1 oct 2025

Requiem : l’élégance sombre de Vincent Pressiat à la Fashion Week de Paris

Flamboyant et extraverti, le jeune créateur Vincent Pressiat propose une mode pleine d’audace, qui souffle un vent d’excitation sur les fashion weeks parisiennes. Les défilés de son label Pressiat vibrent d’une énergie exubérante inspirée en partie de ses années passées dans le monde de la nuit. À l’image de sa collection printemps-été 2026 baptisée Requiem, présentée à la Fashion Week de Paris ce mardi 30 septembre 2025…

  • Introduction par Nathan Merchadier

    propos receuillis par Delphine Roche.

  • Le défilé Pressiat printemps-été 2026

    Ce mardi 30 septembre, à l’occasion de la deuxième journée de la Fashion Week parisienne, Vincent Pressiat conviait ses invités (parmi lesquels on observait le couturier Charles de Vilmorin) à La Caserne, un lieu devenu un passage obligé du monde de la mode. Dans cet espace où émergent les créateurs de demain, le petit protégé de Jean-Paul Gaultier dévoilait sa collection printemps-été 2026, intitulée Requiem.

    Dès les premières silhouettes, ses codes apparaissent clairement. Une fascination pour le noir, une élégance traversée d’ombres, mais aussi une certaine tension entre sensualité et gravité. Après sa collection Cult, dévoilé en mars dernier et marqué par des volumes théâtraux et mystiques, le créateur poursuit son exploration du romantisme gothique. Cette fois dans une tonalité plus épurée.

    La force contemporaine de la femme Pressiat

    Le noir reste alors dominant, mais se voit magnifié par quelques éclats de beige qui percent l’obscurité. Là où Cult flirtait avec la provocation (jusqu’à une silhouette entièrement gainée de latex), Requiem choisit la subtilité. La femme Pressiat conserve son aura sulfureuse, mais gagne en liberté. Entre la muse et l’héroïne tragique, elle incarne une figure contemporaine, forte et élégante.

    Cette collection printemps-été 2026 dit beaucoup de la maturité d’une maison en plein essor. Mais pour en saisir toute la portée, il faut aussi revenir à l’histoire de son créateur. Celle d’un enfant de Besançon qui a grandi entre tissus et patronages. Et qui a su transformer ses rêves en réalité… Vincent Pressiat nous raconte au cours d’une interview sans filtre, son parcours et sa vision de la mode.

    L’interview de Vincent Pressiat

    Numéro : Je crois savoir que la mode coule dans les veines de votre famille, de génération en génération.

    Vincent Pressiat : On peut dire cela. J’ai grandi à Besançon, mais, dans les années 90, ma mère a travaillé pour plusieurs maisons de couture parisiennes. Quant à mon grand-père, il était tailleur, mais il a aussi exercé une diversité de métiers, tous ancrés dans les univers de l’art, de la mode, de la photographie. Ma mère avait transformé notre salon en atelier. Elle confectionnait tous mes vêtements, je ne me souviens pas en avoir jamais acheté. Elle me faisait aussi dessiner. J’imaginais des pièces assez démentes, et elle me les fabriquait. Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu travailler dans la mode, je n’ai jamais pensé faire autre chose. Pourtant, ma mère ne m’a pas enseigné la couture, mais j’ai pu aiguiser mon œil en la voyant travailler. Elle m’a appris le choix des matières, les tombés, ce genre de choses.

    On vous associe beaucoup au monde de la nuit, avez-vous commencé à faire vos propres vêtements pour sortir, comme de nombreux créateurs club kids?

    Oui, j’ai commencé à habiller mes amies à partir de mes 16 ans. Nous allions notamment à la Vogue Fashion Night Out. Nous venions à Paris spécialement pour l’occasion, et quand nous marchions dans la rue, des gens nous arrêtaient. J’ai ainsi rencontré des créateurs, des photographes, une femme qui m’a recommandé de tenter l’École de la chambre syndicale de la couture, et Jean-Paul Gaultier en personne !

    Sa rencontre avec Jean-Paul Gaultier

    Que vous a-t-il dit?

    À l’époque, il venait de faire toute une collection sur le jean avec des pics sur les épaules. Et moi, je m’étais fabriqué une tenue hérissée de pics. Il m’a fait des compliments sur ma veste, et nous avons parlé une bonne vingtaine de minutes. Il m’a poussé à croire en mes rêves, il m’a dit que je pouvais y arriver, que ma vie changerait complètement quand je viendrais vivre à Paris. Pour moi qui venais de Besançon, où j’arborais déjà des looks très forts et où on me regardait comme un alien, cette rencontre avec Jean-Paul m’a donné de la force, elle m’a encouragé à suivre la voie de l’audace. Et c’est notamment pour ça que je fais de la mode : pour aider les femmes qui n’ont pas confiance en elles.

    Un vêtement, c’est une sorte d’armure. Cela peut changer une vie. Plus tard, mon meilleur ami, Victor Weinsanto, travaillait au studio de Jean-Paul. Il m’a invité à une “Catherinette” organisée par son équipe, et je l’ai donc revu. Il se souvenait très bien de moi. Plus tard encore, il est venu assister à un de mes défilés avec Babeth Djian, et j’ai cru que j’accouchais, que je perdais les eaux ! Je me suis dit : “Oh, my God!” C’était le Saint-Graal pour moi.

    Le défilé Pressiat automne-hiver 2025.

    Belle consécration! Est-ce que vos études à la Chambre syndicale de la couture vous ont fait le même effet?

    À l’École de la chambre syndicale, j’ai finalement appris à coudre, et cela m’était très naturel. J’ai fini major de ma promotion. Je n’avais pas les moyens de me payer un an d’études supplémentaire pour faire un master, et l’école m’a carrément trouvé un financement. En vérité, cela a commencé très fort pour moi puisque, à l’oral de l’examen d’entrée, le directeur m’a sélectionné directement sur mon look, sans même regarder mon portfolio.
    Il m’a dit : “C’est bon, monsieur, vous puez la mode. Nous nous verrons donc à la rentrée.

    On dirait que les bonnes fées de la mode se sont donné rendez-vous au-dessus de votre berceau. D’ailleurs, comment avez-vous rencontré John Galliano, que vous avez assisté ?

    Il m’a vu passer dans la rue et a demandé à son assistant de me rattraper ! J’ai passé un entretien avec lui, et il m’a engagé comme assistant à la direction artistique chez Maison Margiela, parce qu’il me trouvait “inspirant”. Je peux donc dire que j’ai rencontré deux de mes idoles de mode, il ne manque à mon panthéon qu’Alexander McQueen et Yves Saint Laurent.

    Comment vous entendiez-vous avec John Galliano ?

    Il comprenait très bien ce qui m’animait, alors qu’à l’école mes inspirations déroutaient mes professeurs. Je faisais des collections sur des thèmes comme la prostitution ou l’addiction. Mon intention n’était pas de faire du trash : je vois, moi, une vraie poésie dans l’image d’un homme qui dégringole d’un trottoir à 6 heures du matin.

    C’est un thème très parisien, qui résonne même avec certains poèmes de Charles Baudelaire.

    Exactement. En tout cas, j’ai toujours aimé le monde de la nuit, on y trouve une liberté qui n’existe pas dans la journée. Pour payer mes études, j’étais chauffeur de salle au cabaret Manko. À l’époque, j’étais déluré, juché sur des chaussures impossibles, en corset, avec du rouge à lèvres. J’ai ainsi rencontré de nombreuses icônes de la mode, notamment Michèle Lamy. Pendant la pandémie, elle est tombée par hasard sur des collages distordus que je publiais sur Instagram, sans savoir que j’en étais l’auteur. En utilisant ce même procédé, j’ai réalisé des images d’elle pour un magazine, puis elle m’a trouvé une salle où présenter mon premier défilé. J’avais deux mois pour faire toute la collection. Je n’ai quasiment pas dormi, et j’ai présenté soixante looks, dont chacun définissait un personnage, une énergie, un traitement de matière. C’était si foisonnant qu’aujourd’hui encore je puise dans cette première collection.

    Votre mode est à la fois théâtrale et genderless. On vous prête aussi parfois des inspirations cabaret. Qu’en est-il réellement?

    Quand j’ai lancé ma marque il y a cinq ans, on parlait du “genderless”, qui, pour moi, est une vidence. Je ne vois pas pourquoi il faudrait genrer un vêtement, même si la réalité anatomique des corps impose malgré tout d’adapter ses coupes… à moins de ne proposer que des pièces très larges. La réalité commerciale vous oblige également à choisir un camp. On peut présenter par exemple une mode masculine très fluide, qui explore énormément le côté féminin de l’homme, mais il faut se situer d’un côté ou de l’autre. Pour ma part, je défile pendant le calendrier de la Fashion Week féminine, je ne sais pas vraiment pourquoi. Peut-être que dans trente ans le genderless deviendra une réalité.

    Ce n’est pas encore le cas. En ce qui concerne le cabaret, je ne me reconnais pas dans cette appellation, mais je revendique une certaine théâtralité, car j’aime expérimenter avec des volumes forts, et inventer des personnages. J’aime imaginer des mises en scène. Il faut que le défilé soit un vrai show, comme ceux d’Alexander McQueen par exemple, qui m’ont tellement marqué quand j’étais plus jeune. J’ai envie que le spectateur vive une expérience, et je considère que la mode doit faire rêver les gens. C’est la base de notre métier.