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Julien Dossena
Julien Dossena, directeur artistique de Rabanne, redéfinit la mode française entre rigueur, émotion et élégance contemporaine.
Les débuts de Julien Dossena
Julien Dossena voit le jour le 8 août 1982 à Ploemeur, dans le Morbihan, une région bretonne baignée de lumière et d’influences maritimes. Enfant, il grandit au Pouldu, un village de bord de mer dont l’atmosphère artistique imprègne son imaginaire. Très tôt, il s’intéresse au dessin, aux couleurs et aux matières. Son goût pour la création s’affirme, notamment à travers la mode, qu’il perçoit déjà comme une forme d’expression complète, à la croisée de l’art et du quotidien.
Après son baccalauréat obtenu en 2000, il quitte la Bretagne pour Paris, où il intègre l’École supérieure des arts appliqués Duperré. Cette formation lui apporte une approche concrète du vêtement, ancrée dans la technique. Puis, animé par le désir d’aller plus loin, il poursuit son apprentissage à Bruxelles, à l’École nationale supérieure des arts visuels de La Cambre. Là-bas, il développe un regard conceptuel sur la mode et apprend à lier la rigueur du design à l’émotion créative. Ce double parcours, entre artisanat et conception, marquera durablement son approche du vêtement.
Premiers pas dans la mode
En 2007, une fois diplômé, Julien Dossena retourne à Paris. Sa vision claire, son exigence esthétique et son sens de la coupe attirent rapidement l’attention. L’année suivante, en 2008, il intègre la prestigieuse maison Balenciaga comme stagiaire, alors dirigée par Nicolas Ghesquière.
Cette expérience est déterminante : il y apprend à travailler sur la structure, l’architecture du vêtement, et sur la tension entre tradition et modernité. Balenciaga, réputée pour son héritage sculptural, lui offre un terrain d’expérimentation rare. Peu à peu, il gravit les échelons et devient un membre clé de l’équipe de création. Cependant, après plusieurs années au service d’une autre vision, il ressent le besoin d’exprimer la sienne.
En 2012, il quitte Balenciaga pour fonder sa propre marque, ATTO qui est sélectionnée pour le premier prix LVMH.
L’arrivée chez Paco Rabanne
Le tournant décisif de la carrière de Julien Dossena intervient en juillet 2013, lorsqu’il est nommé directeur artistique de Paco Rabanne. À ce moment, la maison, fondée dans les années 1960 par Francisco Rabaneda y Cuervo, cherche à renouer avec sa puissance créative. La mission est exigeante : redonner de l’élan à une marque associée à l’expérimentation et à l’avant-garde, sans en figer l’héritage. Dès son premier défilé, en septembre 2013 pour l’automne-hiver 2014, il impose une lecture contemporaine des codes historiques — métal, assemblages, structure — mais débarrassée de l’aspect théorique. Les silhouettes gagnent en fluidité, en portabilité, comme si la mode devait habiter le quotidien sans renoncer à l’idée.
Plutôt que de rejouer les archives, Julien Dossena en retient l’intention : la liberté, l’anticipation, l’expérimentation. Il s’agit moins d’imiter le passé que d’en prolonger la pensée. Sa démarche consiste alors à créer des vêtements conçus pour être vécus, non seulement regardés. Le futurisme des années 1960 devient une matière dynamique, capable de dialoguer avec le présent.
Réinterpréter une maison : du nom à l’esprit
Ces dernières années, la maison a choisi d’opérer une transformation symbolique en abandonnant le prénom pour devenir simplement Rabanne. Ce changement, loin d’un simple raccourcissement, manifeste une volonté d’entrer pleinement dans une nouvelle phase. Retirer « Paco » revient à affirmer que l’esprit visionnaire initie encore les collections, mais que la marque se tourne vers une identité plus universelle, moins liée à une figure et davantage ouverte à de nouvelles trajectoires. Sous la direction de Julien Dossena, cette évolution s’est faite naturellement : il n’a jamais cherché à reproduire son fondateur, mais à en prolonger la vision dans un vocabulaire actuel, plus incarné.
Renaissance créative
En cinq ans, il repositionne la maison au cœur du paysage mode international. Sa vision, cohérente et lisible, attire une génération de clientes et de clients qui voient dans Rabanne une proposition à la fois audacieuse et praticable. Les matières techniques se mêlent à des tissus plus organiques, les coupes se construisent dans l’équilibre entre rigueur et souplesse. Ses collections empruntent à la rue, à la culture pop, sans abandonner la profondeur conceptuelle. Julien Dossena travaille pour que la mode ne soit pas uniquement spectaculaire sur un podium, mais puisse accompagner une silhouette dans le réel. Ce pragmatisme n’exclut pas la pensée : il la rend concrète. Sa manière de concevoir la création articule intuition esthétique et responsabilité contemporaine. Il ne s’agit pas simplement de produire des images, mais de formuler des objets qui traversent le temps sans renoncer à une forme d’intensité.
Collaborations et reconnaissance
Rapidement, son travail attire l’attention du monde de la mode et des médias. En 2016, il est nommé président du jury du Festival de Hyères, là même où, dix ans plus tôt, il avait reçu le prix spécial. Ce retour témoigne de la reconnaissance de son parcours. Par ailleurs, sa collaboration avec Peter Saville illustrent son intérêt pour le dialogue entre mode, musique et identité visuelle.
Une écriture entre héritage et projection
La tension qui irrigue la signature de Julien Dossena tient dans sa manière de concilier innovation et fidélité. Le métal emblématique devient matière émotionnelle ; la structure devient mouvement. Le vêtement, parfois pensé comme « armure contemporaine », protège sans dissimuler. C’est peut-être là que se loge sa singularité : faire de la modernité un terrain de pensée.
En 2023, lorsqu’il est invité à signer une collection haute couture pour Jean Paul Gaultier, il déplace son langage vers un nouveau champ, sans en trahir l’origine. Ce geste consacre une position déjà acquise : celle d’un créateur capable de penser la mode comme un espace de continuité entre ce qui a été imaginé et ce qui reste à construire.
Une vision pour l’avenir
Breton d’origine, parisien par choix, Julien Dossena avance sans composer de manifestes : il laisse les vêtements parler à sa place. Là réside peut-être sa singularité. Ses collections ne cherchent pas à imposer une vision, mais à ouvrir une possibilité. Il se tient à égale distance de l’archive et de la promesse. Ce qu’il construit n’est pas une image figée, mais une façon d’habiter son époque. Ainsi, saison après saison, il confirme qu’une maison peut évoluer sans rompre avec elle-même.