José Martinez : portrait du directeur de la danse du Ballet l’Opéra de Paris
Avec ses 154 danseurs, le Ballet de l’Opéra de Paris incarne l’excellence de la danse classique française. Alors que son gala de mécénat fête cette année son dixième anniversaire, José Martinez, son directeur de la danse, nous explique les enjeux de cette institution qui n’a rien perdu de son pouvoir de fascination.
Propos recueillis par Delphine Roche.
Portrait par David Paige.
L’interview de José Martinez, directeur de la danse de l’Opéra national de Paris
Numéro : Vous avez été une étoile du Ballet de l’Opéra de Paris de 1997 à 2011. Éprouviez-vous un fort désir de revenir travailler pour l’institution ?
José Martinez : Au départ d’Aurélie Dupont, j’ai beaucoup réfléchi au fait de présenter ma candidature. Puis je me suis dit qu’avec ma connaissance de la maison et mon expérience acquise en gestion et management à la tête de la Compagnie nationale de danse en Espagne, le moment était venu d’apporter ma vision de la danse à la compagnie, et de faire en sorte que les danseurs puissent évoluer artistiquement à la faveur de la programmation. Grâce à la confiance d’Alexander Neef [directeur général de l’Opéra de Paris], j’ai retrouvé cette institution.
Le Ballet comporte, si je ne m’abuse, 154 danseurs. Suivre la progression de chacun est un vrai challenge.
Cela occupe 60% de mon temps, et je voudrais en faire encore davantage. C’est essentiel pour la compagnie. Les danseurs ont besoin d’être écoutés. Pour m’aider dans ce travail, je suis entouré de toute une équipe : notamment les maîtres de ballet, le pôle santé et un psychologue pour les suivre et les guider.
Pourquoi avez-vous créé le Junior Ballet ? En quoi consiste-t-il ?
C’est une façon de nous ouvrir à des profils différents, et c’est aussi un intermédiaire entre l’école et le Ballet. Le Junior Ballet aura son propre programme de spectacles, à domicile et en tournée, et, au terme de leur formation, ses danseurs pourront passer le concours pour intégrer le Ballet. Nous les préparerons aussi pour les auditions d’autres grandes compagnies internationales. Ce Junior Ballet partira en tournée, se produira dans des théâtres et des musées, et proposera au public différentes actions de médiation.
Une programmation entre ballets classique et pièces contemporaines : le difficile jeu d’équilibre
L’artiste JR a présenté l’année dernière une œuvre monumentale et une performance sur la façade en travaux et sur le parvis du palais Garnier. Ce type d’initiatives contribue-t-il à amener un nouveau public à l’Opéra ?
Absolument. Cette performance a eu une visibilité incroyable. Toute initiative qui permet d’être proche des danseurs, de les voir de près ou de les voir autrement, est très positive.
Le Ballet de l’Opéra, qui incarne un équilibre entre tradition et modernité, doit-il se renouveler en permanence?
Oui, et il change très rapidement. La façon dont les danseurs pensent leur carrière aujourd’hui est aussi très différente de la façon dont ils la pensaient par le passé. Ils ont envie de mettre en place leur propre projet, de participer, d’échanger.
L’équilibre entre les ballets classiques et les pièces contemporaines est un des enjeux de la programmation. Comment l’avez-vous abordé ?
Cet équilibre est très important. Si je penche davantage d’un côté ou davantage de l’autre, la moitié de la compagnie se sent délaissée. Il est essentiel au moment de la programmation, c’est un paramètre dont je tiens vraiment compte. Un danseur qui danse est un danseur heureux. Il faut faire en sorte que chacun ait toujours quelque chose à travailler, un nouveau projet qui commence.
154 danseurs et une exigence à toute épreuve
Les ballets classiques sont-ils vraiment plus exigeants en termes physiques?
Ils exigent beaucoup, mais c’est une question d’entraînement, de régularité du travail. Il faut surtout prévoir un temps de préparation assez long pour passer, par exemple, d’une pièce d’Ohad Naharin à un ballet de Noureïev. Il est vrai que ces derniers sont épuisants : ils comptent de nombreuses variations, des pas de deux… mais ils font vraiment partie de l’histoire de l’Opéra de Paris.
Pour le programme de votre première saison, vous avez choisi un ballet de Noureïev, La Belle au bois dormant, un de Manuel Legris et un autre de Pierre Lacotte.
Je voulais que Noureïev soit présent, mais aussi faire venir d’autres chorégraphes qui connaissent l’école française et qui travaillent sur la même technique que Noureïev. D’ailleurs, Manuel Legris a fait toute sa carrière avec lui. C’est une façon d’ouvrir le répertoire, de l’enrichir tout en présentant les ballets de Noureïev. Nous présentons aussi, dans le registre classique, Onéguine de John Cranko et Mayerling de Kenneth MacMillan.
Noureïev, qui a réécrit les grands ballets classiques de Marius Petipa lors de sa collaboration avec l’Opéra de Paris dans les années 80, est incontournable.
Il a collaboré avec le Ballet pendant trente ans. On pourrait présenter une autre version du Lac des cygnes, mais le sien est tout de même très beau ! Puisqu’il a créé toutes ces pièces alors qu’il dirigeait la danse à l’Opéra, ne plus les présenter serait comme renoncer à notre propre patrimoine, a notre propre histoire. Il faut simplement les faire évoluer pour que les danseurs d’aujourd’hui puissent les interpréter comme on danse aujourd’hui, pour que le public actuel les comprenne. Nous échangeons continuellement avec Thierry Fouquet, de la Fondation Noureïev, à ce sujet. Il est totalement ouvert à ce que nous fassions des aménagements. Il me certifie que si Noureïev était là aujourd’hui, il ferait lui-même évoluer ses pièces.
Réinventer l’Opéra national de Paris et faire rêver son public : les ambitions de José Martinez
Dans votre programmation, William Forsythe, qui a collaboré avec le Ballet pendant près de trente ans, revient avec Blake Works 1, la première partie de sa création sur la musique de James Blake, présentée pour la première fois en 2016.
Il va également recréer son duo Rearray. Je lui ai demandé de concevoir une pièce pour toute la compagnie. Il me dit qu’il se sent désormais trop âgé, trop fatigué, mais je ne m’avoue pas encore vaincu. Il m’a parlé de My’Kal Stromile, avec qui il a travaillé et qui incarne à ses yeux l’avenir de la chorégraphie. Je l’ai donc programmé en première partie de son ballet pour le gala.
Très bel événement en vue, la chorégraphe israélienne Sharon Eyal va proposer une version sur pointes de sa pièce OCD Love…
Cela devrait être sa première création sur pointes. J’espère que cela le sera ! Car lorsqu’elle avait créé Faunes [2021], elle avait rapidement abandonné les pointes. Je vais donc être présent au début du travail, pour essayer de la convaincre de persévérer.
L’Opéra ne cesse de se reinventer. Faut-il de ce fait trouver de nouvelles façons de travailler, de transformer votre modèle économique ?
À Madrid, j’ai eu l’expérience de gérer des budgets moins importants. Je suis habitué à travailler dans une logique où il faut parfois faire des aménagements, par exemple reprendre un spectacle plutôt que d’en créer un nouveau. Cela ne limite pas l’aspect artistique car le répertoire de l’Opéra est très vaste. Nous pouvons même aller chercher des pièces très peu connues du public, comme O zlozony / O composite de Trisha Brown, créé avec Nicolas Le Riche et Aurélie Dupont il y a vingt ans, qui n’est pas parti en tournée, et dont la plupart des gens ignorent totalement l’existence.
Cette année marque le dixième anniversaire du gala annuel qui a introduit un nouveau mode de mécénat dans la maison, et dont le succès est de plus en plus important.
Il est vrai qu’il connaît un grand succès depuis ses débuts, grâce au fidèle soutien de Chanel et de Rolex. Je pense que ce gala est arrivé au bon moment. Benjamin Millepied l’a instauré à son arrivée, c’était un vrai changement. Le mécénat a graduellement pris beaucoup plus d’importance au sein de la maison, sous l’impulsion de l’AROP [Association pour le rayonnement de l’Opéra national de Paris]. Le gala et sa soirée, dont la prochaine édition se tient le 1er octobre, sont très attendus, parles danseurs qui veulent tous y participer, par le public et par nos mécènes. Le gala est devenu si apprécié que, pendant le confinement, nous l’avons même adapté en version numérique. Nous espérions qu’il deviendrait un véritable événement… et il l’est devenu!
Opéra national de Paris, Paris 9e.