3
Thierry Mugler
Il rêvait de superhéroïnes, les façonnait en armures coutures, les lançait sur les podiums comme dans une odyssée futuriste. Thierry Mugler, créateur français flamboyant, n’a jamais dessiné de simples vêtements — il a érigé une architecture de la silhouette, où chaque couture affirmait une vision du pouvoir, du spectacle, de l’excès comme art ultime.

Les débuts de Thierry Mugler
De son vrai nom Manfred Thierry Mugler, né le 21 décembre 1945 à Strasbourg d’un père médecin, il est dès son enfance très solitaire. Il s’échappe alors dans un monde peuplé de rêves, de monstres et de déesses : « Comme j’étais très seul, enfant, je rêvais, je lisais des illustrés, je fuguais dans la forêt voisine pour vivre dans une grotte comme Timour, l’homme des cavernes. J’imaginais des mondes à l’opposé de celui de la bonne société strasbourgeoise, dont je désespérais de jamais sortir ». Dès neuf ans, Mugler suit des cours de danse classique et, à quatorze ans, il rejoint les ballets de l’Opéra du Rhin. En parallèle, il fréquente l’École des arts décoratifs de Strasbourg, où il suit des cours d’architecture d’intérieur.
En 1969, à l’âge de vingt et un ans, il s’installe à Paris. Il vend alors ses dessins à des fabricants du Sentier et porte ses propres créations, confectionnées à partir de pièces chinées aux marchés aux puces. Très vite, il expose ses modèles dans sa première boutique, Gudule, rue de Buci, dans le 6ᵉ arrondissement, après un passage chez André Peters à Londres entre 1968 et 1969. À 26 ans, le jeune créateur, devenu styliste indépendant, collabore avec diverses maisons de prêt-à-porter à Paris, Milan, Barcelone et Londres.
Le corps comme architecture

Formé à la danse, obsédé par la posture, Mugler ne coud pas pour flatter : il sculpte. Ses pièces sont des œuvres architecturales, calculées au millimètre, tendues entre géométrie et sensualité. Les matières brillent, crissent, découpent la lumière. Le vêtement devient carapace de désir, manifeste de contrôle et de libération.
Glamour théâtral et esthétique futuriste
Chez lui, le glamour flirte avec le fantasme. Animaux robotiques, sirènes chromées, guerrières galactiques : ses défilés sont de véritables ballets d’hybridations, où le corps se réinvente sans cesse. Il ne s’agit pas de plaire, mais d’impressionner — profondément, irréversiblement.
Parfums d’éternité : Angel et Alien, icônes sensorielles
En 1992, un coup d’éclat : Angel, parfum gourmand, capiteux, immédiatement reconnaissable. Puis Alien, envoûtant, solaire, quasi mystique. Là encore, Mugler n’imite pas, il inaugure. Il impose une empreinte olfactive aussi radicale que ses créations textiles. Le flacon, pensé comme un artefact précieux, scelle l’union entre mode et cosmos. Ces fragrances deviennent mythologies, objets de collection, extensions invisibles mais puissantes de son univers.
Défilé Mugler : Woodstock of Fashion
Impossible d’évoquer Mugler sans mentionner l’ampleur de ses spectacles. Parmi eux, le défilé “Woodstock of Fashion” en 1995 reste une fresque inégalée : un casting intergénérationnel, des icônes et des anonymes réunis pour une célébration vertigineuse de la diversité et de la métamorphose.
Un théâtre de la démesure assumée
À l’opposé des diktats minimalistes, il assume la surcharge et le spectaculaire. Le théâtre était son allié, la scène son prolongement naturel. Mugler ne faisait pas de la mode pour la rue, mais pour les rêves. Et dans cette exubérance, il révélait l’essence même du style : la liberté.
Héritage sculpté dans la lumière

En 2019, après vingt ans sans avoir créé de nouvelle pièce, il dessine la robe portée par Kim Kardashian au Met Gala, influencée par ses archives et en écho à la rétrospective Mugler au Musée des beaux-arts de Montréal. Cette exposition est ensuite présentée entre septembre 2021 et avril 2022 au Musée des Arts décoratifs de Paris.
Mugler s’éloigne du monde de la mode en 2002, quittant le prêt-à-porter de sa marque pour se consacrer à la photographie, à la création de costumes de spectacles et à la mise en scène. Toutefois, il reste impliqué jusqu’en 2013 dans la création des parfums, le design des flacons et les visuels de Thierry Mugler Parfums, dont il est directeur artistique. Partagé entre Paris et New York, il confiait en 2007 : « Maintenant mon cœur est là-bas, dans cette mégapole accrochée à un rocher de silex au bord de l’Atlantique. J’en aime la géographie verticale, la force tellurique. Et le vent du large ». Indomptable, il ne s’est jamais laissé enfermer dans le statut de « grand couturier » et a longtemps refusé les rétrospectives muséales. Pour lui, seul le happening pouvait accueillir ses créations. En 2012, il réalise le court-métrage Z Chromosome.
Une étoile qui brille
Thierry Mugler est mort le 23 janvier 2022 à son domicile de Vincennes, à l’âge de 76 ans, de mort naturelle.Thierry Mugler n’était pas un couturier du silence. Il était une voix, une vision, un battement stroboscopique dans l’histoire de la mode. Si sa maison a connu des évolutions, des pauses, des retours, son aura ne s’est jamais éteinte. Le regain d’intérêt pour ses archives, la réédition de ses pièces et les hommages de Beyoncé, Cardi B ou Kim Kardashian l’ont confirmé comme une figure totem de la mode contemporaine. Son œuvre continue d’inspirer les jeunes créateurs en quête d’émancipation stylistique. Mugler n’a jamais proposé de simples vêtements, mais de véritables métamorphoses. Et c’est là que réside sa légende.