3 déc 2025

Pourquoi il faut voir Mektoub My Love : Canto Due, le dernier volet de la saga

Sept ans après Mektoub My Love : Canto Uno, fresque solaire sur la jeunesse sétoise, Abdellatif Kechiche revient ce mercredi 3 décembre 2025 avec Mektoub My Love : Canto Due. Un come-back que beaucoup n’attendaient plus, tant le scandale autour du second volet, Mektoub My Love : Intermezzo, semblait avoir définitivement enterré le projet. Présenté en grande pompe au Festival de Locarno cet été, ce nouveau chapitre parvient-il à dépasser le premier opus ?

  • par Nathan Merchadier.

  • Publié le 3 décembre 2025. Modifié le 4 décembre 2025.

    La bande-annonce du film Mektoub My Love : Canto Due (2025).

    Shaïn Boumedine et Ophélie Bau réunis derrière la caméra d’Abdellatif Kechiche

    L’arrivée au cinéma du dernier film du triptyque Mektoub My Love d’Abdellatif Kechiche (La Vie d’Adèle) a pris les cinéphiles de court, tant la saga paraissait condamnée. Après avoir découvert un Mektoub My Love : Canto Uno (2018) vibrant, baigné de lumière, de désir et de nuits agitées sur les plages de Sète, tout avait déraillé.

    Mektoub My Love : Intermezzo (2022), présenté au Festival de Cannes, mais jamais distribué, avait suscité son lot de polémiques et de litiges. La cause ? Des droits musicaux exorbitants, mais surtout, une scène de sexe oral interminable ouvrant le long-métrage qui avait provoqué le départ de nombreux spectateurs.

    Pourtant, Abdellatif Kechiche rassemble à nouveau sa troupe (Shaïn Boumedine, Ophélie Bau, Salim Kechiouche) pour ressusciter les élans d’un été (des années 90) qui semblait figé à tout jamais. Le réalisateur de La Vie d’Adèle (2012) renoue ici avec ses obsessions, mais signe un film en apparence plus apaisé ainsi que plus mélancolique. Si l’humour est toujours présent, l’atmosphère est moins contemplative que Canto Uno.

    Quand Hollywood s’invite à Sète

    Le film Mektoub My Love : Canto Due reprend précisément là où Canto Uno s’arrêtait, au cœur des fêtes et des corps qui se cherchent. Mais l’arrivée d’un couple d’Américains fortunés (une actrice capricieuse et son mari producteur) bouleverse la routine des jeunes gens. Dès la première scène, Abdellatif Kechiche installe un rapport de domination subtil. Jess (la solaire Jessica Pennington) exige un couscous alors que le restaurant familial s’apprête à fermer ses portes.

    La séquence qui suit, où les Sétois tournent en dérision les manières vulgaires de la star hollywoodienne, frôle avec une scène de théâtre, voire de vaudeville. Mais surtout, elle amorce l’intrigue. Car pour se racheter de ce dîner tardif imposé aux responsables de l’établissement (parmi lesquels figure l’actrice et réalisatrice Hafsia Herzi), le producteur accepte de lire le scénario d’Amin, l’alter ego du cinéaste, incarné avec sensibilité par Shaïn Boumedine (Pas de vagues).

    Un film qui échappe aux travers du male gaze

    Cet échange ouvre une série de péripéties, de discussions et de rendez-vous dans la villa somptueuse des Américains jusqu’à une tension sexuelle entre Tony (formidable Salim Kechiouche) et Jess, lassée de son couple et du cinéma. Puis vient le basculement : un accident, une piscine ensanglantée, les urgences de Sète… Le film prend alors une tournure plus amère et plus politique.

    Dans ce dernier volet, le naturaliste Abdellatif Kechiche orchestre les événements avec un nouveau regard, délaissant le male gaze, la crudité et les longueurs qui lui étaient reprochées dans le premier opus pour offrir un spectacle plus précis et captivant.

    Un troisième volet réussi

    Il n’est d’ailleurs pas essentiel d’avoir vu Mektoub My Love : Intermezzo, aperçu uniquement par quelques privilégiés au Festival de Cannes en 2022, pour comprendre ce qui se joue ici. Mektoub My Love : Canto Due se suffit à lui-même et redonne à la saga une cohérence inespérée. “Avec le recul, j’ai l’impression que si Canto Uno célébrait la beauté, l’élan, le désir, dans une forme jaillissante, Canto Due lui fait écho, autrement. Tourné dans la même urgence, il explore une autre tonalité. Les corps dansent encore, les rires résonnent, mais le récit se tord, le réel s’y infiltre et l’innocence du premier se heurte à des malentendus. On glisse vers un désenchantement”, note le réalisateur dans sa note d’intention.

    Avec ce troisième film désenchanté, vibrant et brillant, Abdellatif Kechiche, qui a récemment été victime d’un AVC et dont la société de production est en faillite suite à un contentieux financier l’opposant à certains de ses investisseurs), signe un chapitre qui redonne foi en son cinéma, même si on est tout de même assez loin de la grâce de La Graine et le mulet (2007).

    Mektoub My Love : Canto Due (2025) d’Abdellatif Kechiche, actuellement au cinéma.