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29 oct 2025

Le jour où la guillotine est entrée au musée

L’imaginaire qu’elle convoque est presque aussi fantasque que sa réalité : la guillotine, symbole de la Révolution française, vient d’intégrer le parcours des collections permanentes du Mucem, à Marseille. Cette reconnaissance muséale advient en parallèle de la panthéonisation de Robert Badinter, à qui l’on doit l’abolition de la peine de mort en 1981. Retour sur la destinée de cet objet patrimonial, de la place de la Concorde aux abords de la mer Méditerannée…

  • Par Camille Bois-Martin.

  • La guillotine, symbole de la Révolution française

    Le 17 septembre 1981, Robert Badinter, alors garde des Sceaux et ministre de la justice, gravit l’estrade de l’Assemblée nationale pour défendre le projet de loi d’abolition de la peine de mort. Historique, ce moment divise néanmoins la nation : 62% des Français sont alors encore favorables à son maintien…

    Il faut dire que cette décision de justice clôture en effet l’un des chapitres les plus sanglants de notre histoire. Jusqu’à la dernière exécution en 1977 à la prison des Baumettes (Marseille), la guillotine est encore utilisée par la justice depuis son invention à la fin du 18e siècle. Instaurée comme l’outil officiel des exécutions capitales en France dès 1792, elle forge sa légende au cours de la Révolution française – qui en fait à la fois un symbole de l’abolition de la royauté, mais aussi de la Terreur (1793-1794).

    Le “rasoir national”…

    D’abord dite “Louisette” ou “Louison” en référence à son inventeur Antoine Louis, elle prend par la suite le nom de Joseph-Ignace Guillotin, qui en a imposé son utilisation. Aussi surnommée “le rasoir national”, la “veuve” ou le “raccourcisseur patriotique”, la guillotine fait aujourd’hui encore trembler notre imaginaire collectif, responsable d’avoir tranché la tête de Louis XVI et de Marie-Antoinette, pour les plus célèbres, mais aussi de toutes les figures révolutionnaires suspectes…

    De nombreuses gravures et peintures d’exécutions publiques, organisées sur la place de la Concorde et sur de nombreuses places tout au long du 19e siècle, se croisent aujourd’hui dans les collections d’institutions françaises, du musée Carnavalet au musée de la Révolution française.

    Un objet interdit d’exposition jusqu’en 2000

    Mais nul n’avait encore osé exposer une version tangible de l’instrument de torture… Si ce n’est très récemment le Victoria & Albert Museum, outre-Manche, au sein de l’exposition dédiée à la dernière reine de France (ouverte jusqu’au 22 mars 2026). Parmi les vêtements cossus de Marie-Antoinette – le musée se concentre principalement sur le style mémorable de l’épouse de Louis XVI et son influence –, on croise en effet la lame qui aurait servi à lui trancher la tête.

    Symbole politico-social fort, la guillotine représente ainsi un morceau d’histoire révolue, qui restait pourtant encore d’actualité il y a seulement quatre décennies. Si, au début de la Troisième République (1870), plusieurs propositions d’abolition de la peine de mort sont déposées au Parlement, ce n’est que le 9 octobre 1981 que la loi est finalement adoptée par les députés, à 363 voix contre 117. Grâce à Robert Badinter, la guillotine devient un objet “désuet” et patrimonial, inscrit dans le passé.

    Le Mucem rend hommage à Robert Badinter

    À ce dernier, on doit également la conservation d’une version de 1872 par Alphonse-Léon Berger, utilisée jusqu’à la fin des exécutions publiques. Quelques mois seulement après le vote de la loi, elle entre dans les collections nationales du musée national des Arts et Traditions populaires. Cette patrimonialisation de l’objet clôture alors une forme de justice violente, qui ne survivra plus que dans les récits historiques et l’imagination… Mais sa conservation est soumise à la condition que l’objet ne soit pas exposé au public avant l’an 2000, révélant un climat politique encore tendu.

    Héritier de cette institution muséale, le Mucem entre par la suite en possession de cette même guillotine, exposée brièvement en 2010 à Orsay, puis au centre pénitentiaire des Baumettes en 2019. À l’occasion de la panthéonisation de Robert Badinter le 9 octobre dernier, le musée marseillais l’intègre finalement au sein de son parcours permanent. Exposée parmi une sélection d’objets et de documents des révoltes étudiantes, ouvrières ou féministes qui ont secoué le 20e siècle, la guillotine se fait le témoin d’une décision charnière. Aujourd’hui, son mécanisme reste bloqué, pour des raisons de conservation – mais surtout de sécurité… Plus aucune tête ne sera tranchée.

    “Populaire ? Les trésors des collections du Mucem”, exposition permanente au Mucem, Marseille.