Rencontre avec Viola Davis : “Quand tu essaies de t’aimer, tout change”
Le mot “icône” est souvent galvaudé. Mais lorsqu’il s’agit de Viola Davis, il arbore alors des airs d’euphémisme. Immense actrice, la star de la série culte Murder et du film The Woman King est la première comédienne afro-américaine à avoir remporté à la fois un Oscar, un Tony Award et un Emmy Award. Productrice, femme engagée et ambassadrice internationale L’Oréal Paris, elle nous parle de la représentation des femmes noires à l’écran et de sa définition de la beauté.
propos recueillis par Violaine Schütz.
L’interview de Viola Davis, actrice iconique et ambassadrice L’Oréal Paris
Numéro : Vous avez défilé lundi dernier pour le show de L’Oréal Paris appelé Walk Your Worth avec Jane Fonda et Eva Longoria. Que représente pour vous cet événement ?
Viola Davis : Ça représente un moment important pour moi. L’année dernière, je défilais avec ma fille, Genesis, qui n’a que 14 ans. C’était la première fois pour elle qu’elle défilait sur un podium. C’est important pour moi de marcher sur un podium parce que c’est une question de confiance. Il s’agit de se sentir vraiment bien dans sa peau et de le montrer aux gens. Pour moi, c’est précieux parce que je suis timide, introvertie. Et ce podium, Walk Your Worth, est un podium féministe. Il est question d’empowerment. Voilà donc ce que cela signifie pour moi : de la confiance et du plaisir. Il ne faut pas oublier le plaisir !
Les valeurs promues par ce défilé sont l’émancipation féminine, l’inclusivité et la sororité. Quelle place occupent ces idées dans votre vie ?
Je pense que les gens ont désespérément besoin de connexion, d’amour ainsi que de manifestations physiques de façons de vivre sa vie magnifiquement, en paix et en se sentant digne. Alors plus vous faites passer ce message, mieux c’est. Nous avons faim de ça. Et je pense que c’est plus important qu’une pizzeria (rires). Nous sommes spirituellement et émotionnellement affamés. Surtout en tant que femmes. Nous essayons de nous éloigner de ce qu’on nous a dit à propos de notre valeur. Ce que j’aime chez L’Oréal, c’est que tout le monde est représenté : toutes les couleurs de peau, tous les âges et toutes les tailles. Cela donne aux femmes une chose à laquelle s’accrocher. Elles peuvent se sentir importantes. C’est donc extrêmement précieux.
“J’aime les femmes qui ne sont pas glamour. J’aime les femmes qui ont les cheveux ébouriffés. J’aime les femmes qui ne font pas une taille 2.” Viola Davis
Murder, Fences, Le Blues de Ma Rainey, Les Veuves, Suicide Squad… Vous avez joué beaucoup de femmes fortes à l’écran. Comment choisissez-vous vos rôles ?
C’est une question vraiment compliquée. Je ne choisis pas toujours mes rôles. Mais parfois je le fais. C’est un mélange de ce que je choisis et de ce qui est là pour moi. Je fais de mon mieux avec ce qui existe en tant qu’actrice noire de 59 ans. Je recherche toujours quelque chose qui me soit familier, une humanité qui m’est familière. Je n’aime pas les personnages qui ne me semblent pas authentiques ou réels. J’aime l’authenticité. J’aime les femmes qui ne sont pas glamour. J’aime les femmes qui ont les cheveux ébouriffés. J’aime les femmes qui ne font pas une taille 2. J’aime les femmes qui ressemblent à des fils de barbelés sur des clôtures. Ou le personnage que je m’apprête à incarner dans le film G20 parce qu’elle botte beaucoup de culs (rires) (Le long-métrage, prévu pour une diffusion sur Prime Video en 2025 imagine une présidente des États-Unis au sommet du G20 lorsqu’elle apprend qu’une attaque terroriste est imminente. Elle doit alors tout faire pour sauver sa famille et ses collègues leaders mondiaux, ndlr). J’aime le désordre parce que je pense qu’en tant qu’êtres humains, nous sommes compliqués et désordonnés. Et c’est mon travail de vous le montrer et ça me plaît.
Pensez-vous que la représentation des femmes noires a évolué à l’écran depuis vos débuts à Hollywood ?
C’est donc une grande question. Je négocie toujours ma réponse, mais je ne vais pas la négocier cette-fois-ci. Cela a un peu changé. L’aiguille a un peu bougé. Mais cela n’a pas assez changé. Encore une fois, tu es toujours forte ou alors tu es super mignonne. Même lorsque tu te réveilles le matin, tes cheveux sont coiffés, tes ongles sont faits, tout est parfait. Ou alors, tu es une allégorie, une métaphore. Tu représentes quelque chose de plus grand que la personne que tu es. Comme je vous le disais à propos des rôles que j’aime, j’attends, à propos des femmes noires, qu’elles entrent dans la narration en tant qu’êtres humains complexes. Je ne pense pas que cela nie la beauté ou la féminité. Je pense simplement que cela nous rend humains. Et je ne vois pas forcément ça tout le temps à l’écran. Et j’ajouterais que je suis un peu épuisée par le fait que nous soyons des personnages secondaires, des accessoires aidant les personnages principaux, même s’il s’agit d’une femme blanche ou d’un homme blanc. Nous avons donc encore beaucoup de chemin à parcourir. Mais je pense qu’il y a suffisamment d’héroïnes et de femmes noires qui ont des sociétés de production et qui n’ont plus peur.
Et vous avez d’ailleurs une société de production…
Tout à fait. Elle s’appelle JuVee. Et je n’ai pas peur (rires).
“Comme c’est idiot de ma part de ne pas avoir su plus tôt que j’étais l’amour de ma vie.” Viola Davis
Quand vous étiez plus jeune, qui vous a donné de la force et de l’inspiration en tant que femme ?
Vous savez quoi ? À un tout autre moment, j’aurais cité beaucoup de femmes différentes telles que Madame Cicely Tyson (actrice américaine qui a joué dans La couleur des sentiments, ndlr) ou Meryl Streep. Mais là, j’ai envie de répondre : ma mère. Parce qu’elle est une survivante (Viola Davis est née dans la ferme de sa grand-mère, une ancienne plantation où étaient exploités des esclaves et sa mère, Mae Davis, était bonne. Elle a grandi dans une famille très pauvre, ndlr). C’est une femme qui a eu une vie difficile et qui a vraiment toutes les excuses pour détester le monde, mais il y a toujours un tel surplus d’amour dans son cœur et le besoin de vivre. De s’assurer que les gens comprennent qu’ils sont aimés. Je trouve ça génial. Et elle m’a littéralement créée. Je sais qu’elle a prévu certaines choses pour moi qui me font dire : Oh, maman, maintenant je dois porter ce fardeau sur mon épaule. Elle m’a donné une excellente feuille de route. Mais avant tout, Mae Davis, c’est une histoire d’amour.
Quel est le meilleur conseil qu’on vous ait jamais donné ?
Ma mère m’a donné de bons conseils. J’ai reçu tellement de bons conseils, mais le mantra qui me revient encore et encore dans la tête, par rapport à là où j’en suis, c’est que une citation vue sur Instagram. Je ne vais pas vous mentir. Elle n’était pas dans un livre (rires). Cette citation dit : “Comme c’est idiot de ma part de ne pas avoir su plus tôt que j’étais l’amour de ma vie.” Pour moi, cette phrase représente tout. Je ne le savais pas non plus. Et c’était stupide de ma part de ne pas le savoir. Personne ne parle assez de l’amour que tu dois avoir pour toi. Les gens parlent de leur amour pour un partenaire, pour un enfant, pour leurs amis… Mais alors tu te déplaces dans l’existence comme un simple conduit. Sauf qu’en réalité, à la fin de ta vie, c’est toi qui compte. Toi, belle et glorieuse. Qui savait ça ? Les gens vous disent généralement que vous êtes vaniteux, si vous vous aimez… Jusqu’à ce que tu réalises que la douleur qui est dans ton cœur et dans tes tripes à mesure que tu avances dans la vie et que les gens te blessent, c’est toi qui causait ça. Pourquoi ? Parce que je ne m’aimais pas. Je ne me sentais pas digne.
“À la fin, personne n’a une photo de lui issue d’un shooting paru dans un vieux magazine sur sa pierre tombale.” Viola Davis
Ce n’est pas facile de changer sa vision des choses…
Non. Mais quand tu t’ouvres, la vie s’ouvre. Ça ouvre plus de perspectives quand l’on s’aime soi-même que lorsqu’on aime son partenaire, son enfant ou ses amis. Quand tu essaies de t’aimer, tout change.
Quelle est votre définition de la beauté?
Ce dont on vient de parler : l’amour-propre. Ce sont des femmes qui entrent dans une pièce et qui ne s’excusent pas à propos de qui elles sont qui sont belles. Elles ne s’excusent pas de leurs vergetures, de leurs défauts. Ces derniers les constituent autant que leurs qualités, et il n’y a pas à en discuter. C’est ça la beauté. Je me fiche des rides, des lèvres ou des cheveux. C’est cette lumière, qui vient de l’intérieur de toi, qui te permet de savoir que la vie est grande, non ? À la fin, personne n’a une photo de lui issue d’un shooting paru dans un vieux magazine sur sa pierre tombale. Il y plutôt écrit : “Épouse bien-aimée” ou “Mère bien-aimée.” J’ai couru ma meilleure étape de la course. Qui sait ? Ils n’ont pas de récompenses ? J’aime cette femme confiante. C’est ce que j’essaie de réaliser, sans aucune excuse ni aucun regret d’être Viola.
G20 (2025) de Patricia Riggen, avec Viola Davis, disponible sur Prime Video en 2025.