6 bâtiments emblématiques signés Le Corbusier
Ce mois-ci, le Pavillon Le Corbusier ouvre de nouveau ses portes à Zurich. L'occasion de passer en revue la carrière de ce titan de l’architecture à travers un panorama de 6 projets parmi les plus emblématiques, tous inscrits depuis 2016 sur la fameuse liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.
Par Yasmine Lahrichi.
Son nom est connu de tous et son impact sur les paysages du monde est phénoménal. Le Corbusier, architecte suisse naturalisé français, peut se targuer d’avoir poussé à son paroxysme le style moderniste architectural, d’avoir construit tout type de bâtiments — publics et privés, résidentiels et politiques — et, plus essentiellement, d’avoir laissé l’empreinte de son talent dans le monde entier, en Europe comme en Asie et en Afrique. Né à La Chaux-de-Fonds (Suisse) en 1887, Charles-Édouard Jeanneret-Gris (de son vrai nom) n'a pas respecté les stéréotypes que l'on appose aux vocations : alors qu'il souhaitait initialement s’adonner à une activité purement artistique, il se prend de passion pour l’architecture qui ne le quittera jamais. D'abord dessinateur pour divers cabinets d'architecture à Paris et à Berlin, il découvre les rudiments de la pratique et s'en enthousiasme peu à peu lorsqu'il voyage en Orient en 1911. À partir de là, il développe un intérêt pour la théorisation de l'architecture qu'il mettra plus tard en pratique.
L’Esprit Nouveau, son nouveau leitmotiv, est le nom que porte la revue qu’il cofonde avec l’artiste Amédée Ozenfant en 1920. En tandem, ils y renouvelent les méthodes de construction des bâtiments en défendant une certaine pureté de l’art, par opposition avec le mouvement cubiste – alors engagé par Pablo Picasso et Georges Braque quelques années plus tôt- qu'ils jugent trop décoratif. En prolongeant les idées de théoriciens tels qu’Adolf Loos, qui incriminait l'usage de l'ornement, le duo pose ainsi les fondations théoriques de ses futurs bâtiments. Au fil des années, la théorie et la pratique de Le Corbusier s'imposeront au début du XXe siècle comme une réelle révolution architecturale européenne dont la voix résonera de plus en plus fort chez d'autres protagonistes, tels que les professeurs et élèves de l'école allemande du Bauhaus. Tour d'horizon de 6 de ses constructions emblématiques.
1. La villa Le Lac (Corseaux, Suisse), 1923.
De petite taille, sobre et construite à partir de matériaux modestes au bord des rives du lac Léman, la villa Le Lac est la “bête curieuse” de la région de Genève. Pourtant, cette maison bâtie au milieu des années 1920 par Le Corbusier, encore jeune architecte, et son associé et cousin Pierre Jeanneret est l’un des monuments les plus visités de la ville de Corseaux. Œuvre de jeunesse, elle se caractérise par ses revêtements de béton, d’acier et d’aluminium et sa modeste surface de 64 m2 seulement. Mais surtout, son agencement autour d’une seule travée de plain-pied fut ingénieusement pensé pour accueillir deux personnes âgées – les parents de l’architecte – et leur apporter tout le confort nécessaire à l’habitat domestique, sans adjonctions ni agrandissements superflus. Respectant adroitement les principes de simplicité que défendait Le Corbusier dans sa revue L’Esprit Nouveau, cette menue demeure reste considérée pour beaucoup comme l’acte de naissance et l’affirmation du style moderniste, bien que sa construction précède de 3 ans la théorisation d’une “architecture moderne”.
2. La villa Savoye (Poissy, France), 1928-1931.
Elle est un manifeste de la modernité architecturale de l’entre-deux-guerres. Construite entre 1928 et 1931, la Villa Savoye respecte toutes les injonctions formulées par l’architecte : la construction d’un bâtiment sur pilotis caractérisé par une façade en hauteur, un plan libéré des murs porteurs et la mise en place d’un toit-jardin (ou jardin suspendu) afin de gagner de l’espace. Grâce à sa couleur, sa forme rectangulaire, ses vitres horizontales en longueur et ouvertures au plafond qui l’inondent de lumière, l’esthétique de la demeure frôle l’abstraction picturale. Outre sa modernité, cet édifice tantôt qualifié par Le Corbusier de “machine à habiter”, tantôt de “machine à émouvoir”, fait également écho à l'histoire de l'architecture : son ouverture zénithale témoigne de sa fascination pour l’architecture palladienne – un style domestique apparu en Italie au XVIIIe siècle. Inspirées par l'architecture vernaculaire, ses fenêtres en longueur tirent quant à elle leurs formes des maisons que l'architecte aurait découvert au cours de son passage par Tiavorno, une petite ville de Bulgarie où les bâtiments locaux accordaient aux ouvertures un rôle clé.
3. La ville de Chandigarh (Chandigarh, Inde), 1951.
Tracer les contours d’une ville entière à partir de rien, n’est-ce pas là le rêve de tout architecte urbaniste ? Si tel est le cas, Le Corbusier a pu embrasser toutes ses aspirations lorsque le gouvernement indien a fait appel à lui, quatre années après son indépendance. Des conflits politiques divisaient alors le Penjab, un territoire situé au nord-est du pays, entre deux forces antagonistes : d'un côté, l’Inde et de l'autre le Pakistan, où se trouvait la capitale. Face à cela, les pouvoirs publics de l'Inde pensent pour leur pays à réaménager une ville existantet en capitale, puis décident finalement de créer de toute part une ville qui refléterait la nouvelle identité indienne : démocratique, ancrée dans le monde actuel et à la pointe de la technologie.
En 1925, Le Corbusier proposait – en vain – à la ville de Paris de détruire les immeubles préexistants et de les remplacer par des tours (Plan Voisin), en plus de l’ensemble des plans de la ville. Fort de son expérience urbanistique, l'architecte se trouve alors chargé de réaliser pour l'Inde trois bâtiments politiques et législatifs officiels : La Haute court, le Palais de l’Assemblée et le Secrétariat. Tous trois se caractérisent par une allure brute : le béton est laissé nu, sans revêtement. Fusionnant l’architecture du nord par leur épurement ornemental et le style romain antique par leur monumentalité, ces édifices symbolisent l’espoir que porte un État pour le renouvellement d'un pays entier en pleine quête identitaire.
4. La cité radieuse (Marseille, France), 1952.
Ses sept étages de balcons tout en couleurs primaires rappellent la simplicité des teintes écolières : esthétiquement, la cité radieuse préfigure le mouvement brutaliste. Comptant près de 330 appartements et couronnée par un toit-terrasse aménagé comme un lieu de vie et de loisir, ce bâtiment construit en 1952 est la première commande publique de l’État français pour Le Corbusier, dans un territoire national décimé par les ravages de la guerre et en manque d’infrastructures sociales afin d’abriter la population. Contrairement aux appartements classiques séparés en plusieurs pièces, l’architecte suisse y propose des espaces uniques dans lesquels le salon côtoie la cuisine et la salle à manger. Ce bâtiment sera aussi l’occasion pour Le Corbusier de reproduire grandeur nature une oeuvre selon le principe du “Modulor”, un outil de mesure de construction permettant d’adapter ses dimensions à partir du nombre d’or.
5. La chapelle Notre-Dame-du-Haut (Ronchamp, France), 1953-1955.
Sur une colline à l’écart des tumultes urbains, une carcasse de béton élancée telle une coque de bateau épouse son environnement par ses formes voluptueuses. À l'extérieur de cette chapelle construite entre 1953 et1955, la façade est faite d'une vieille pierre blanche des Vosges tandis que sa toiture reste nue. La distribution curieuses de ses vitrages colorés témoigne du renouvellement du style religieux en France dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, auquel des artistes comme Matisse ou Marc Chagall ont vivement contribué. Pour réaliser cette architecture spécifique, la méthode de Le Corbusier diffère quelque peu, mettant de côté l’abstraction et la géométrie pures au profit d’une inspiration directement issue de la nature. On pense ici au travail d'autres architectes tels que Frank Lloyd Wright ou Rudolph Steiner, qui lui aussi avait réalisé son théâtre Goetheanum à Bâle tout en rondeurs.
6. Le musée National de l’art occidental de Tokyo (Tokyo, Japon), 1959.
La fascination qu’exerçait Le Corbusier sur l’architecture nipponne dès la fin des années 1920 n’apparaît pas comme hasardeuse. Bien souvent ont été soulevées les similitudes profondes entre les principes de l’architecture japonaise dite traditionnelle et ceux du mouvement moderne en Europe : refus de l’ornementation des façades, préconisation d’une harmonie alliant sobriété et monumentalité… C'est alors tout naturellement que l’État japonais confie à l'architecte la construction du musée d’art occidental de Tokyo dans lequel on y retrouvera des chefs-d'œuvres de Rodin, Monet, Picasso ou Van Gogh. Afin d'accueillir cette riche collection de l'homme d’affaires Matsukata Kōjirō, Le Corbusier construit un édifice sur pilotis en béton velouté surplombant la ville de Tokyo : l'exposition du bâtiment permet au soleil de projeter sur sa façade une lumière franche et dégagée.
Höschgasse 8
Zürich, Suisse