Créatrice de mode

Elsa Schiaparelli 

Née à Rome en 1890 et disparue à Paris en 1973, Elsa Schiaparelli demeure l’une des créatrices les plus audacieuses du XXᵉ siècle. Figure avant-gardiste de la couture, elle a fait du surréalisme, de la couleur et du détournement, les matières premières de son art.

Les débuts d’Elsa Schiaparelli

Parmi les grandes figures de la mode du XXᵉ siècle, Elsa Schiaparelli occupe une place singulière : celle d’une visionnaire libre et irrévérencieuse. Son goût de l’expérimentation, son humour surréaliste et son sens du spectacle ont durablement façonné la haute couture parisienne. Fondée en 1927, sa maison a imposé un style à la fois théâtral, ironique et profondément artistique — un véritable laboratoire d’idées plus qu’un simple atelier de mode.

Une enfance au cœur d’un univers érudit

Née à Rome en 1890, Elsa grandit dans une famille d’intellectuels. Son père, professeur d’histoire, et son oncle Giovanni, astronome renommé, lui transmettent le goût du savoir et de la curiosité. Très tôt, elle observe, s’évade et rêve. Adolescente rebelle, elle écrit des poèmes jugés scandaleux par ses proches. Envoyée dans un couvent pour être « corrigée », elle refuse de plier. Après une grève de la faim, elle est renvoyée — un acte de résistance qui annonce déjà son indépendance farouche.

Un destin façonné par les voyages

Au début des années 1910, Elsa quitte l’Italie pour Londres, où elle rencontre l’intellectuel Wilhelm de Wendt de Kerlor. Le couple se marie mais leur union s’effrite vite. Restée seule avec sa fille Maria Luisa, Elsa s’installe bientôt à Paris, capitale artistique en pleine effervescence. Là, elle fréquente les cercles dadaïstes, croise poètes et peintres, et découvre une liberté nouvelle. Sans formation technique, elle se met à expérimenter le vêtement directement sur le corps, en drapant, en découpant, en improvisant. Déjà, son style s’affirme : libre, instinctif, anticonformiste.

La fondation de la maison Schiaparelli

En 1927, elle lance sa première ligne de tricots : des pulls en trompe-l’œil ornés d’illusions graphiques, qui provoquent aussitôt la curiosité de la presse et des élégantes. Le succès est immédiat. Quelques années plus tard, elle installe sa maison place Vendôme, au cœur du Paris du luxe.

Là où Coco Chanel célèbre la sobriété, Schiaparelli revendique l’excentricité. Elle ne cherche pas à habiller, mais à raconter ; elle ne coud pas un vêtement, elle compose une idée. En cela, elle invente déjà une couture conceptuelle, bien avant l’heure.

L’audace du surréalisme

Parce qu’elle comprend que la mode peut dialoguer avec l’art, Elsa collabore avec les plus grands esprits de son temps. Avec Salvador Dalí, elle imagine la fameuse robe homard et le chapeau-chaussure ; avec Jean Cocteau, elle crée des broderies aux illusions poétiques ; avec Meret Oppenheim, elle explore la matière et le détournement.

En 1937, elle lance le parfum Shocking, contenu dans un flacon inspiré des courbes de Mae West, et dévoile sa couleur fétiche : le shocking pink. Ce rose vibrant, presque provocant, devient son emblème. À chaque collection, elle bouscule le goût, interroge la beauté, amuse l’œil. Elsa Schiaparelli revendique une mode libre, joyeuse et surréaliste, là où d’autres prônent la raison et la mesure.

Des collections comme des performances

Dans les années 1930, ses défilés deviennent de véritables spectacles vivants. Les mannequins apparaissent tels des actrices, les tissus jouent avec la lumière, et les accessoires défient la logique. À travers ces mises en scène, Schiaparelli transforme la présentation d’une collection en acte artistique.

Ses créations séduisent de nombreuses personnalités : Mae West, la duchesse de Windsor, ou encore Marlene Dietrich. Toutes trouvent chez elle une manière d’affirmer leur indépendance et leur audace.

Un choc après-guerre

La Seconde Guerre mondiale vient interrompre cette ascension flamboyante. Dans un contexte troublé, Elsa Schiaparelli poursuit néanmoins son exploration artistique avec la même audace. Après la guerre, les mentalités changent et la mode se tourne vers d’autres idéaux. Fidèle à elle-même, Schiaparelli refuse de se conformer. En 1954, elle ferme sa maison et publie son autobiographie, Shocking Life, récit aussi audacieux que sincère, où elle raconte ses débuts, ses collaborations artistiques et sa vision d’une mode affranchie des conventions.

Une vision de la mode comme langage

Pour Elsa Schiaparelli, la mode n’est pas une fonction : c’est une langue poétique. Elle s’exprime à travers la couleur, la forme, la surprise. Chaque vêtement devient une phrase, chaque couture une ponctuation. Cette approche profondément esthétique la distingue de ses contemporains. Son goût du paradoxe, du jeu et de l’illusion inspire encore aujourd’hui les créateurs les plus audacieux, de John Galliano à Alexander McQueen.

La renaissance contemporaine

Après des décennies de silence, la maison Schiaparelli renaît en 2012. Depuis 2019, le directeur artistique Daniel Roseberry y insuffle une énergie nouvelle. En reprenant les codes historiques — bijoux sculpturaux, volumes dramatiques, couleurs explosives — il réinterprète le surréalisme pour notre époque.

Portées sur les tapis rouges par Lady GagaBella Hadid ou Cardi B, ses créations célèbrent la part de rêve chère à Elsa. Roseberry ne copie pas : il dialogue avec l’esprit de la fondatrice, prolongeant ce lien entre art et couture.

Une pionnière du luxe conceptuel

Plus qu’une couturière, Elsa Schiaparelli fut une pionnière du luxe conceptuel. Par son humour, son sens du détournement et sa liberté de ton, elle a prouvé que la couture pouvait être un manifeste. Ses vêtements, souvent empreints de poésie et d’ironie, ont redéfini le rapport entre corps et création. Même après la fermeture de sa maison, son influence demeure. Aujourd’hui encore, son nom évoque la fantaisie, la liberté et l’audace. Schiaparelli a fait de la mode un art total, et de l’imaginaire, une matière première.