6 oct 2025

Duran Lantink : le digne héritier de Jean Paul Gaultier  

Le premier défilé de Duran Lantink pour Jean Paul Gaultier. Le créateur néerlandais s’impose comme le digne héritier du couturier français.

  • par Delphine Roche.

  • La première collection de Duran Lantink pour Jean Paul Gaultier a posé une évidence : le célèbre couturier a trouvé en la personne du jeune Néerlandais un digne héritier, capable de revisiter avec talent à la fois ses codes et son esprit. L’émotion de Jean Paul Gaultier lors de ce premier défilé présenté dans les sous-sols du musée du quai Branly, traduisait à quel point Duran Lantink a visé juste.

    Le Néerlandais, lauréat du prix LVMH en 2024, a grandi via sa mère dans la culture club, entouré de figures queer. Il en a gardé la conviction sereine qu’il était possible de s’affirmer et de revendiquer son identité. Les collections de cet admirateur de Walter van Beirendonck, qui l’a soutenu lors de ses études de mode au Sandberg Instituut, se sont notamment évertuées à repenser le vestiaire contemporain en prenant la suite de la déconstruction belge, avec des volumes repensés et étonnants. Plus récemment, il ajoutait des protubérances à ses silhouettes, évoquant la célèbre collection Lumps and Bumps de Comme des Garçons, et assumait ainsi une direction plus radicale : redessiner le corps humain.

    La première collection de prêt-à-porter que le Néerlandais a présentée pour Jean Paul Gaultier s’inscrivait dans ce sillage. Dans cet espace d’allure industrielle, le directeur artistique dédiait ce premier opus à la ligne Junior de Jean Paul Gaultier, à son énergie rebelle, jeune et décomplexée. Un bar accueillait les invités, jonché des reliques d’une soirée visiblement animée : verres, paquets de cigarettes et bouteilles vides. Une installation qui pouvait évoquer les restes de repas et cocottes de moules vides de l’artiste belge Marcel Broodthaers, et qui donnait le ton de ce qui allait suivre : la célébration de la liberté associée à la vie nocturne.

    Parmi les références du show, figure Het RoXY Archief, 1988–1999, un ouvrage de la photographe néerlandaise Cleo Campert, consacré à ce club mythique d’Amsterdam qui a marqué l’imaginaire de Duran Lantink, trop jeune pour le fréquenter alors.

    Quelques semaines plus tôt, le créateur avait dévoilé sa collection en nom propre baptisée Duranimal, photographiée par Juergen Teller et faisant la part belle aux imprimés animaliers superposés en total look. Sa première collection pour Jean Paul Gaultier était marquée par la même créativité : embrasser le camp, et reprendre à l’ère d’aujourd’hui, l’esprit Gaultier plutôt que de s’astreindre à ressasser des codes de façon trop lisse et révérencieuse. La marinière était donc revue sous la forme d’un costume alliant corset et cycliste à rayures circulaires façon op’art, sur un garçon. La silhouette de torero, repensée avec un bombers court. Une robe blanche façon Marilyn, maintenue soulevée par une structure cachée. La collection Tatoo, revisitée en un ensemble en trois dimensions. A l’ère où l’exposition du corps est devenue un outil d’affirmation de soi et de création performative de sa propre identité, Duran Lantink postule un rapport décomplexé et ironique au corps, repense ce qu’il convient de montrer ou de cacher, joue de l’artifice, du faux-semblant. Il ose questionner les normes de goût, comme autant d’outils critiques pour revisiter les normes esthétiques, sociales et morales, à la façon des artistes contemporains.

    Dans les années 80, Jean Paul Gaultier embrassait pleinement le culte du corps qui se faisait jour via la culture de l’aérobic et les héros du cinéma dopés aux stéroïdes, tels Sylvester Stallone. Son parfum “Le Mâle”, créé par Francis Kurkdjian en 1995, et dont une exposition célébrait cette année le trentième anniversaire, est ainsi devenu un symbole d’une des révolutions accomplies par le couturier : érotiser le corps de l’homme et participer à libérer les imaginaires. A partir de ces années 80 et 90, où la pop music triomphait via les clips vidéo diffusés sur MTV, Jean Paul Gaultier a été plus qu’un créateur ou un couturier : un agitateur, un contributeur à un dialogue sociétal sur les normes de genre et de goût. Inspirés par l’énergie de la vie et de la rue, ses plus hauts faits d’arme lui ont assuré l’amour indéfectible du public qui se presse toujours en masse à l’entrée de ses défilés : habiller l’homme en jupe ou en corset, la femme en costume de mafieux ou de banquier, inclure des boxeurs à gueules cassées ou des modèles « oversize » dans ses défilés… Si le « trouble dans le genre » et le rapport au corps sont des pierres fondatrices de l’édifice culturel légué par Jean Paul Gaultier, alors Duran Lantink, avec brio, pose ces problématiques dans les termes et avec les équations de son époque. Le couturier parisien avait créé d’astucieux tops à imprimé trompe-l’œil affublant fallacieusement les hommes de pectoraux et d’abdominaux parfaits. Duran Lantink, lui, fait défiler des femmes en catsuits imprimés d’une abondante pilosité masculine, voire d’un pénis. L’inventivité, l’audace du jeune directeur artistique, alliées à sa capacité à dessiner des volumes innovants, et à proposer par ailleurs des pièces énergiques et très désirables, telles que des jeans à empiècements façon patchwork, lui ouvrent assurément les portes d’un brillant avenir.

    Tous les looks du défilé Jean Paul Gaultier printemps-été 2026