15 déc 2022

Rencontre avec l’artiste Walter Robinson, peintre amusé et ironique

Walter Robinson est un peintre qui répond avec une certaine distance à la question de la peinture. Il est aussi critique d’art, longtemps correspondant pour Art in America puis fondateur du magazine Artnet, mais aussi collaborateur de la première heure de Printed Matter, le magasin légendaire new-yorkais dédié à la diffusion de livres d’artiste.

Propos recueillis par Nicolas Trembley.

Daily Medications, Walter Robinson, 2020. Acrylic on canvas. 101,5 x 152 cm (40 x 60 in)

Depuis les années 70, Walter Robinson est associé à l’appropriationnisme à travers le mouvement de la Pictures Generation et représente les clichés d’une Amérique à tendance populaire en version figurative. Hamburgers, frites, dollars, pots de vaseline ou donuts sont immortalisés dans une imagerie dépeignant l’utopie consumériste. Comme le précisait le critique Adrian Dannatt dans le communiqué de presse de sa première exposition en France l’année dernière à la galerie Air de Paris, Robinson peint “avec amusement et ironie, comme un sketch spirituel sur le kitsch, une improvisation désabusée sur une forme presque épuisée, jouant avec le pop art comme un chat avec une souris fatiguée”. Mais c’est sans doute sa série pionnière des nurses qui l’a fait revenir sur le devant de la scène. Pour sa nouvelle exposition chez Sébastien Bertrand, il s’inspire à nouveau d’anciennes publicités et de couvertures de romans de gare qu’il recopie quasiment telles quelles pour sa fameuse série Romance. Il y dépeint des infirmières et des médecins car, comme il se plaît à le dire, le meilleur mélange, c’est entre biologie et désir.

Hypo Nurse, Walter Robinson, 2020. Acrylic on canvas. 183 x 122 cm (72 x 48 in)

À l’époque, vers quoi se tournait votre regard ? Et aujourd’hui ?

Les Jets sont menés 14 à 10 à la mi-temps – mais je devrais arrêter de regarder le football américain et plutôt aller chez Phillips voir ce qui est vendu aux enchères.

 

Travaillez-vous sous forme de séries ou chaque œuvre est-elle individuelle ?
On pourrait qualifier de séries ce que personnellement j’envisage plutôt comme des thèmes. “Pulp romance” est le plus apprécié, mais je propose également “normcore”, “Backpage” [site de petites annonces], “salades”, “bières”, “produits pharmaceutiques”, “femmes se moquant des hommes”, etc.

 

Qu’est-ce qui inspire les titres de vos œuvres ?

Je prends mes titres directement à leur source, même si je m’autorise parfois un trait d’esprit – par exemple lorsque j’intitule une toile représentant une [unique] bouteille de Budweiser There Is Only One Beer [“Il n’y a qu’une seule bière”].

Lotion, Walter Robinson, 1984. Acrylic on linen. 152,4 x 91,4 cm(60 x 36 in)

Comment concevez-vous vos expositions ?

En règle générale, mes expositions ont un thème. J’étais tout content lorsqu’un marchand d’art de Madison Avenue est venu me voir dans mon atelier en déclarant : “Allez, nous allons exposer les peintures de bougies, celles sur l’argent et celles sur les salades.

 

Qu’avez-vous produit spécifiquement pour votre exposition genevoise ? De quoi parle-t-elle ?
Les toiles destinées à la galerie Sébastien Bertrand ont pour thème “médecins et infirmières” – un sujet qui, du point de vue figuratif, englobe biologie et désir.

 

À la fin des années 70, vous étiez lié à la Pictures Generation, qui était proche de la photographie. Aujourd’hui, à quel “discours” pictural se rattache votre travail ?
Je suis un artiste des années 80. Le sens du postmodernisme, c’est qu’il reconnaît toute expression artistique comme rhétorique. Mais le “discours” dominant à l’heure actuelle, c’est le pluralisme, ou ce que le critique d’art Donald Kuspit a baptisé “endgame Modernism”, le modernisme en phase terminale, donc tout est lié à tout.

Emergency Surgeon, Walter Robinson, 2017. Acrylic on canvas. 60,9 x 50,8 cm (24 x 20 in)

Vous sentez-vous proche aujourd’hui d’un mouvement en particulier ?

À la fin des années 70, j’ai travaillé avec le collectif Collaborative Projects (Colab Inc.) et, dans les années 80, avec East Village Art. Des artistes comme Eric Fischl ou Mark Tansey font partie de ma génération, mais je ne dirais pas que nous sommes liés à proprement parler. Aujourd’hui, j’appartiens à la scène new-yorkaise.

 

Vous considérez-vous comme un peintre ?

Oui, je suis peintre. Si je voulais me montrer polémique, je dirais que la peinture est la seule véritable catégorie d’art visuel qui soit. Tout le reste est une erreur.

 


Walter Robinson est représenté par la galerie Sébastien Bertrand (Genève) et la galerie Air de Paris (Paris), www.airdeparis.com
Walter Robinson & Richard Walter, “Double Feature”, jusqu’au 4 février 2023 à la galerie Sébastien Bertrand, Genève.
Doctor Jane, Walter Robinson, 2022, Acrylic on canvas, 122 x 91,5 (48 x 36 in.)
The Scalpel, Walter Robinson, 2022, Acrylic on canvas, 122 x 91,5 (48 x 36 in.)

Numéro : Quel a été votre parcours ?

Walter Robinson : J’ai grandi dans un univers banlieusard, à Tulsa, dans l’Oklahoma. Je suis l’artiste le plus normal que l’on puisse imaginer. Je fais de l’art normal.

 

Comment avez-vous su que vous vouliez être artiste ?

J’étais le gamin qui savait dessiner : je m’étais spécialisé dans les duels, sous un soleil au zénith, entre le gentil qui portait un badge et le méchant qui cachait son visage sous un bandana noir. Un peu plus tard, j’ai cherché “Seurat” dans l’encyclopédie World Book, mais il ne s’y trouvait pas – donc j’ai dû venir à New York. Pour ce qui est de ma vocation d’artiste, tout le monde a cherché à la décourager, et elle a dû se faire toute seule.