Comment sauver les vestiges futuristes d’Oscar Niemeyer au Liban ?
Pendant un mois, des artistes venus du Liban et d’ailleurs se mobilisent pour sauver de la ruine la Foire internationale Rachid Karamé à Tripoli, complexe architectural imaginé dans les années 60 par Oscar Niemeyer.
Par Laura Catz.
Théâtre d’affrontements et de conflits armés depuis plus de quarante ans, le Liban était pourtant le centre culturel et intellectuel du monde arabe dans les années 60. Parmi les vestiges témoins de cet âge d’or, la Foire internationale Rachid Karamé à Tripoli, un rêve de béton réalisé en 1962 par Oscar Niemeyer, père de l’architecture moderne également célèbre pour la construction de Brasilia et du siège de l’ONU à New York. À l’instar de Le Corbusier dont il admirait le travail, l’architecte brésilien défendait, à travers ses réalisations, une manière de vivre et espérait faire naître au sein de ce projet : un théâtre en plein air, une salle de spectacles, un héliport, une maison d’hôtes, un bowling… Une véritable utopie urbaine composée de 15 bâtiments aux courbes ovoïdes, sinusoïdales, sensuellement futuristes, qui est quasiment achevée en 1975, mais que la guerre civile qui éclate cette année-là au Liban fait sombrer dans l'oubli.
Structures lézardées, bassins vides, herbes folles… Ce joyau de l’architecure moderniste portant le nom de l’ex-Premier ministre libanais (originaire de la région) menace à présent de s’écrouler. Depuis un mois, une grande exposition d’art contemporain au titre programmatique “Cycles of Collapsing Progress” (cycles d’effondrement du progrès) tente de mettre en lumière le danger imminent qui pèse sur ce site, dont la vocation première était de devenir une foire internationale porteuse d’espoir, de progrès et de renaissance économique pour le nord du Liban.
Alors que l’exposition touche à sa fin, les artistes peuvent se féliciter d’avoir obtenu l’inscription de la Foire internationale Rachid Karamé sur la liste des sites éligibles au titre de Patrimoine mondial de l’humanité de l’Unesco, ainsi que la bourse “Keeping It Modern” de la Fondation Getty pour l’architecture, qui doit permettre d’établir un plan de conservation pour le site. Les promesses de potentielles subventions sont restées lettre morte se désole Akram Oueida, directeur général de la Foire. Et dans un pays où la loi ne protège pas le patrimoine architectural moderne, c’est au seul nom de son prestigieux architecte que ce monument doit de ne pas avoir été détruit purement et simplement.
Né en décembre 1907 à Rio de Janeiro, Oscar Niemeyer grandit à l’époque où le mouvement moderne, caractérisé par un retour au décor minimal aux lignes géométriques pures et fonctionnelles, à l'utilisation massive du béton armé ainsi qu'à l'absence de revêtement, est en pleine croissance en Europe et en Amérique du Nord. Oscar Niemeyer s'en inspire et décide de l’adapter aux conditions tropicales de son pays, favorisant les lignes courbes et sensuelles, qu’il préfère aux angles droits “qui divisent”. Sa reconnaissance internationale, il l'obtient grâce au projet titanesque de construction de la ville de Brasilia, inaugurée en 1960. C'est à lui que les habitants doivent la cathédrale de Brasilia, le musée de Brasilia ou encore le palais de l’Aurore (résidence officielle du Président). Si son œuvre est récompensée en 1988 avec l’obtention du prix Pritzker, Oscar Niemeyer (disparu en 2012) travaillera jusqu’à son dernier souffle : à l’âge de 101 ans, il réfléchissait encore à l’aménagement des quais du Havre…