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Botter
Né entre Curaçao, la République dominicaine, Amsterdam et Anvers, Botter est un manifeste hybride. Porté par Rushemy Botter et Lisi Herrebrugh, le label exprime une vision du monde engagée, colorée, inclusive. À la croisée du tailoring flamand et de la spiritualité caribéenne, leur « Caribbean couture » s’impose comme un langage à part. Poétique, politique, marin. En 2025, Botter incarne l’éveil d’une nouvelle génération de créateurs responsables et libres.
Publié le 26 juin 2025. Modifié le 7 août 2025.

Botter : Une naissance académique, une vision nomade
Le duo fondateur se rencontre à Anvers, dans l’atmosphère feutrée mais effervescente de l’Académie royale des beaux-arts, creuset des grandes avant-gardes flamandes. Rushemy Botter, né à Curaçao et grandi dans un petit village de pêcheurs aux Pays-Bas, s’y distingue par une approche plastique du vêtement, nourrie de son imaginaire insulaire et d’une critique subtile des systèmes dominants. Formé sous la houlette de Walter Van Beirendonck puis de Dirk Van Saene, il affine une esthétique aussi libre que politique.
Lisi Herrebrugh, quant à elle, naît à Amsterdam, mais grandit entre deux cultures, les Pays-Bas et la République dominicaine, en perpétuel aller-retour entre Europe et Caraïbes. Formée à l’Amsterdam Fashion Institute, elle s’oriente d’abord vers la communication visuelle, avant de revenir à l’essence du vêtement comme vecteur d’émotion et de narration. Son diplôme, reçu avec les honneurs, témoigne déjà d’un regard acéré, capable de concilier rigueur conceptuelle et sensualité textile.
Ensemble, ils composent une collection de fin d’études qui ne laisse personne indifférent. Intitulée Fish or Fight, elle mêle ironie visuelle, références caribéennes et préoccupations écologiques. Leur langage commun — vif, engagé, profondément sincère — séduit immédiatement les figures majeures de la scène mode. Le duo remporte l’Ann Demeulemeester Award, le Dries Van Noten Award, et surtout le Grand Prix du Festival d’Hyères en 2018, où leur travail provoque un véritable frisson.
Dès lors, leur nom circule dans les rédactions, les ateliers, les salons. Une grammaire nouvelle émerge, hybride et frontale, où le vêtement devient manifeste. Botter, plus qu’un label, annonce un tournant générationnel : celui d’une mode joyeuse et militante.
Un label comme journal intime
Fondé à l’issue de leur diplôme, Botter devient très vite un miroir de leur identité plurielle. Leurs collections fusionnent uniformes marins, références sociales, techniques de couture flamande et imagerie caribéenne. Chaque silhouette semble sortie d’un carnet de bord. Un vestiaire à la fois conceptuel et émotionnel, où les couleurs vives dialoguent avec des volumes oversize et des matières recyclées.
Le duo revendique l’influence de l’Arte Povera, mais dans une version tropicale, solaire et active. Leur engagement pour l’environnement — notamment la protection des océans — structure leur démarche, depuis les fibres utilisées jusqu’à la narration. En effet, la marque ne se résigne pas à voir les mers se dégrader ; la marque agit, transforme, alerte, sans jamais renoncer à l’élégance.
De Nina Ricci à Paris, une ascension marquante

Repérés pour leur audace et leur cohérence, Lisi Herrebrugh et Rushemy Botter sont donc nommés directeurs artistiques de Nina Ricci en 2018 par le groupe Puig. Leur première collection pour la maison française, en automne-hiver 2019, transpose alors leur énergie hybride dans l’univers du luxe féminin. Ils y insufflent des volumes inattendus, des couleurs vives et une élégance non conformiste. Une parenthèse significative, qui affirme leur capacité à naviguer entre codes historiques et esthétique contemporaine, sans jamais se trahir.
Depuis 2020, Botter défile à la Fashion Week homme de Paris, où il attire ainsi une communauté internationale fidèle. Saison après saison, les silhouettes marines et engagées du duo captivent la presse spécialisée autant que les acheteurs. Leurs vêtements sont aujourd’hui distribués chez Dover Street Market, Ssense, Boon the Shop, le Printemps, Nordstrom, ou encore les Galeries Lafayette, confirmant leur rayonnement mondial dans le paysage du luxe conscient.
Une couture pour demain
La maison de luxe ne crée pas seulement des vêtements : elle ouvre des mondes. En effet, la marque se distingue par sa capacité à raconter des récits personnels avec des outils universels. Tailoring hollandais, écologie radicale, héritage caribéen, spiritualité textile : tout converge vers une couture nouvelle, sensible, lucide.
Dès lors, chaque collection devient un manifeste. Non seulement esthétique, mais aussi politique et intime. Chez Botter, la mode n’est jamais gratuite : elle naît d’un besoin d’ancrage, de réparation, parfois même de résistance. C’est pourquoi chaque silhouette affirme quelque chose du monde. Par touches, les matières recyclées, les nuances aquatiques et les volumes flottants composent une géographie intime. Elle oscille entre l’Europe et les Caraïbes, entre les rivages marins et l’agitation urbaine, entre les cicatrices du passé colonial et les élans vers demain.
La griffe est donc l’illustration qu’on peut faire de la mode un espace de réconciliation. Entre luxe et urgence climatique. Entre héritage et invention. Entre rêve et nécessité. Mais aussi entre douleur et beauté. Entre mémoire et métamorphose. Si la maison touche autant, c’est parce qu’elle embrasse les paradoxes de notre époque, sans jamais les lisser. Par conséquent, elle invente un langage, à la fois charnel et visionnaire, qui réenchante la fonction même du vêtement : non pas masquer, mais révéler.
Une cartographie de l’intime et du politique
Car chez Botter, le vêtement ne s’arrête pas à la silhouette. Il devient lieu de passage, de questionnement, de réparation. Il parle de migrations, d’océans, d’enfance, d’amour aussi. Il relie ce qui semblait séparé : l’intime et le politique, le quotidien et le sacré, le Sud et le Nord. À contre-courant du cynisme ambiant, il propose un imaginaire fertile, profondément ancré dans le réel. Voilà sans doute pourquoi il émeut, interroge, et reste.