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Kali Uchis
Elle avance à contre-courant, douce et électrique. Issue d’un entre-deux géographique, elle compose un univers tellurique. Avec Orchidéas et Red Moon In Venus, elle trace une cartographie intime. Le féminin y devient pouvoir ; le désir, une langue vivante. En 2025, la capitale l’attend comme une apparition — mi-pop star, mi-chamane.
Publié le 18 juin 2025. Modifié le 28 juillet 2025.
Les débuts de Kali Uchis
Née en Virginie, Kali Uchis rêve pourtant en espagnol. Elle conjugue l’héritage colombien avec les codes d’une soul cosmique. Dès ses débuts, elle rejette l’assignation. Trop R&B pour le reggaeton, trop latina pour le mainstream américain : elle construit une voix propre, fluide, insaisissable.
Avec Isolation (2018), elle offre un premier album traversé par les échos du passé et une volonté d’émancipation. Puis, avec Red Moon In Venus, elle façonne une ode à la vulnérabilité sensuelle. Chaque morceau devient incantation. La voix flotte, le rythme palpite. Ce n’est pas une écoute — c’est une immersion. Elle ne cherche pas à séduire ; elle magnétise.
Dans son univers, l’intime devient sacré. Les ruptures laissent des traces brillantes, les blessures deviennent ornement. Son esthétique, mi-désuète, mi-futuriste, rappelle autant les icônes chicano des années 70 que les héroïnes psyché des clips de Prince ou Aaliyah. Chaque détail semble pensé comme une extension de son être : la coiffure, la typographie, les collaborations.
Par ailleurs, son refus des compromis l’inscrit dans une lignée de femmes qui transforment leur marginalité en pouvoir. À travers la douceur, elle impose sa loi. Et dès lors, être Kali Uchis, c’est ne jamais rentrer dans aucune case, mais toutes les faire exploser avec grâce.
Cette posture radicale s’est construite très tôt. Adolescente, Kali Uchis écrivait des poèmes dans la langue de ses parents et filmait ses premiers clips en autodidacte. Elle dormait parfois dans sa voiture, refusant de rentrer chez elle, déterminée à façonner un monde à sa mesure. La marginalité devient alors moteur de création. Elle ne cherche pas à plaire — elle cherche à exister pleinement.
Jazz, trap, soul et boléro
Dès ses premières mixtapes, elle cultive un goût pour le collage sonore. Jazz, trap, soul, boléro : tout cohabite sans hiérarchie. Cette liberté stylistique dérange parfois, mais forge une signature. Dans une industrie qui codifie, elle décale. Elle ne surjoue rien. Elle suggère, insuffle, effleure.
Aujourd’hui, sa voix est reconnaissable entre mille : veloutée, désinvolte, presque nonchalante. Et pourtant, chaque inflexion dit l’exil, la dualité, la réinvention. Une voix bilingue pour chanter ce que l’Amérique ne sait pas toujours entendre.
Orchidéas : un album-jungle en espagnol
Paru en 2024, Orquídeas bouscule les normes. En choisissant de chanter exclusivement en espagnol, Kali Uchis réaffirme ses racines avec tendresse. Ce disque hybride convoque les divas latines, les amours queer, la transe d’un reggaeton mélancolique. Les collaborations surprennent par leur précision. Karol G, Peso Pluma, Rauw Alejandro — chacun devient un invité d’un bal sonore minutieusement orchestré. Dans Igual Que Un Ángel, elle joue l’innocente provocante. Dans Labios Mordidos, elle incarne une amante vénéneuse. La voix devient velours, le beat halète. Tout frôle l’incantation.
Mais Orquídeas ne se contente pas de séduire : il embrasse. Il enveloppe, enlace, consume. Chaque piste semble émerger d’une moiteur tropicale, où la sueur se mêle au parfum des souvenirs. Les productions, volontairement organiques, oscillent entre langueur et tension, comme une danse ralentie sous une lumière rouge. Muñekita, avec JT et El Alfa, explose en un manifeste hédoniste, tandis que Te Mata s’infiltre comme une ballade vengeresse.
En mêlant la cumbia, le boléro, la trap et le R&B psychédélique, Kali Uchis transcende les genres. Elle ne revendique rien : elle impose. À contre-courant, elle prouve qu’un album en espagnol peut devenir un phénomène global. Une ode à l’amour trouble, aux identités multiples, et à la puissance sensuelle du féminin.
Un cinquième album entre lumière et intimité
Sorti le 9 mai 2025, Sincerely a marqué un retour à l’anglais et confirmé la capacité de Kali Uchis à se réinventer sans jamais trahir son essence. Alors que Orquídeas célébrait, quelques mois plus tôt, son héritage latin avec une sensualité flamboyante, ce nouvel opus, introduit par le single Sunshine & Rain, a révélé une facette plus mélancolique, presque vulnérable. Le clip, soigneusement réalisé, dans lequel la chanteuse annonçait sa grossesse avec Don Toliver, accentuait cette tendresse assumée et touchante.
Certes, son tube No Hay Ley, chanté en espagnol et tourné dans Paris par Torso Solutions, avait déjà amorcé un virage house et visuel. Mais Sincerely est allé plus loin : il a tissé un lien inédit entre la douceur intime, l’expérimentation pop et une forme de nostalgie lumineuse. Les harmonies y flottent comme un parfum ancien, et chaque morceau semble enveloppé dans un cocon ouaté de souvenirs, de questionnements et d’amour.
D’un titre à l’autre, la voix de Kali Uchis ne cherche pas à briller : elle murmure, effleure, caresse l’oreille. Elle n’impose pas, elle invite. Ce n’est plus une déclaration, mais une confidence. Un journal de bord voilé d’ambiguïté, porté par une esthétique subtilement rétrofuturiste. Sincerely n’est ni une rupture, ni une continuité : c’est une mue.
Et après ?

L’artiste a déjà annoncé un nouveau projet pour 2025. Plus expérimental ? Plus charnel ? Elle ne précise rien, préférant suggérer. Sa trajectoire ne suit aucun tracé linéaire. Elle serpente, glisse, se faufile entre les genres. Muse biculturelle, Kali Uchis s’impose comme une voix trouble, vibrante, insaisissable. Dans un monde qui cherche encore ses frontières, elle les a déjà toutes franchies.