Pourquoi faut-il connaître Lola Le Lann, l’étoile montante du cinéma français ?
Révélée en 2015 dans le film Un moment d’égarement, Lola Le Lann a depuis tracé un chemin singulier entre projets musicaux et cinématographiques. Discrète mais déterminée, l’actrice et chanteuse de 29 ans se distingue aujourd’hui dans Le Domaine, un thriller en salles ce mercredi 15 mai 2025. À cette occasion, Numéro a rencontré une artiste à la sensibilité vibrante, aussi passionnante qu’engagée.
propos receuillis par Nathan Merchadier.

Lola Le Lann, une actrice et chanteuse à suivre
À la fois reconnue en tant que chanteuse et actrice, Lola Le Lann incarne une génération d’artistes qui redessinent les frontières entre les disciplines. Si le grand public la découvre aux côtés de Vincent Cassel et François Cluzet dans le film Un moment d’égarement (2015), la jeune femme qui a grandi entre un père trompettiste de jazz et une mère réalisatrice, s’est également formée à la musique. On lui doit notamment quelques ballades pop aux paroles ensoleillées (45T, Lola à l’eau), évoquant aussi bien Vanessa Paradis qu’Alain Chamfort.
Mais après la sortie de son bel EP intitulé Glaz en 2020, sa trajectoire musicale prend un tournant innatendu . Elle renonce à sortir son premier disque, quelques jours seulement avant son arrivée sur les plateformes de streaming, car l’un de ses collaborateurs est accusé de violences sexuelles. Un geste fort, viscéral, qui traduit une posture rare dans l’industrie. Loin d’être freinée, Lola Le Lann continue de défendre une parole libre et engagée sur la place des femmes dans les milieux artistiques.
L’héroïne déchue du film Le Domaine
Cette semaine, l’actrice âgée de 29 ans fait son retour au cinéma à l’affiche du film Le Domaine dans lequel elle incarne une camgirl. Elle y donne la réplique à Félix Lefebvre, jeune comédien révélé dans Été 85 (2020) de François Ozon. En résulte un thriller dense où se croisent les thèmes de la chasse en milieu rural, de l’embrigadement et de la prostitution.
À l’occasion d’un entretien avec Numéro, la comédienne revient sur ses influences musicales et ses envies de mise en scène…
L’interview de Lola Le Lann
Numéro : Après plusieurs années passées loin des plateaux de cinéma, vous êtes à l’affiche du thriller Le Domaine. Qu’est-ce qui vous a touchée dans ce projet ?
Lola Le Lann : J’ai aimé la nature de mon personnage. Célia est peu présente à l’écran, mais très forte dans l’imaginaire du film. Elle existe à travers les souvenirs de Damien et le regard qu’il porte sur elle. Les rares scènes où elle apparaît sont très denses. J’y voyais une forme de poésie, une présence mystérieuse, presque fantomatique. Elle est là, mais on ne sait jamais vraiment si c’est un souvenir réel ou un rêve. Cette jeune femme me semblait très différente de ce que j’avais joué auparavant.
Dans quel sens ?
Je sortais du tournage de la série Killer Coaster, dans laquelle j’incarnais une fille très extravertie, une sorte de peste burlesque, manipulatrice, une cagole des années 90 dans un univers forain. Là, c’est tout l’inverse. Elle m’évoque une figure silencieuse, stoïque, mélancolique. Presque un tableau. Cela m’a donné envie d’explorer cette nouvelle énergie, d’aller vers quelque chose de plus intériorisé.
“On voit de nombreux personnages féminins de plus de 50 ans s’emparer du devant de la scène.” Lola Le Lann
Avez-vous éprouvé une certaine réticence avant de vous plonger dans votre personnage ?
La scène qui aurait pu me faire hésiter à accepter ce rôle, c’est celle de la camgirl dans laquelle je me dénude. C’était la première que j’ai envoyée pour le casting et aussi la plus difficile. C’est typiquement le genre de séquences où, en tant que comédienne, on se pose mille questions, notamment sur comment elle va être filmée. On peut avoir peur que ce soit maladroit, vulgaire ou voyeuriste. Mais ce que j’ai trouvé formidable avec Giovanni Aloi, le réalisateur, c’est justement son regard. Il sait filmer la sensualité sans jamais tomber dans la nudité gratuite, ni dans le trash. Dans le montage final, il a traité la scène de manière très poétique. Il y a un moment où l’image bascule dans les pixels de l’ordinateur, avec un décompte… Et tout reste en suspens. C’est beau, presque irréel.

Racontez-nous votre rencontre avec Félix Lefebvre, qui incarne Damien dans le film…
Avec Félix Lefebvre, nous avons imaginé nos personnages comme deux pendants. Célia est plus lucide et déterminée, elle choisit de s’isoler dans ce château pour gagner de l’argent et reprendre le contrôle de sa vie. Elle garde ses distances, avance seule, sans chercher à plaire ni à s’intégrer. Damien, lui, est beaucoup plus passif. Il se retrouve là presque par hasard, attiré par la présence de Célia, mais sans réel but. Leur lien a parfois pris une dimension fraternelle, comme si elle jouait un rôle de grande sœur, plus mature, plus désabusée. J’imaginais un peu Célia comme ces figures décrites par l’écrivaine Virginie Despentes. Une femme qui monnaye son corps non pas par faiblesse, mais pour en reprendre la maîtrise.
En tant que chanteuse ou en tant qu’actrice, les vêtements vous aident-ils à façonner vos personnages ?
Le costume joue un rôle essentiel dans la construction d’un personnage, et une mauvaise expérience peut nuire à tout un film. Dans mon nouveau film, la costumière Priscilla a fait un travail formidable, notamment avec des robes inspirées du 19e siècle. Un clin d’œil au film Pique-nique à Hanging Rock (1977) de Peter Weir. Le costume a donné à Célia une dimension iconique, ce qui était crucial, car nous ne voulions pas un look réaliste, mais quelque chose qui projette Célia à travers différentes époques tout en restant crédible socialement. Pour le rôle de camgirl, le cuir a été essentiel pour incarner la vulgarité avec légitimité. Les costumes permettent de se sentir convaincant, ce qui est difficile si on ne se sent pas à l’aise dans ses vêtements.
“Quand j’ai décidé de ne pas sortir mon album, ce n’était pas un geste militant réfléchi, mais une nécessité personnelle.” Lola Le Lann
Dans une interview accordée au magazine Rolling Stone en 2021, vous disiez “Il y un problème de représentation de la femme au cinéma”. Pensez-vous que les choses ont évolué depuis ?
Oui, les choses évoluent. On voit de nombreux personnages féminins de plus de 50 ans revenir sur le devant de la scène. Je pense au film Three Billboards avec Frances McDormand. Ou à certaines séries anglaises qui explorent le désir féminin à cet âge-là. Ce n’est pas que ces récits n’existaient pas avant, mais aujourd’hui, ils trouvent davantage de producteurs prêts à les porter. Après, tout dépend des projets. Il ne s’agit pas seulement de montrer des femmes à l’écran, il faut aussi penser à des critères comme le test de Bechdel — une scène doit montrer deux femmes qui parlent d’autre chose que d’un homme —, et à la parité derrière la caméra. Certains festivals l’exigent et c’est une bonne chose.
Mais ce n’est pas sans risque.
Oui. Car cela dit, je reste vigilante sur la discrimination positive : il ne s’agit pas non plus de privilégier une femme moins expérimentée uniquement parce qu’elle est une femme. L’objectif, c’est l’équité, pas la compensation.
Une artiste entre cinéma et musique
Juliette Armanet ou Camélia Jordana réussissent à mener à la fois une carrière musicale et cinématographique. C’est aussi votre cas, car vous avez sorti un EP.
C’est très difficile d’exceller à la fois en musique et au cinéma, car chaque domaine demande un investissement total. Pour défendre un projet musical, il faut vivre musique, penser musique. C’est pourquoi je suis actuellement en pause de ce côté-là. J’ai essayé de tout mener de front, mais ça ne marche pas : on finit frustré de ne jamais être complètement disponible. Je préfère donc alterner selon les périodes et les projets, surtout que le cinéma est souvent plus imprévisible. Après, je trouve que ces artistes sont impressionnantes, talentueuses et audacieuses. Elles montrent qu’il n’y a pas un seul chemin pour réussir, et ça, c’est précieux.

Vous avez décidé de ne pas sortir votre premier disque, car l’un des compositeurs de l’album était mis en cause dans des affaires de violences sexuelles. Était-ce pour vous un moyen de briser la culture du silence ?
Oui, c’était une manière de briser la culture du silence, qui reste très forte, surtout dans le milieu de la musique. Contrairement au cinéma ou au théâtre où les équipes changent à chaque projet, en musique, on travaille souvent pendant des années avec les mêmes personnes, ce qui rend les choses plus complexes.
Pourquoi ?
Quand j’ai décidé de ne pas sortir l’album, ce n’était pas un geste militant réfléchi, mais une nécessité personnelle. Je n’aurais pas pu me regarder en face. J’avais besoin de rester alignée avec mes convictions, même si ça a été très douloureux après des années de travail. Mais parfois, il faut savoir renoncer pour pouvoir avancer.
“J’ai baigné dans le jazz sans le pratiquer moi-même, mais j’ai aussi été formée au classique, d’abord avec le piano et plus tard en chant liturgique.” Lola le Lann
Au moment où vous avez choisi de ne pas sortir ce projet, aviez-vous peur que cela puisse avoir des répercussions sur votre carrière ?
Je n’ai pas vraiment pensé aux conséquences sur ma carrière, car c’était viscéral. Je ne pouvais tout simplement pas continuer. Heureusement, l’époque a joué en ma faveur : les gens autour de moi ont compris et m’ont soutenue. Il y a dix ans, ça aurait peut-être été différent, surtout avec les contraintes d’un label aussi important. Mais là, j’ai senti un vrai soutien.


Vous avez grandi dans une famille d’artistes (son père est trompettiste et sa mère, réalisatrice). Quelle a été votre éducation musicale ?
J’ai grandi dans un univers musical très riche grâce à mon père. Il est trompettiste de jazz autodidacte, c’est lui qui m’a transmis sa passion. Il venait d’une famille de musiciens amateurs, et je l’ai souvent entendu jouer, parfois jusqu’à tard dans la nuit. J’ai baigné dans le jazz sans le pratiquer moi-même, mais j’ai aussi été formée au classique, d’abord avec le piano et plus tard en chant liturgique. J’ai étudié à l’Académie vocale de Paris, dirigée par un ancien organiste de Westminster. Cela m’a ouvert un tout nouveau monde, d’autant plus que je n’avais pas d’éducation spirituelle. C’était une expérience fascinante.
Pouvez-vous nous parler de vos projets ?
Je viens de laisser tomber une idée de documentaire sur le piano, mais je me relance dans un projet de fiction que j’aimerais réaliser sous la forme d’un court métrage cette année. J’ai aussi deux projets au théâtre, mais je ne peux pas encore en parler…
Le Domaine de Giovanni Aloi, au cinéma le 14 mai 2025.