbre à palabres est un point central dans la vie d’un village, le lieu du rassemblement et du dialogue. Il est aussi un abri sous lequel les gens trouvent l’ombre salutaire contre les rais brûlants du soleil ou, au contraire, se réfugient lorsqu’il pleut des cordes. Durant toute l’année, c’est sous ses frondaisons que se déroulent les choses les plus importantes de l’existence.” En déambulant à l’intérieur du parc royal ou depuis la rue qui relie le quartier des musées de South Kensington à l’étang de la Serpentine, on ne peut le rater, avec ses murs d’un bleu intense qui tranchent allègrement avec le gazon vert anglais et son étrange toit inversé, telle la coiffe d’un chef tribal. Empreinte au sol : 330 m2 . “J’ai souhaité utiliser un matériau traditionnel, le bois, de manière à créer une surprise, raconte Diébédo Francis Kéré. Ne pas en user juste pour son aspect visuel, mais pour sa sensualité. Je veux solliciter les sens.” D’où, aussi, cette couleur offensive : “Au Burkina Faso, lorsqu’un homme veut se marier, il se doit de parader dans le plus bel habit, et le vêtement dans lequel il va briller est, la plupart du temps, un boubou d’un splendide bleu indigo.”
“En Afrique, l’arbre à palabres est un point central dans la vie d’un village, le lieu du rassemblement et du dialogue. Durant toute l’année, c’est sous ses frondaisons que se déroulent les choses les plus importantes de l’existence.”
Si, d’emblée, la couleur captive le visiteur, la minutie du travail du bois est tout aussi spectaculaire. De la haute couture. “J’utilise le bois selon les techniques de parement de la brique. Les modules se superposent ainsi les uns sur les autres et, grâce à une suite de décalages, génèrent des motifs triangulaires. Si l’on regarde de loin, en clignant des yeux, cela ressemble à un textile.” En effet, lorsque la lumière naturelle éclaire les modules, elle fait ressortir les veines du bois et engendre des sortes de vibrations chaque fois différentes. On accède au pavillon par quatre entrées séparées. “Je voulais certes créer un abri, mais pas un espace qui enferme”, précise l’architecte. Et l’espace est une notion chère à Diébédo Francis Kéré : “Je l’ai pleinement découvert quand j’étais enfant. J’en garde deux souvenirs très précis. Le premier est celui du moment, juste avant d’aller dormir, où l’un de nos parents ou de nos grands-parents nous racontait des histoires. Chaque soir, la famille s’asseyait en cercle. Nous ne nous voyions pas les uns les autres, seul l’écho de la voix résonnait dans la nuit noire, mais j’avais le sentiment très fort d’être dans cet espace rassurant et protecteur qu’engendrait notre simple présence. Le second se situe à l’école. Je me souviens parfaitement de ma salle de classe. Je ne comprenais pas pourquoi, dans un pays où il y avait autant de lumière, nous avions des fenêtres si petites. La salle était si obscure qu’on pouvait à peine lire. C’est cette dichotomie qui m’a aidé à construire ma propre idée de l’espace.”
“Ce pavillon cherche à relier l’homme aux éléments, il a été pensé pour que chaque visiteur fasse sa propre expérience de la nature.”
Celui de son pavillon d’été est on ne peut plus fluide. Dans les murs, des interstices laissent s’infiltrer le paysage alentour. “Je souhaitais que le visiteur ait la perception d’être dans la nature”, dit l’architecte. Le même objectif sous-tend le toit translucide reposant sur un frêle mikado métallique, laissant amplement pénétrer la lumière naturelle. Une vaste ouverture sur un patio est aménagée en son centre – “une connexion avec le ciel”, souligne Kéré –, sorte d’“entonnoir” de polycarbonate qui, lorsqu’il pleut beaucoup, crée “un effet de cascade”. Ainsi ouvert aux quatre vents, “ce pavillon cherche à relier l’homme aux éléments, il a été pensé pour que chaque visiteur fasse sa propre expérience de la nature”, indique Diébédo Francis Kéré, qui ne dissimule pas son intérêt pour l’écologie : “L’eau est aujourd’hui un bien précieux et une ressource primordiale, souligne-t-il. Au Burkina Faso, on sait son importance. Ici, à Londres, j’ai proposé de recueillir l’eau de pluie pour la redistribuer dans le parc grâce à un drainage idoine.” Le toit a été décalé des murs à dessein : “Aujourd’hui, nous connaissons des problèmes environnementaux énormes. J’ai voulu montrer que l’on pouvait, en Europe également, utiliser la technique de la ventilation naturelle pour imaginer des bâtiments qui soient à la fois ouverts et protégés.” Le travail de Diébédo Francis Kéré, en tant qu’architecte, n’a qu’un objectif : “Servir l’être humain, voire l’inspirer. Notre mission est de remettre la nature au centre de nos préoccupations, donc au centre de l’architecture.” Son arbre en est l’exact message.