15 juil 2025

Raya Martigny et Édouard Richard nous racontent leur exposition sur les identités queer et créole

Ce mardi 15 juillet 2025, Raya Martigny et Édouard Richard lèvent le voile sur leur exposition photo commune intitulée “Kwir Nou Éxist”. Véritable célébration des identités queer et créole réunionnaises, l’accrochage capture plusieurs des rencontres faites par les artistes sur l’île. Pour Numéro, le couple revient de manière exclusive sur quelques clichés puissants exposés dans le cadre de “Kwir Nou Éxist”, présentés au jardins des Tuileries.

  • propos recueillis par Jordan Bako.

  • Le court métrage Liberté Chéri·e réalisé par Raya Martigny et Édouard Richard (2025).

    Actrice et mannequin, Raya Martigny quitte le devant des caméras pour un nouveau projet soutenu par Jean Paul Gaultier. Celle qui vient d’imaginer un foulard aux côtés de l’artiste Vava Dudu pour le Sidaction, prend désormais place derrière l’objectif. Avec le photojournaliste Édouard Richard, ils imaginent une série de clichés capturés sur son île natale entre 2020 et 2025. En résulte une exposition de photographies intitulée “Kwir Nou Éxist”(“Queer, nous existons”) – un mantra formulé en créole réunionnais évoquant l’existence d’une communauté souvent occultée par les médias : les personnes queer vivant en territoires ultramarins. 

    Une exposition sur les identités queer réunionnaises au jardin des Tuileries

    Je suis partie de l’île lorsque j’avais l’âge de 16 ans. J’ai un peu fui ma famille, ma culture, mon langage, mes ami·es parce que je ne me sentais pas représentée.” C’est en ces mots que Raya Martigny narre la genèse du projet. Presque dix ans après son départ, à l’aube du premier confinement, elle décide de retourner sur sa terre d’origine – avec le photographe à ses côtés. Ensemble, ils partent à la rencontre de la communauté queer de la Réunion, sillonnant tous les coins de l’île à la recherche de celles et ceux qui se trouvent à l’intersection des identités queer et créole.

    Réalisée en l’espace de quelques allers-retours entre l’Hexagone et la Réunion, la série se trouve ainsi exposée au jardin des Tuileries à Paris (dans le cadre du festival Le Louvre invite Paris l’été) jusqu’au 25 juillet 2025 – avant d’ensuite prendre le large pour la Réunion et le Brésil. Plus que des photographies de papier glacé, les clichés capturent la beauté des paysages naturels de l’île, comme celle des personnes rencontrées par les deux photographes pendant ce projet. Pour Numéro, Raya Martigny et Édouard Richard reviennent sur les récits et souvenirs qui se cachent dans certaines photographies de l’exposition.

    Raya Martigny et Édouard Richard nous racontent les images de l’exposition Kwir Nou Éxist

    Attilio sur la plage

    Raya Martigny : Attilio est une personne qui m’a énormément inspirée dès notre rencontre. C’est un être libre qui vit tout le temps sur la plage. Après lui avoir proposé de participer au projet lors d’une fête du Nouvel An, Édouard a photographié Attilio devant un coucher de soleil qui se logeait sous les feuilles d’un figuier des banians. Un arbre sacré à la Réunion, et dans l’océan Indien en général… J’avais deux clichés en tête et j’ai pris l’appareil des mains d’Édouard. Je lui ai dit : “Laisse-moi prendre cette photo” parce que je me sentais prête à appuyer sur le déclencheur pour cette série.

    Édouard Richard : Très vite avec cette série, on a voulu réinvestir l’espace public, le faire nôtre. Cette photo a été prise dans un village de pêcheurs qui est très ancré dans la vie de la région. C’est le spot où des gens viennent avec des motocross regarder le coucher de soleil.

    Érica et ses plumes roses

    Édouard Richard : Dans cette série, on peut découvrir deux femmes qu’on a surnommées les “old queens”. Érica et Logan organisaient des drag shows à la fin des années 90 et dans les années 2000. Et leur manière de faire avancer la cause LGBTQ+ sur l’île, c’était de passer par le milieu de la fête. Si les jeunes qu’on a photographiés incarnent une génération plus politisée, qui a eu plus d’accès aux études supérieures, ce n’était pas le cas d’Érika et de Logan.

    Raya Martigny : En effet, Érica, c’est une personne que j’ai rencontrée lorsque j’avais sept ans puisqu’elle travaillait avec mes parents (qui organisaient des défilés, ndlr). Elle mettait en place des spectacles de drag shows et je la voyais surtout en coulisses se préparer. J’éprouvais de la fascination pour elle : elle résidait dans mon esprit comme un rêve, comme un fragment de mon imagination. Je voulais donc la rencontrer en revenant. Et en savoir plus sur cette partie de moi que j’avais oubliée. Et elle m’a reconnecté à une partie de moi avec cette série…

    Logan, la Madame de la cité

    Édouard Richard : Si les représentations queer et créole ont été, dans le passé, tournées en ridicule dans les médias locaux, elles n’ont jamais cessé d’être présentes en club. Et les personnes queer et créoles n’ont jamais cessé de se battre pour partager ces espaces avec les autres. Logan habite dans l’une des cités les plus dures du port, avec des gamins en bécane et des dealers qui tiennent les murs. Mais tout le monde l’appelle Madame et tout le monde hoche la tête lorsqu’elle passe. Elle a su dire à tout le monde : ‘Si vous ne me comprenez pas, si vous ne me respectez pas, vous prenez la porte !” Lorsqu’on l’a vue dans sa cité tournoyer dans une robe blanche avec un rayon de soleil posé sur elle, on l’a immortalisée.

    Sanjee, une personne connectée à la nature de l’île

    Édouard Richard : Sanjee est une personne qui nous a beaucoup aidés dans la proposition des lieux à photographier parce que c’est quelqu’un de très connecté à la nature de l’île. Il a une spiritualité très ancrée dans ses arbres et ses rivières. Et il nous a partagé les recoins magiques dans lesquels il se sent bien.

    Raya Martigny : C’est quelqu’un de très lié à sa communauté : celle des Malbars, un groupe d’origine indienne arrivé à la Réunion après l’esclavage. Sa connexion à la spiritualité était quelque chose d’important pour nous à retranscrire via la photographie. Parce que pour moi, la Réunion est une île tellement chargée en énergie. Tu y vois et ressens des choses de l’ordre du spirituel qu’il est difficile d’ignorer. Car les ignorer, ça serait s’ignorer soi-même.

    Une mosquée et une église sur l’île de la Réunion

    Édouard Richard : C’était important pour nous de juxtaposer cette photographie de Sanjee à celle d’un bâtiment, pour illustrer cette thématique de la spiritualité. On parle beaucoup en ce moment de savoir partager des espaces. Et pour moi, cette photo exprime parfaitement comment différentes spiritualités peuvent cohabiter : une église à gauche et une mosquée à droite. 

    Raya Martigny : Il faut savoir que la première mosquée de France a été construite à la Réunion en 1905. Et ce n’est que 21 ans plus tard que celle de Paris a été bâtie. Avec cette photographie, on voulait raconter comment ces cultures se mêlent à la Réunion. On y croise des personnes issues de tous les horizons : des catholiques, des musulmans… Je trouve que c’est l’une des plus belles richesses de ce monde, d’avoir accès à toutes ces subtilités, ces croyances, ces goûts, ces couleurs… 

    Djaden, une mother de ball voguing entre masculin et féminin

    Raya Martigny : Avec cette photo de Djaden devant de l’aloe vera, on voulait parler de la thématique de la résilience parce que c’est une plante qui l’est. On a choisi de faire poser Djaden, qu’on a découvert sur Instagram, où il incarnait quelque chose d’extrêmement masculin. Mais quelque temps plus tard, on l’a à nouveau croisé à un ball en tant que mother [figure tutélaire des maisons de voguing. ndlr] de la House of Hennessy, sans le reconnaître ! Mini-jupe, talons hauts, ongles longs… On se demandait qui était cette star ! (Rires.)

    Édouard Richard : Lorsqu’il est venu sur le lieu du shoot, il était dans cette parfaite balance entre la personne que l’on a vue sur Instagram et celle qu’on a vue au ball. Une perruque sertie d’une casquette un peu street, au-dessus de 1 mètre 90 ! Un équilibre entre féminité et masculinité. 

    Raya Martigny : Le voguing à la Réunion, c’est quelque chose qui est pris très au sérieux. Au-delà des balls et des entraînements, il y a un véritable suivi communautaire opéré par les mothers des maisons. Les mothers aident les gens à se déplacer, à faire des CV, à postuler pour des jobs… En arrivant à Paris, le drag que je voyais à la capitale ne me touchait pas particulièrement. C’est en le voyant pratiqué à la Réunion que j’ai trouvé l’essence du voguing lorsqu’il a émergé. Soit des espaces créés pour que les gens puissent se retrouver, se célébrer, et trouver des familles… 

    Clarence, une sirène dénudée

    Raya Martigny : Clarence, c’est une sirène ! [Rires.] J’avais en tête cette idée du miroitement de l’eau sur le sable noir, à l’image d’une peau qui reflète légèrement les rayons du soleil. Et Clarence est naturellement allée se baigner – et elle m’a lancé l’idée : “Est-ce que tu veux que je me mette les seins à l’air ?” Je pense qu’elle s’est vraiment affirmée en tant que femme avec ces images. Elle avait envie de se célébrer, de se sentir belle.

    Édouard Richard : Globalement, on avait l’idée d’aller chercher la nature de la Réunion en photographiant à l’extérieur. Mais il fallait éviter l’écueil de l’effet carte postale. Et je pense qu’on y est parvenus en mettant en lumière des représentations qui ne tombent pas dans l’imagerie touristique qui a beaucoup été liée aux territoires ultramarins dans l’Hexagone…

    “Kwir Nou Éxist”, une exposition de Raya Martigny et d’Édouard Richard, à découvrir jusqu’au 25 juillet 2025 dans le jardin des Tuileries, Paris 1er, dans le cadre du festival Le Louvre invite Paris l’été.