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Publié le 25 septembre 2025. Modifié le 6 octobre 2025.

Les débuts de Tarek Lakhrissi
Né en France en 1992, Tarek Lakhrissi grandit dans un environnement marqué par la diversité culturelle. Cette pluralité nourrit très tôt sa sensibilité artistique. Avant de se tourner vers les arts visuels, il s’intéresse à la littérature et à la sociologie. Ces disciplines affinent son regard et construisent un rapport critique au monde.
Poète avant tout, il considère le langage comme un matériau vivant. Pour lui, les mots façonnent nos réalités sociales et intimes. Les nommer, les transformer ou les détourner revient à bouleverser les représentations dominantes. Cette conviction irrigue son parcours artistique, qu’il s’agisse de vidéos, de performances ou d’installations sculpturales.
Une pratique hybride et transversale
Lakhrissi refuse les catégories trop strictes. Son travail navigue entre poésie, arts plastiques et performance. Un poème peut devenir une projection lumineuse, un texte peut s’incarner dans une sculpture métallique, une voix enregistrée peut occuper l’espace comme une présence physique.
Il cultive également une relation forte au corps et à l’oralité. Ses performances associent souffle, rythme et mouvement. Ses vidéos oscillent entre manifeste, fiction et documentaire. Cette fluidité reflète une vision du monde où tout peut changer de forme, où l’instabilité devient une richesse créative.
La centralité des marges
Dès ses premières œuvres, Tarek Lakhrissi choisit d’explorer les marges. Ses sujets portent sur les identités invisibilisées, les minorités sociales, les récits passés sous silence. Mais plutôt que de représenter la marginalité comme simple souffrance, il la met en scène avec dignité, force et beauté. Il invente ainsi des espaces où les invisibles deviennent visibles. Ses installations questionnent la responsabilité du regard : que choisit-on de voir ? Que préfère-t-on ignorer ? Pour lui, chaque spectateur est impliqué dans ce jeu de visibilité. L’œuvre ne reste jamais neutre, elle demande une position.
Le mentorat Reiffers et le dialogue avec Ugo Rondinone
En 2024, Tarek Lakhrissi est sélectionné par le programme de mentorat Reiffers Art Initiatives, qui associe un artiste émergent à une figure internationale. Cette année-là, son mentor est Ugo Rondinone, plasticien suisse reconnu pour ses installations immersives et colorées.
De cette rencontre naît l’exposition who is afraid of red blue and yellow?, présentée au Reiffers Art Center à Paris. Le projet interroge la force symbolique des couleurs primaires, entre émotions intimes et lectures politiques. Cette collaboration confirme la maturité de Lakhrissi, capable de dialoguer avec un artiste majeur tout en affirmant son propre univers.
Une reconnaissance internationale

Bien avant ce mentorat, Lakhrissi s’était déjà imposé sur la scène internationale. Ses œuvres ont été présentées au Palais de Tokyo et au Centre Pompidou à Paris, au Migros Museum de Zurich, ou encore à la Julia Stoschek Foundation à Berlin. On les retrouve aussi dans des biennales prestigieuses, à Sydney et Sharjah.
Ses créations intègrent plusieurs collections publiques et institutionnelles : le CNAP, plusieurs FRAC (Aquitaine, Grand Large), ainsi que l’Institut d’Art Contemporain de Villeurbanne. Ces acquisitions confirment la place durable de son travail dans le paysage de l’art contemporain.
Le mot comme sculpture
Le langage reste au centre de sa démarche. Lakhrissi manipule les mots comme des objets physiques. Ses poèmes se fragmentent, s’agrandissent, se suspendent dans l’espace. Parfois, une simple phrase devient installation. D’autres fois, un fragment écrit prend la forme d’une structure métallique.
Il joue aussi sur les contrastes : mêler références populaires et lyrisme poétique, associer textes militants et fragments intimes. Ce mélange crée une dissonance féconde, qui bouleverse la hiérarchie culturelle et propose une esthétique inclusive.
SPIT et les gestes de résistance
Parmi ses projets marquants, SPIT explore un geste quotidien : cracher. Ce geste, souvent perçu comme vulgaire, devient métaphore. Il évoque à la fois rejet, protection et résistance.
En choisissant cet acte corporel, Lakhrissi rappelle que le corps est aussi un langage. Il exprime par le souffle, par la salive, par l’effort. Avec SPIT, il transforme un geste banal en manifeste politique et poétique.
Transmission et pédagogie
En parallèle de ses créations, Tarek Lakhrissi enseigne à la Zürcher Hochschule der Künste (ZHDK). Cet engagement montre sa volonté de transmettre. L’atelier devient pour lui un lieu de partage, où ses recherches rencontrent de nouvelles générations.
Il ne sépare pas création et pédagogie : les deux se nourrissent. Pour lui, enseigner n’est pas transmettre un savoir figé, mais ouvrir des possibles, inviter à la liberté. Cette démarche prolonge son engagement artistique dans le champ collectif.
Une esthétique du trouble

Ce qui distingue Lakhrissi, c’est sa capacité à instaurer le trouble. Ses œuvres ne donnent pas de réponses définitives. Elles ouvrent des zones de doute, de décalage et d’ambiguïté.
Le spectateur est invité à s’interroger : que voit-il réellement ? Où commence la fiction ? Où s’arrête le réel ? Cette esthétique du trouble traduit une conviction : les identités sont mouvantes, les récits ne sont jamais figés, le réel se redéfinit sans cesse.
Héritage et perspectives
À un peu plus de trente ans, Tarek Lakhrissi s’impose déjà comme une figure essentielle de sa génération. Son héritage se construit dans cette capacité à donner une voix aux invisibles, à inscrire la poésie dans la matière, à transformer la fragilité en force.
Demain, il pourrait investir davantage les formats immersifs, mêler poésie et technologies numériques, ou encore collaborer avec la danse et le cinéma. Ses prochaines étapes semblent ouvertes, mais toujours fidèles à sa démarche : faire de l’art un lieu de résistance douce, un espace de réinvention. De ses premiers poèmes à ses grandes installations, Tarek Lakhrissi a construit un univers où le mot devient sculpture et où l’art se fait politique. Ses œuvres donnent voix aux marges, interrogent les représentations et invitent au doute. Poète, plasticien, performeur et pédagogue, il dépasse déjà le statut d’émergent. Son travail confirme une évidence : l’art n’est pas seulement esthétique, il est aussi un outil pour transformer le réel et redessiner nos imaginaires.