Rencontre avec Luis de Javier, le créateur qui va secouer la Fashion Week de Paris
Après Londres, New York et Los Angeles, Luis de Javier présente ce mardi 24 septembre 2024 son défilé printemps-été 2025 à la Fashion Week de Paris. Proche du créateur de mode Riccardo Tisci et du photographe Steven Klein, le designer espagnol imagine des collections sulfureuses et audacieuses qui ont séduit Beyoncé, Rosalia, Julia Fox et Eatheater. À quelques jours de son défilé parisien, Luis de Javier s’est confié à Numéro.
par Léa Zetlaoui.
Rencontre avec Luis de Javier pour son premier défilé à Paris
Numéro : Cette saison, vous défilez pour la première fois à la Fashion Week de Paris. Selon moi c’est l’endroit idéal pour vos collections, car vous avez une vision de la mode très théâtrale. Que représente ce défilé pour vous ?
Luis de Javier : Paris a toujours été mon objectif ultime, mais je ne pensais pas que cela se produirait aussi tôt dans ma carrière.
Pourquoi ?
J’ai tellement de respect pour la Fashion Week de Paris et ses créateurs et je ne voulais pas me précipiter. J’ai énormément appris grâce à Riccardo [Tisci], un ami et une des mes idoles depuis toujours. C’est lui qui m’a encouragé à organiser ce show.
Êtes-vous plutôt stressé ou confiant à l’idée de franchir cette nouvelle étape dans votre carrière de créateur de mode ?
Pour être honnête, je suis heureux et excité. Je pense que je ne me suis jamais senti aussi apaisé et reposé. L’énergie au studio est géniale.
Avant Paris, vous avez présenté des collections à New York et Los Angeles. C’est étonnant pour un créateur de mode de changer de ville pour chacun de ses shows.
Pour New York, je me suis dit, « Ok, allons là où il y a de l’argent. Allons faire du bruit. New York en a besoin. » Honnêtement, j’ai juste atterri là-bas avec mes valises et je n’aurais jamais imaginé un tel résultat. Malheureusement, je n’avais pas les moyens de produire un autre show là-bas. Finalement j’ai été approché par les organisateurs de la Fashion Week de Los Angeles, qui m’ont demandé de les rejoindre pour gagner en visibilité. Avec ce défilé printemps-été 2024, j’ai réalisé que peu importe où je décide de défiler, les retombées seraient incroyables.
L’engouement suscité par ces deux défilés vous a donné confiance en vous ?
Exactement. À Los Angeles, c’est la première fois que j’ai collaboré avec Lucien Pages [le directeur de l’agence de communication qui le représente, ndlr.]. À l’époque, quand il m’a demandé ma liste d’invités, je n’avais aucun nom à lui donner car je ne connaissais personne dans cette ville. J’y suis allé à l’aveugle et finalement toutes les personnes qu’il a invité sont venues. C’est après ce jour que je me suis senti prêt pour Paris.
Sa rencontre décisive avec Riccardo Tisci
Pour ce défilé, vous avez été soutenu par le créateur Riccardo Tisci, comment l’avez-vous rencontré ?
C’est vraiment un moment qui n’existe que dans les films !! Nous nous sommes rencontrés à Londres, à l’occasion du dîner de lancement du livre de mon ami, le photographe Steven Klein [en 2022, ndlr.]. On nous a assis à côté, et j’étais vraiment intimidé par sa présence. Il m’a demandé de lui montrer ma prochaine collection avant de me confier que vingt ans plus tôt, il s’était retrouvé dans la même situation que moi. Encore inconnu, il était assis à une table avec des créateurs comme John Galliano et Alexander McQueen. A cette époque, il a suffit qu’une seule personne lui fasse confiance pour que sa carrière change, et il voulait être cette personne pour moi.
En tant que jeune créateur, s’entendre dire ces mots de la part d’une personnalité aussi importante que Riccardo Tisci doit être excitant.
C’est vrai. Surtout qu’à ce moment-là, j’avais ma marque depuis trois ans, et j’étais entouré de personnes qui ne voulaient pas le meilleur pour moi. Je n’attendais rien de spécial suite à cette rencontre avec Riccardo, nous sommes devenus amis. Et un jour il m’a finalement dit : « Oui tu es talentueux, mais je veux t’aider car tu es vraiment une bonne personne ». J’ai eu du mal à y croire.
Comment vous a-t-il aidé à développer votre collection printemps-été 2024 ?
Nous avons construit la collection ensemble à Paris et à Londres avant d’aller à Los Angeles. Sur place, il m’a accompagné au cours des différentes étapes que sont le casting, les fittings et l’organisation du show. De mon côté, je me suis imprégnée de chacun de ses conseils.
Sa carrière dans la mode
Quel est votre premier souvenir mode ?
Je me rappelle une fois au restaurant alors que j’étais tout petit, je dessinais une robe portée par Nelly Furtafo des années auparavant en lui donnant un style beaucoup plus sulfureux.
C’est l’une des meilleures réponses que j’ai eu jusqu’à présent.
Ce moment m’a marqué. Et aussi, quand j’étais à l’école, je gribouilais des looks et une de mes professeurs m’a dit qu’elle voulait porter un des chemisiers transparents.
À quel moment de votre vie avez-vous décidé de devenir créateur de mode ?
Assez tard, je suis née et j’ai grandi dans une famille très traditionnelle, et on m’a toujours fait comprendre que j’étais différent. J’ai donc commencé à étudier le marketing et les relations publiques dans une école de mode à Barcelone. Mais quand j’ai commencé à étudier là-bas, je n’ai pas pu supporter de voir des étudiants en mode et de ne pas en faire partie.
Vous n’avez pas pu supporter la frustration de ne pas créer?
Oui, je me disais que j’allais mourir si je continuais dans cette voie. Alors je me suis tournée vers le stylisme. Auparavant, je ne prenais rien au sérieux et je n’avais jamais l’impression d’être à ma place. Même durant mes études, je n’assumais pas de ne pas savoir faire un patron ou une robe couture. Finalement le jour de ma remise de diplômes, j’ai compris qu’il n’y avait pas de retour possible donc je me suis envolée pour Paris et j’ai frappé aux portes des maisons pour un stage.
On vous a ouvert des portes facilement?
J’ai tapé à la porte de Maison Margiela mais ça n’a rien donné et finalement j’ai été pris chez Vivienne Westwood en tant que mannequin cabine.
J’imagine que ce n’était pas ce que vous aviez en tête, mais au moins vous avez pu découvrir le fonctionnement d’une maison ?
Exactement. Je préférerais être là-bas et apprendre durant des essayages plutôt que de blanchir une fermeture éclair. C’était une expérience incroyable qui m’a donné envie de lancer ma propre marque. Donc j’ai fait un master à la Central Saint Martins [une école de mode à Londres], et j’ai rejoint les ateliers de Gareth Pugh. Après Vivienne Westwood, j’ai voulu apprendre comment créer ces formes architecturales complètement dingues. Ce fut une expérience tellement enrichissante.
Les débuts de sa marque et son premier défilé à Londres
Quand avez-vous décidé de lancer votre marque ?
On m’a appelé pour présenter une collection pendant la Fashion Week de Londres à l’occasion d’un défilé dédié aux jeunes créateurs. J’avais six looks pour le show, et il en fallait quatorze. J’ai donc réalisé huit looks supplémentaires dans mon salon en une semaine.
Vous avez créé un look par soir pendant une semaine ?
Oui ! Et finalement, l’attaché de presse qui organisait le show m’a proposé d’avoir mon propre défilé la saison suivante.
La ville de Londres occupe une place spéciale dans la mode, notamment parce que sa Fashion Week donne beaucoup d’espace aux jeunes créateurs.
En effet, et même si par la suite j’ai eu honte de cette première collection, j’en suis fier aujourd’hui. J’ai été très courageux de faire ce défilé, même si à l’époque je ne savais ce qu’était une stratégie commerciale et je n’avais aucune idée de qui était ma clientèle.
Parce que vous étiez libre de toutes contraintes marketing et commerciales vous avez pu laisser exprimer votre talent. Selon moi, un des problèmes de notre industrie aujourd’hui vient du fait que l’on valorise l’aspect commercial au détriment de la créativité. Alors que nous avons besoin de rêver. Vous avez mentionné le fait que plus jeune, vous aviez l’impression de ne jamais vous sentir à votre place. Ce sentiment d’être à la marge ne vous a-t-il pas influencé à créer des collections pour des personnalités qui le sont également comme Julia Fox ou Heatheater ?
Oui complètement. Il y aussi le fait qu’en grandissant on a davantage conscience des choses. C’est ça l’empowerment qui permet de faire ce que l’on veut dans la vie. À mes débuts, comme je ne me sentais pas légitime dans l’industrie, je ne voulais pas lancer que l’on considère ma marque comme niche. Mais ne pas assumer ce que je suis vraiment revient finalement à reproduire ce que j’ai vécu. Donc j’ai désappris tout ce que je savais pour créer des vêtements dans lesquels les gens peuvent s’identifier, être vus et se sentir puissants. C’est le voyage que j’ai entrepris ces deux dernières années.
Depuis que vous avez lancé votre marque, quel est votre meilleur souvenir?
Deux moments me viennent à l’esprit. D’abord ma mère la première fois qu’elle a assisté à un de mes défilés. Elle pleurait d’émotion et j’étais moi-même ému car jamais je n’aurais cru qu’elle serait fière de moi. Et aussi, le look que j’ai créé pour l’album Renaissance de Beyoncé [sorti en 2022, ndlr.]. Auparavant, j’avais eu quelques propositions pour l’habiller, mais je ne me sentais pas prêt.
En tant qu’entrepreneur dans la mode, quel est le plus grand défi auquel vous êtes confronté ?
Je pense qu’il faut savoir préserver sa santé mentale. C’est le plus important.
Avez-vous trouvé un équilibre maintenant que vous avez quitté Londres pour Barcelone?
J’ai déménagé en Espagne pour prendre soin de moi mentalement et physiquement. Quand je défilais à Londres, tout était très compliqué et je dépassais toujours mon budget de 40 000 £. À chaque fois, je devais me séparer de mes assistantes et partager une chambre pour payer un loyer moins cher. Quand je suis rentré de Los Angeles, j’étais complètement fauché. Malgré tout j’ai décidé d’organiser ce show à Paris, mais pour réussir, je devais m’extraire de cette vie et trouver mon sanctuaire afin de créer une collection dont je serai fier.
Avez-vous quelques détails à nous partager sur votre défilé printemps-été 2025 présenté ce mardi 24 septembre 2024?
Cette collection est très différente de tout ce que j’ai montré jusqu’à présent et dévoile ma vision sous sa forme la plus pure. Je pense n’avoir jamais été aussi calme en phase avec moi-même que pendant le développement de cette collection. Je l’ai pensé comme un hommage aux créateurs espagnols comme Cristobal Balenciaga qui retrace aussi mon propre voyage personnel. J’espère que vous allez aimer.