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Arnaud Bombelli, créateur nouvelle vague de maroquinerie
Depuis deux ans, ce marin d’eau douce franco-italien revisite la maroquinerie en explorant la sémantique liée à la mer à travers la marque Bombelli. Impliqué corps et âme, il conçoit, pour une génération urbaine à la vie débridée, des sacs du quotidien aux allures d’épopée. La figure du marin et son mantra, “We are sailors”, deviennent une philosophie, une ode à l’intensité de la vie.
Par Aude Boissou.

Rencontre avec Arnaud Bombelli, fondateur de la marque de sacs Bombelli.
Numéro : Votre univers est très singulier : comment la marque Bombelli est-elle née ?
Arnaud Bombelli : Marqué et franc, oui. J’avais envie d’imaginer une histoire globale où l’objet et l’image ne font qu’un. Après avoir passé plus de dix ans dans la création et l’industrie de la maroquinerie, le déclic a eu lieu sur une île où je suis resté six semaines presque par hasard. J’y ai rencontré un marin qui n’avait pas dormi sur terre depuis trois ans, et c’est là que Bombelli est né. La vie des marins résonne avec l’intensité de la vie contemporaine : sur un bateau, au milieu de nulle part, tout est plus vivant, fascinant, même si la vie à bord est parfois solitaire et dangereuse… Quand on est sur l’océan, tout peut basculer en une fraction de seconde. Pour rester en vie, on doit toujours être en éveil.
Créer ce projet était une nécessité vitale, c’était plus fort que moi. Je voulais vivre cette aventure en pleine autonomie, sans rendre de comptes à personne. Rien n’est jamais parfait, et je n’ai pas besoin de validation extérieure pour exister. Il n’y a rien d’égotiste là-dedans, l’important c’est d’être en accord avec soi-même et d’oser plonger dans l’eau froide sans vaciller. Créer, c’est résister.

“L’eau est l’élément vivant le plus fondamental et le plus universel.”
Dans votre univers, l’eau est omniprésente. Pourquoi ?
Parce que l’eau n’est pas la terre ! Pour moi, l’eau est l’élément vivant le plus fondamental et le plus universel, c’est pourquoi elle est devenue naturellement l’un des symboles du projet. Dans l’eau ou face à l’eau, avec une simple ligne comme horizon, mon esprit et mon corps sont totalement alignés. Ce que j’éprouve devient extatique, un bien-être immédiat où plus rien n’existe. J’ai donc cherché à traduire cette énergie pure dans mes pièces, à travers des cuirs vernis qui captent la lumière et reflètent le mouvement, comme la mer reflète le soleil.
La figure du marin traverse l’ensemble de vos créations. Qu’incarne-t-elle pour vous ?
Dans l’univers des marins, tout est vrai. Il y a une authenticité brute, la liberté d’être ensemble et seul à la fois, qui oblige à aller à l’essentiel. C’est un monde où la précision et le risque dominent, où chaque geste compte. Cette figure du marin en communion avec la mer, entre intensité et plénitude, je l’ai explorée, vécue et fantasmée avec Bombelli. Ma marque, c’est d’abord des objets à porter qui traduisent la force, la beauté et la sensualité du geste créatif.


Que symbolise le mantra “We are sailors” ?
Avant tout, il s’agit d’un état d’esprit. “We are sailors” signifie exister, résister, vivre plus intensément. C’est avancer librement, avec pugnacité et humilité, tout en restant relié à l’essentiel. Pour moi, ce mantra dépasse la mer : il invite chacun à faire corps avec le vivant.

Bombelli, ou l’appel du large au quotidien
Comment avez-vous transposé cet idéal de vie dans des sacs de tous les jours ?
J’avais en tête un collage d’images totalement hétéroclites : Le Radeau de la “Méduse” de Géricault, un coucher de soleil, les cordages et l’architecture navale, le vestiaire marin, le Néoprène et Lana Del Rey… [Rires.] Je souhaitais que mes sacs semblent littéralement sortis de la mer. J’ai choisi du Néoprène imperméable et léger, des cordages increvables et des pièces métalliques en Inox 316 L, conçues pour la navigation. Les anses et les bandoulières s’ajustent grâce à un jeu de coulisses ou un simple nœud. Tout cela est le résultat du croisement d’une expertise technique et d’un savoir-faire maroquinier plus classique. Testés en pleine mer, rien ne coule, rien ne bouge, tout est pensé pour la vie réelle, sur l’eau comme sur terre.



Comment s’est matérialisée la vision Bombelli ?
Avant de commencer à dessiner mes sacs, j’ai cherché une matière pure, capable d’éveiller l’œil et le toucher. Le traitement des couleurs et des surfaces chez Géricault, Sugimoto, Rothko ou les photos de Larry Clark m’ont beaucoup marqué. J’y retrouvais la même densité et profondeur, le même mouvement que dans les paysages en pleine mer. Alors, comme dans un laboratoire, j’ai d’abord modelé la surface des sacs en leur donnant du volume grâce à un effet dégradé. Ensuite, nous avons expérimenté en pulvérisant la couleur à l’aérographe sur du Néoprène blanc, créant ainsi de véritables tableaux vivants, comme pour le modèle Sirocco.
Ce dégradé évoque les couchers de soleil de Mauritanie, comme celui représenté dans Le Radeau de la “Méduse”. Plus qu’une couleur, ce dégradé devient sensation, c’est quelque chose qui apparaît et disparaît en même temps. Il offre aux sacs, ou aux objets, une dimension à la fois sensuelle et contemplative, et une véritable signature. J’aime quand les choses vibrent.


“Je ne dessine pas des sacs, mais des objets à porter.”
Parlez-nous de votre approche et de votre sensibilité à l’objet
Je ne dessine pas des sacs, mais des objets à porter qui ont une histoire. Je suis littéralement tombé amoureux de la corde : elle comporte une sensualité, une force et une résistance qui est dingue. Sa légèreté, sa fluidité… j’aime sa nonchalance presque érotique, que ce soit sur la peau ou dans l’espace. C’est un matériau libre qui a beaucoup de caractère. Un bateau sans cordages ne va d’ailleurs pas très loin. La sémantique liée à la mer est infinie : lignes, couleurs, textures, accastillage, savoir-faire…
J’aime travailler le rapport au corps et à l’objet à travers des lignes et des formes ergonomiques fortes et sensuelles. Par exemple, j’ai transformé un col de vareuse en grand cabas souple, une bouée de balisage géante en mini porte-cartes, ou encore une coque de bateau en sac banane. Mais aussi en cherchant des choses que l’on ne trouve habituellement pas dans la maroquinerie en collaborant avec la Corderie royale, une manufacture créée par Louis XIV, destinée à la Marine nationale. Ici, une baderne – un nœud plat tressé qui protège certaines parties sensibles des bateaux –, se transforme en un petit sac. J’aime l’idée du jeu et de la poésie en allant à l’essentiel.


Qui est invité à vivre l’aventure Bombelli ?
Comme beaucoup d’aventures, elles se vivent à plusieurs. Avec “We are sailors”, je n’ai pas pensé à une personne en particulier. Aujourd’hui, je constate que mes sacs sont portés par un public très hétéroclite, ce qui a un impact sur mon travail et le transforme en véritables expériences de laboratoire. J’aime laisser de la place à l’imaginaire, sans chercher à enfermer les choses dans des cases. Mes sacs sont conçus pour durer. Ils s’adressent à tous ceux qui voudront porter l’histoire Bombelli. De la mer au bitume, du marin au terrien… Ce n’est pas si éloigné.

BOMBELLI. 50 rue des Martyrs 75009 Paris, sur rendez-vous. [email protected]. www.bombelliparis.com. @bombelliparis
Crédits photos : Lorcan Mc Whirter, Saulé Milonaité, Min Lee, Ugo Cesare, David Herman, Camille Mompach. Crédits modèles : Marie-Rose Messina, Mathis Chevalier, Titouan Meillarec, Kevin Sparker