Actrice

Souheila Yacoub

Souheila Yacoub, née le 29 juin 1992 à Genève, s’impose comme l’une des actrices les plus singulières du cinéma francophone. De ses débuts sur les planches à son rôle dans Dune : Deuxième Partie, elle construit une trajectoire exigeante, instinctive, entièrement traversée par le corps. Portrait d’une présence.

Publié le 6 juin 2025. Modifié le 24 juillet 2025.

Les débuts de Souheila Yacoub

Avant d’entrer en scène, Souheila Yacoub entre en compétition. Enfant, elle se forme à la gymnastique artistique au plus haut niveau. La discipline, le silence, la maîtrise du geste : tout passe par le corps. Elle représente la Suisse jusqu’à ce qu’une blessure mette fin à ce début de carrière.

En 2012, elle devient Miss Suisse Romande. Une étape étonnante dans un parcours où rien n’est joué d’avance. C’est pourtant sur les bancs du Cours Florent, puis du Conservatoire de Paris, que sa vocation prend forme. Elle ne cherche pas la lumière. Elle cherche l’incarnation.

Une actrice du mouvement, entre théâtre et cinéma

Son premier rôle marquant, Gaspar Noé le lui confie. Dans Climax, elle incarne Selva, meneuse instinctive d’une troupe de danseurs livrés à une nuit d’errance hallucinée. Le film, radical, sensoriel, plonge dans une spirale psychotrope où les corps deviennent le seul langage possible. Là, Souheila Yacoub ne joue pas : elle traverse. Elle vit. Elle capte chaque vibration, chaque secousse. Sa présence devient magnétique, presque sauvage.

Face à la caméra mouvante de Noé, elle reste droite. Présente. Elle impose une ligne, une humanité brute. Son corps parle avant les mots. Sa voix, rare, tranche comme un fil. Chaque geste, chaque regard semble surgir d’un ailleurs très intime. Ce n’est pas une performance, c’est une immersion. Elle empoigne le rôle avec une sincérité brute, sans maquillage ni artifice.

Climax devient alors une révélation. Pour elle, mais aussi pour le public. Car en un seul rôle, elle affirme quelque chose de rare : une capacité à tout donner sans jamais se perdre. À rester ancrée, même au bord du vertige. Ce premier choc cinématographique inscrit durablement Souheila Yacoub dans le paysage. Une actrice est née — indomptable, intense, essentielle.

Des choix assumés

Dans No Man’s Land (Arte), Souheila Yacoub incarne une combattante kurde avec une intensité qui bouleverse. Son regard porte l’histoire de milliers de femmes, sa posture dit la douleur, la détermination, la perte. Elle n’en fait jamais trop. Elle suggère, tend, habite le silence. Dans Les Sauvages, elle impose une autre forme de puissance, plus politique, plus nerveuse. Sa tension intérieure se fait palpable. Elle tient l’image avec une autorité tranquille, sans jamais hausser le ton. Au théâtre, elle électrise la scène dans Tous des oiseaux de Wajdi Mouawad. Ce rôle devient pour elle un terrain d’incandescence. Elle y explore les origines, les conflits, les identités. Sa voix s’ancre, son corps se transforme. Une présence rare. Qui vibre, qui tient.

Très vite, le cinéma d’auteur la repère. Philippe Garrel lui offre un rôle dépouillé dans Le Sel des larmesCédric Klapisch la choisit pour En corps, où elle rayonne, en équilibre entre légèreté et gravité. Noémie Merlant, avec Les Femmes au balcon, lui confie un rôle plus discret mais tout aussi essentiel. À chaque film, elle apparaît neuve. Elle ne reproduit jamais. Elle explore. Et elle imprime une vérité.

En 2024, elle entre dans la sphère de Denis Villeneuve. Dans Dune : Deuxième Partie, elle devient Shishakli, une guerrière Fremen. Muette, mais ancrée. Sa présence ne passe pas inaperçue. Elle introduit dans cet univers épique une forme de gravité nouvelle. Elle donne au silence un poids presque mystique.

Aux côtés de Zendaya et Timothée Chalamet, elle ne s’efface pas. Elle impose, sans bruit. Son nom circule, désormais, dans les sélections de la Berlinale, puis dans les rumeurs de César. Sans éclat tapageur. Mais avec une constance qui dessine l’évidence.

Une comédienne d’aujourd’hui, tournée vers demain

Souheila Yacoub échappe aux cases. Elle passe d’un projet à l’autre avec une exigence rare, refusant de se laisser définir. Tantôt politique, tantôt sauvage, parfois classique, parfois radicale : elle navigue entre les registres avec une aisance déconcertante. Ni formatée, ni attendue, elle choisit la voie du déplacement, du trouble, de la nuance.

Sur sa vie personnelle, elle garde la même maîtrise. On lui connaît une relation avec Lomepal, mais elle n’en fait jamais un sujet. Pas de mise en scène, ni d’apparitions calculées. Ce qu’elle choisit de taire renforce ce qu’elle donne à l’écran. Car chez elle, la pudeur n’est pas une stratégie : c’est une posture. Une manière d’habiter le monde sans chercher à l’occuper. Sa retenue n’est pas un retrait, mais une forme d’intensité — profonde, contenue, lumineuse sans débordement.

De la gymnastique à la scène, de Miss Suisse romande à actrice habitée, Souheila Yacoub suit une trajectoire imprévisible, cohérente dans son audace. Là où on croit l’attendre, elle bifurque. Et chaque apparition déplace quelque chose. Elle trouble, elle capte, elle fracture doucement. Rien n’est plat, rien n’est attendu. Même dans les seconds rôles, elle imprime une marque, une vibration singulière.

Elle n’embrasse jamais la facilité. Elle choisit les metteurs en scène exigeants, les scénarios dérangeants, les récits qui déracinent. Son cinéma, à l’image de son corps, est mouvant, enraciné, libre. Dans un monde qui classe, catégorise, réduit, elle rappelle que certaines présences échappent à l’étiquette. Parce que l’essentiel, chez elle, ne se déclare pas. Il s’impose. Il se ressent. Et il reste, longtemps, après l’image.