Chanteuse

Lana Del Rey

Lana Del Rey, née le 21 juin 1985 à New York, fait partie de ces artistes qui ont fait du spleen une véritable esthétique. La chanteuse à la voix de velours et au look rétro est l’icône contemporaine d’une Amérique désenchantée. Elle tisse, depuis plus d’une décennie, une œuvre fascinante. Entre photos glamour et sonorités mélancoliques, sa musique inspire de nombreuses artistes émergentes, dont Addison Rae.

Publié le 13 juin 2025. Modifié le 11 août 2025.

Lana Del Rey – Summertime Sadness.

La naissance d’une icône : de Lizzy Grant à Lana Del Rey

Née à New York en 1985, Elizabeth Woolridge Grant grandit dans les nuances pâles de la bourgeoisie américaine : des bancs d’église aux forêts de pins, des silences élégants aux rêveries sans contours. Dès l’enfance, elle perçoit les failles derrière les façades : la beauté figée, la douceur glacée d’un monde trop rangé. Plutôt que de s’y fondre, elle choisit d’y échapper. Et se réinvente. Elle devient Lana Del Rey, pseudonyme doux-amer comme un mirage hollywoodien inspiré de l’actrice Lana Turner et de la voiture américaine Ford Del Rey

En 2011, un titre suffit à l’imposer : Video Games, qui devient viral sur les réseaux sociaux, notamment sur Instagram et Tumblr. Une chanson à contretemps, comme surgie d’un vieux jukebox oublié, au ralenti, au bord des larmes. Là où la pop crie et accélère, Lana murmure et ralentit. Elle impose une nouvelle temporalité : celle de la langueur assumée, du romantisme décadent, de l’émotion nue.

Lana Del Rey – Video Games.

L’album Born to Die

Sa voix flotte comme une cigarette au bord des lèvres. Sa diction frôle l’art de l’effacement. Chaque morceau est une prière mélancolique, un fragment de film perdu entre deux époques. Elle convoque les fifties et les sixties, les icônes oubliées, les paysages mentaux d’une Amérique rêvée — celle des motels tristes, des routes infinies, des amours toxiques et du glamour fané.Très vite, Lana Del Rey cesse de suivre les règles : elle impose les siennes.

Pas de hits calibrés, pas de formats attendus. Elle fait de son œuvre une fresque émotionnelle, un journal intime en technicolor. En dépit des critiques, elle persiste. Car derrière l’image figée de la muse rétro, se cache une artiste redoutablement contemporaine — capable de réenchanter la tristesse, et de faire de la vulnérabilité un geste de puissance.

Tout au long des titres de son album studio Born to Die (2012), l’artiste déroule une réflexion presque métaphysique sur l’existence. Elle explore la nostalgie américaine (Born to Die), les amours déchues (Blue Jeans) ou encore la dépression estivale (Summertime Sadness). Une finesse d’écriture et une stratégie visuelle originale – qui vaut à l’album de dépasser les dix millions d’exemplaires vendus. Il cumule également les quatre milliards de téléchargements plusieurs années après sa sortie.

Une esthétique hantée et souveraine

Impossible de dissocier l’univers sonore de Lana Del Rey de son imaginaire visuel. Dès ses débuts, chaque clip agit comme un prisme, révélant une mythologie intime et saturée de références. En effet, ses vidéos — véritables courts-métrages hantés — convoquent Marilyn Monroe, les motels californiens, les piscines abandonnées, les révoltes inachevées et les rêves crevés de l’Amérique d’antan. À travers ces fragments d’iconographie, elle ne se contente pas de rendre hommage : elle réécrit les contours d’une nation mentale.

Il y a du cinéma dans chaque image, du mythe dans chaque robe, et de la tragédie dans chaque cadrage. Ainsi, ses clips ne se regardent pas comme des illustrations de morceaux, mais comme des extensions poétiques de son œuvre. On y retrouve les drapeaux froissés, les cheveux au vent, les cigarettes incandescentes, les voitures anciennes, les visages figés par l’attente. Pourtant, malgré cette esthétique ultra référencée, rien n’est figé.

Car Lana Del Rey ne reconstitue pas l’Amérique telle qu’elle fut. Bien au contraire, elle la détourne, la désaxe, la décale. Elle suggère une version parallèle, douce et désenchantée, dans laquelle les femmes rêvent à voix basse, les hommes sont absents, et le passé devient un théâtre de l’intime. Par conséquent, son style visuel ne cesse de suggérer, d’esquisser, de suspendre. À rebours des vidéos criardes de la pop actuelle, elle offre une mise en scène du silence et du flottement. Elle rejoue l’Amérique, non pas telle qu’elle fut, mais comme elle aurait pu l’être : plus lente, plus tendre, plus utopique.

Ultraviolence : un album culte 

Sur l’album culte Ultraviolence (2014), la chanteuse dépeint un univers dans lequel elle conte des situations difficiles, abordant l’infidélité (The Other Woman) et le délaissement d’un amant (Old Money). Elle passe outre le politiquement-correct dans le but de plonger directement dans les périodes qu’elle a traversées. Par exemple, elle révèle dans la chanson-titre Ultraviolence les mécanismes d’une relation abusive. 

Honeymoon, Lust For Life, Norman Fucking Rockwell! : les mues d’une icône américaine

La carrière de la chanteuse traverse plusieurs phases entre ses albums Honeymoon (2015), Lust For Life (2017) et Norman Fucking Rockwell! (2019). Le disque Honeymoon (2015) flirte avec le genre de la pop baroque dans le cadre enchanteur de Malibu. Le thème principal de l’album ? Une histoire d’amour qui décline le long des douze titres.

Son cinquième album studio, intitulé Lust For Life (2017), nous emmène dans les monuments, lieux et événements iconiques (la Statue de la liberté, le célèbre festival Coachella) des Etats-Unis avec les titres Coachella – Woodstock et God Bless America – And All the Beautiful Women In It.

Depuis ses débuts, Lana Del Rey façonne une écriture à la fois intime et symbolique. Toutefois, c’est avec Norman Fucking Rockwell! (2019) qu’elle atteint une forme de maturité stupéfiante. Cet album, à la fois limpide et désabusé, fait de l’errance un principe narratif. Les plages vides, les départs sans retour, les amours à la dérive deviennent alors autant de métaphores de notre époque troublée.

Sur Norman Fucking Rockwell!, Lana del Rey honore une fois de plus le cadre de Los Angeles qu’elle met en lumière dans son clip Venice Bitch (un jeu de mot avec la plage sud-américaine Venice Beach). Les paroles introspectives retracent la sympathie de l’artiste pour la Californie avec les titres évocateurs : California, The Next Best American Record. 

Chemtrails Over the Country Club, Blue Banisters : une virée vers la country-folk

Lana del Rey bascule vers le registre musical country-folk en 2021 – année où elle sort deux albums intitulés Chemtrails Over the Country Club et Blue Banisters. Au cours de ces deux opus, l’artiste délaisse quelque peu le glamour qui a fait son succès avec moins de clips et moins de vêtements codifiés fifties et présente au contraire de simples robes blanches lacées. La production est aussi plus épurée.

Elle dévoile au cours de Blue Banisters (2021) des aspects intimes de sa vie, notamment sa famille. Les titres Sweet Carolina, Text Book, Blue Banisters, Wildflower Wildfire et Cherry Blossom abordent la relation de l’artiste avec sa sœur, son frère ainsi que ses parents. Deux albums très personnels donc. 

L’aventure Did you know that there’s a tunnel under Ocean Blvd 

En 2023, elle revient avec l’album Did you know that there’s a tunnel under Ocean Blvd. Cette œuvre ample marque un tournant. Elle y explore une forme d’épure, où chaque mot semble pesé, chaque murmure chargé d’échos. Le disque est traversé de souvenirs éteints, de figures maternelles effacées, de promesses bancales. Là encore, le temps se dilate. Il ne s’écoule plus : il flotte, suspendu entre deux époques qui ne se répondent plus. Et pourtant, au cœur de ce flottement, Lana Del Rey érige un autel, fragile mais résistant.

Parce qu’elle ose ralentir quand tout s’accélère, qu’elle murmure quand tout hurle, elle s’impose comme une résistance poétique. Sa musique refuse le clinquant, les refrains immédiats, l’efficacité commerciale. À l’inverse, elle s’adresse à ceux qui prennent le temps d’écouter, de ressentir, de se perdre. 

Au cours de ces seize titres, la chanteuse confie à son public les étapes de la vie qu’elle a récemment traversé à l’instar du deuil (Fingertips), du mariage d’un de ses proches (Margaret), d’une relation passagère et malsaine (Candy Necklaces). 

Un chant de l’intime et du féminin

Derrière les paillettes, pourtant, Lana Del Rey interroge le féminin. Loin des figures superficielles auxquelles on a voulu la réduire, elle compose des portraits nuancés de femmes blessées mais souveraines. Sous une apparente candeur, ses textes dévoilent une critique acérée de la manière dont l’industrie, mais aussi la société, encadre et formate l’image des femmes. Elle incarne des héroïnes vulnérables, certes, mais jamais soumises. Le manque devient une posture. La dépendance, un terrain d’analyse. La fragilité, une forme d’armure.

Ainsi, même lorsqu’elle chante la peine, elle n’implore rien. Elle constate, elle expose, elle traverse. Par conséquent, ses silences deviennent des prises de position. Une lutte sourde, souterraine mais constante, s’inscrit dans chaque chanson. Plutôt que de crier, elle choisit la lenteur, la subtilité, la profondeur. Elle affirme que l’intime, lui aussi, peut être révolutionnaire. Aujourd’hui figure d’autorité dans la musique, elle inspire des artistes comme Addison Rae, Nessa Barrett et Camila Cabello.  Et ce n’est pas fini. En 2025, Lana Del Rey devrait sortir un nouvel album aux sonorités country qui n’a pas encore de titre.