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Les poupées de Liselor Perez s’invitent à l’église pour le prix Rubis Mécénat
Nouvelle artiste lauréate du prix Rubis Mécénat, lancé en 2021 avec les Beaux-Arts de Paris, la jeune diplômée Liselor Perez présente jusqu’au 30 novembre une exposition à l’église Saint-Eustache, à Paris, désormais peuplée de quatre étranges poupées…
Par Matthieu Jacquet.

Liselor Perez, nouvelle artiste lauréate du prix Rubis Mécénat
L’église Saint-Eustache ne manque pas d’atouts. Ses immenses voûtes et colonnes, son orgue impressionnant, ses nombreux vitraux et peintures, ou encore sa flamboyante chapelle de la Vierge ornée de dorures en font sans doute l’un des plus majestueux édifices gothiques de Paris. Mais depuis quelques semaines, de nouveaux habitants ont fait leur apparition dans cette merveille du patrimoine français, qui a aussi bien accueilli le baptême de Molière que la communion du roi Louis XIV. Dans l’une des chapelles latérales de l’église, notamment, un pantin à taille humaine est alangui contre l’autel : son vêtement blanc semble coupé dans le même tissu que le napperon qui recouvre la pierre, tandis que ses bras paraissent faits du même bois que celui qui habille les murs. Voilà l’un des quatre personnages imaginés par Liselor Perez pour son exposition “Cent Sommeils”. Lauréate du prix Rubis Mécénat 2025, la jeune artiste fut invitée, comme ses prédécesseurs, à s’inspirer de ce lieu séculaire, et y invite les poupées et pantins qui peuplent son imaginaire.
Une exposition en dialogue avec l’église Saint-Eustache
Après la rencontre avec cette première sculpture, le dialogue entre l’artiste et le lieu s’affirme encore davantage. Contre l’une des immenses colonnes de l’église gît un autre personnage, accroupi, dont le corps cette fois-ci solide et beige paraît tout droit sorti de la pierre à laquelle il s’adosse. Sur sa tête ovoïde, on peine à discerner le moindre visage, alors qu’en relief se dessinent sur son corps quelques détails des pierres et lignes des voûtes du bâtiment – comme si ce personnage en avait pris la forme.
Après avoir longuement parcouru l’église, la jeune femme tout juste diplômée des Beaux-Arts de Paris a, pendant plusieurs mois, modelé la résine et l’a incrustée de jesmonite et de sel pour donner naissance à cet être-cathédrale. Sa posture assise, incarnant aussi bien une forme de déférence à l’égard de ce somptueux décor religieux, qu’une attitude d’introspection, voire de prière, n’est pas sans rappeler le motif artistique séculaire du penseur solitaire (difficile de ne pas y voir un écho au Penseur de Rodin). Si l’immense hauteur des cathédrales – 33 mètres de haut, pour celle-ci – incite régulièrement les artistes à s’y mesurer avec monumentalité, Liselor Perez a préféré répondre par une forme d’humilité, voire d’intimité.


Des œuvres où se rencontrent le corps et le décor
Cela fait maintenant plusieurs années que la plasticienne (formée dans l’atelier de Dominique Figarella) fait de ses œuvres le théâtre d’une rencontre entre le corps et le décor. Déclinaisons grandeur nature des créatures mystérieuses, enfantines et parfois inquiétantes, qui peuplent ses dessins au crayon de couleur, ses sculptures hybrides se drapent dans des linges de maison, tartans, tissus à imprimés floraux et autres fragments de torchons ou de chemises de nuit assemblés en patchworks. Dans ses installations, on croise souvent ces drôles de poupées au milieu de meubles domestiques, jusqu’à les voir fusionner ensemble, comme cet enfant-lampe au visage poupon éclairé comme une ampoule, et coiffé d’un abat-jour polymatière.
Une démarche que l’on retrouve dans les deux derniers personnages que l’on croise dans le transept nord de l’église Saint Eustache, l’un assis sur une chaise, l’autre, sur un rebord en pierre. Là où Liselor Perez avait précédemment montré son appétence pour les couleurs pastel, ces deux nouvelles œuvres, couvertes par endroits de brocarts verts, rouge et bleu roi ornés de motifs dorés, entrent en écho direct avec le papier-peint que l’on découvre derrière elles, tels des caméléons. Leur structure articulée apparente est faite de bandes de fines bois de plaquage, que l’artiste teinte, courbe et assemble minutieusement pour en faire des corps dont on discerne aussi bien le squelette que la peau.


La poupée, motif favori des artistes contemporains
Si, de Hans Bellmer à Gisèle Vienne, en passant par Annette Messager, Eva Aeppli et Sarah Lucas, les poupées n’en finissent pas de jalonner l’histoire de l’art contemporain, celles de Liselor Perez ont ceci de particulier qu’elles portent, par leur structure composite, ouverte et articulée, une vulnérabilité assumée. Tout comme par leur posture, irrémédiablement passive. “Je n’ai pas envie de les ériger : j’aime qu’elles soient vraiment fragiles, dans une forme de mollesse”, explique l’artiste, qui ajoute ressentir une certaine familiarité avec ces personnages, dans lesquels elle identifie ses proches autant qu’elle-même.
Ce dialogue fructueux avec l’impressionnant édifice parisien est au cœur du projet lancé par le fonds de dotation Rubis Mécénat avec les Beaux-Arts de Paris, en 2021. Au fil de ces cinq années, on a vu les lauréats de ce prix annuel, tous jeunes diplômés de l’école, s’en emparer de manières très variées : impressions suspendues des piliers en calcaire de l’église par Marc Lohner, ex-voto en cuivre de Charlotte Simonnet, grands corps peints la tête en bas sur toiles par le peintre Dhewadi Hadjab… Outre son jeu de camouflage assumé avec l’édifice, Liselor Perez s’est également mise à l’épreuve dans la réalisation de ce “gardien de l’église” en résine, utilisant ici une technique inédite dans sa pratique. Ici pleine et homogène, cette sculpture porte sur elle les marques de son environnement – rosace, briques, feuilles d’acanthe –, dont elle semble tatouée. “Liselor Perez nous murmure qu’il est impossible d’extraire l’être humain de son contexte. Dans une époque qui réfute le hors-sol, cela va de bon ton”, conclut Julia Marchand, commissaire qui a accompagné l’artiste ici et la présentera bientôt dans une exposition collective en Pologne. Au-delà de cette belle visibilité, Liselor Perez a déjà été repérée par la galerie parisienne Sans titre, où elle présentera une exposition personnelle en 2026.
“Liselor Perez. Cent Sommeils”, exposition du prix Rubis Mécénat 2025 en partenariat avec les Beaux-Arts de Paris, jusqu’au 30 novembre 2025 à l’église Saint-Eustache, Paris 1er.
