Comment Aurélien Heilbronn transforme le MMA en œuvre d’art
Méditation surréaliste explorant la signification de “l’oreille de chou-fleur”, le premier court-métrage du réalisateur français Aurélien Heilbronn transforme le MMA – un sport de combat réputé pour sa violence – en œuvre d’art puissante.
par Léa Zetlaoui.
Premier court-métrage de Aurélien Heilbronn, Cauliflower nous plonge dans l’univers du MMA, un sport de combat réputé pour sa violence, qui le passionne et qu’il pratique lui-même depuis des années. Loin des clichés des documentaires sportifs, le réalisateur français, qui a notamment collaboré avec les maisons Louis Vuitton et Thom Browne, signe ici une œuvre artistique hybride, sous forme de méditation surréaliste qui met en scène Jess Liaudin, un des premiers combattants de MMA français à l’UFC. Pour Numéro, Aurélien Heilbronn raconte l’inspiration et la signification de son premier court-métrage Cauliflower.
MMA et surréalisme dans le premier court-métrage d’Aurélien Heilbronn
Numéro : Quand est née l’idée de ce court-métrage?
Aurélien Heilbronn : Le film est né de mon attachement au monde du MMA. Pratiquant ce sport et passionné, je ne pouvais m’empêcher de remarquer les réactions et les perceptions diverses entourant l’oreille tuméfiée des combattants. Marqué par la statue du Boxeur des Thermes (une statue antique exposée au Musée National Romain), j’ai souhaité explorer la dichotomie entre les perspectives modernes qui considèrent l’oreille de chou-fleur comme une déformation et l’importante signification qu’elle avait parmi les pugilistes vénérés de la Grèce antique.
Pourquoi une réalisation hors du ring et qui exclut totalement les codes de l’univers sportif ?
Mon désir était de raconter une histoire qui transcende les frontières des sports de combat et plonge le spectateur dans la réflexion intérieure de ceux qui les pratiquent. Le choix de m’éloigner des clichés habituels des films de MMA me permettait de plonger dans le surréalisme, où la frontière entre la réalité et l’inconscient est floue.
Vous citez le surréalisme comme inspiration, pourquoi ce mouvement est-il pertinent dans votre approche cinématographique?
Le surréalisme m’a permis de m’éloigner de l’univers purement sportif, il permet d’explorer le subconscient et de capturer les aspects intimes de l’esprit humain. Une approche pertinente pour Cauliflower, car je voulais que le film plonge le spectateur dans une expérience sensorielle, où les significations cachées de l’oreille de chou-fleur et les émotions complexes qui l’entourent soient explorées. Cela crée une toile de fond pour aborder des thèmes tels que l’identité, la beauté et la persévérance. J’ai voulu statufier les corps et esthétiser le sang, matière première de l’oreille de chou fleur, c’est pourquoi le noir et blanc s’est imposé dès la genèse du projet.
Quelles techniques cinématographiques avez-vous utilisé pour transposer cette approche visuelle surréaliste?
J’utilise l’association libre [qui consiste ici en une succession d’images sans lien évident les unes avec les autres, ndlr] pour révéler les pensées inconscientes liées à ce symbole et le ressenti de ceux qui le porte. La narration non linéaire participe aussi à créer une atmosphère énigmatique qui, renforcée par les effets visuels et sonores, contribuent à la dimension sensorielle et surréelle du film.
Jess Liaudin, star française du MMA et premier rôle de Cauliflower
Qu’est-ce qui vous plaît dans le MMA, un sport considéré comme très violent?
Ce qui me fascine dans le MMA et les sports de combat de manière générale, ce n’est pas tant leur nature compétitive et violente mais les valeurs de dévouement, de discipline et de persévérance qu’ils représentent. C’est une quête constante d’amélioration de soi, tant sur le plan physique que mental.
La façon dont vous abordez la sensibilité masculine est très éloignée de celle que l’on voit habituellement dans les films et documentaires qui abordent la thématique des sports de combat.
Dans Cauliflower, la sensibilité masculine est, je l’espère, abordée sous un angle différent de ce que l’on voit habituellement dans le monde des combattants de MMA. En effet, ils sont souvent perçus comme des hommes dangereux et agressifs, incarnant une forme de masculinité stéréotypée basée sur la force physique et la domination. Cependant, le personnage principal, à travers son éthique et sa quête d’acceptation de soi, montre une facette plus vulnérable qui remet en question cette image. Les apparences sont souvent trompeuses.
En parallèle, que représente le jeune combattant?
Le personnage jeune et égaré donne à voir un autre aspect de ce stéréotype qui entoure les jeunes combattants. Il incarne la quête de respect et de reconnaissance, cherchant désespérément à se conformer à une image idéalisée de la masculinité. Ce qui le mène finalement vers l’automutilation, la destruction de soi.
Outre la violence physique, les sports de combat, et le MMA en particulier, imposent une véritable pression à ceux qui les pratiquent.
Tout à fait, et en explorant ces deux facettes de la masculinité, Cauliflower offre une réflexion sur l’importance de l’authenticité et de l’acceptation de soi. Malgré les apparences, le personnage de Jess Liaudin incarne un exemple positif d’une masculinité qui embrasse la vulnérabilité et l’individualité, tandis que le personnage du jeune homme rappelle les conséquences néfastes de rejeter sa vraie nature pour se conformer aux normes.
Comment avez-vous rencontré Jess Liaudin ? A-t-il accepté votre projet facilement?
J’ai rencontré Jess Liaudin par le biais de connaissances communes dans le milieu du MMA. Lorsque je lui ai présenté le scénario de Cauliflower, il s’est montré immédiatement intéressé et enthousiaste à l’idée de jouer un rôle principal dans lequel il se reconnaissait tant. L’histoire le touchait personnellement et il a apporté une profondeur au personnage. Je lui suis reconnaissant de sa confiance, de son temps et de son talent.