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Nigo
Né le 23 décembre 1970 à Maebashi, au Japon, Tomoaki Nagao — bientôt connu sous le pseudonyme Nigo — forge son identité artistique en mêlant passion pour la mode, culture hip-hop et références vintage. Diplômé du Bunka Fashion College, il fait ses débuts comme assistant de Hiroshi Fujiwara, le « parrain » du streetwear japonais. Dès 1993, il fonde A Bathing Ape, ou Bape, et transforme une simple ligne de t-shirts en emblème mondial.
Publié le 24 juin 2025. Modifié le 21 juillet 2025.
Nigo : l’alchimiste du streetwear japonais
En quelques saisons à peine, les hoodies camouflés de Bape deviennent cultes. Grâce à un design audacieux, une imagerie pop assumée et une rareté savamment orchestrée, la marque prend une autre dimension. Peu après, Nigo s’associe à Pharrell Williams. Ensemble, ils lancent Billionaire Boys Club et Ice Cream, deux marques hybrides qui mêlent streetwear, luxe et innovation graphique.
En 2010, Nigo tourne la page Bape. Il fonde Human Made, une marque plus intime, nourrie par l’Amérique d’après-guerre, les vêtements utilitaires et l’artisanat japonais. Dès le départ, il choisit des matières nobles, des coupes sobres et un rythme de production réfléchi. Ce virage incarne une volonté de ralentir, loin de l’agitation de la hype.
L’ère Kenzo : la tradition revisitée

En 2021, LVMH nomme Nigo directeur artistique de Kenzo. Ce choix, à la fois audacieux et profondément symbolique, marque un tournant dans l’histoire de la maison fondée par Kenzo Takada. Pour la première fois, un créateur japonais reprend les rênes de cette marque emblématique, renouant ainsi avec ses racines tout en l’inscrivant dans une modernité vibrante.
Nigo chez Kenzo : entre héritage et réinvention
Dès sa première collection, Nigo impose un langage visuel clair. Il insuffle une énergie nouvelle, tout en conservant une forme de fidélité aux fondamentaux de la maison : les imprimés floraux, les coupes amples, l’art de mélanger les influences culturelles. Cependant, loin de la nostalgie, il injecte dans ces codes une fraîcheur maîtrisée. Son vestiaire se structure autour de volumes graphiques, de couleurs franches, de pièces hybrides où se croisent tradition japonaise, sportswear contemporain et élégance urbaine.
Un goût du spectacle
Nigo puise dans les archives de Kenzo sans jamais s’y enfermer. Il convoque l’esprit de Takada, son goût du spectacle et de la couleur, mais y ajoute sa propre grammaire : celle d’un homme qui a grandi dans les rues de Harajuku, fasciné par les vêtements, la musique et la culture américaine des années 80 et 90. Cette tension entre rigueur et éclat, entre mémoire et invention, devient sa signature.
Sous sa direction, Kenzo retrouve un souffle, un rythme, une cohérence. La marque redevient désirable, dans les boutiques comme sur les podiums, et séduit une nouvelle génération qui reconnaît, dans ce geste créatif, une vision sensible, sincère, et résolument tournée vers demain.
Nigo : musique, design, transmission
Nigo : du son au style, une modernité sans frontières

Créateur insatiable, Nigo n’a jamais choisi entre ses passions. Styliste, musicien, collectionneur ou DJ, il orchestre chaque projet comme une composition totale. Tandis qu’il façonne l’esthétique streetwear des années 2000 avec A Bathing Ape, il développe en parallèle un univers musical personnel, hybride et profondément référencé. Très tôt, il comprend que l’image, le son et le vêtement peuvent dialoguer. Mieux encore : ils peuvent raconter une même histoire.
Des figures marquantes
Fondateur du label Bape Sounds, il multiplie les collaborations avec des figures marquantes de la scène hip-hop japonaise et internationale. Il devient DJ, puis membre des Teriyaki Boyz, qu’il propulse dans l’imaginaire global du streetwear grâce à une bande-son signée notamment Daft Punk et Pharrell Williams. Ce croisement permanent des influences n’est pas fortuit. Nigo, au contraire, agit toujours avec précision. Il aime les signes, les lignes, les samples, les silhouettes. Chaque détail compte.
En 2022, il sort l’album I Know Nigo!, événement musical inattendu mais salué. Le projet réunit A$AP Rocky, Tyler, The Creator, Pusha T, Kid Cudi, Lil Uzi Vert, ou encore Pharrell, avec qui il entretient depuis longtemps un lien créatif fort. Le disque, à la fois compact et percutant, réaffirme la capacité de Nigo à créer des ponts entre générations, cultures et disciplines. Plus qu’un simple album, I Know Nigo! est un manifeste. Il prouve qu’un créateur venu de Tokyo peut façonner une culture transversale, de Harajuku à New York, sans jamais trahir son identité.
Aujourd’hui, alors qu’il dirige la création chez Kenzo, Nigo incarne une forme de modernité douce, très éloignée du bruit ambiant. Discret, presque silencieux, il préfère laisser parler les textures, les volumes, les références. Son travail, en apparence ludique, est en réalité empreint d’une rigueur formelle rare. Il s’inspire de l’artisanat japonais, du vintage américain, des bandes dessinées, mais aussi des codes militaires, du hip-hop old school et de la haute couture. Chaque collection devient un collage savant, nourri de souvenirs et d’échos culturels.
un artiste de la mémoire contemporaine

Dès lors, Nigo dépasse le statut de designer. Il devient un passeur de styles, un archiviste du cool, un artiste de la mémoire contemporaine. Il ne cherche pas l’avant-garde pour elle-même, mais plutôt une synthèse fluide entre les époques, entre les styles, entre les continents. À travers ses labels — Bape, Human Made — ou à la tête de Kenzo, il redessine les contours d’une esthétique à la fois pop et cérébrale, colorée mais sobre, profondément japonaise et pourtant universelle.
Cette tension féconde est sa force. Car Nigo ne suit pas les tendances : il les anticipe ou les dépasse. Et dans un monde saturé de signes, il continue, avec calme et élégance, à imposer sa propre grammaire visuelle et sonore. Une modernité sans bruit, sans excès, mais avec une cohérence rare, comme un souffle venu d’ailleurs qui inspire, encore et toujours, la création mondiale.