Fontaine magique et oiseaux rieurs : la fable en métal de Caroline Mesquita
Tout l’été dans le cadre du Voyage à Nantes, Caroline Mesquita invite à découvrir son bestiaire de métal au cœur de la HAB Galerie. Entre sculptures d’oiseaux et de chats, fontaine magique et peintures en cuivre oxydé, cette nouvelle exposition personnelle de l’artiste française montre l’éventail de ses talents et la richesse de son imaginaire.
Par Matthieu Jacquet.
L’exposition de Caroline Mesquita pour le Voyage à Nantes
Grand éléphant, immense héron, fourmi, araignée et papillons géants… Depuis maintenant vingt ans, les Machines de l’île font la fierté de Nantes, accueillant chaque jour sur leurs dos des dizaines de visiteurs en plein cœur des anciens chantiers navals de la ville. Mais cet été, ce fameux bestiaire mécanique d’acier et de bois trouve son écho à seulement quelques pas de là, dans l’espace de la HAB Galerie. Ici, l’artiste Caroline Mesquita dévoile sa propre collection d’animaux de métal : chat à taille humaine, cigogne juchée sur un perchoir, échassier, petits moineaux anthropomorphes, mais aussi silhouettes féminines sans visages et fontaine hexagonale, tous sculptés à base de plaques de cuivre et de laiton enroulées et assemblées, écrivent ici une fable poétique.
Telle le Petit Poucet, la plasticienne française y sème des symboles sans jamais donner de réponse. Ces animaux seraient-ils les gardiens d’un temple sacré, ou les expérimentations d’un mécanicien obsessionnel ? Les gouttes dorées figées, coulant des quelques robinets fixés sur les cimaises, seraient-elles un élixir magique ? Et que dire des signes cryptiques qui apparaissent sur les toiles accrochées aux murs ? Cette clé et cette paume de la main ouvriraient-elles une porte vers un monde secret ?
Présentée dans le cadre du Voyage à Nantes, et réunissant une quarantaine d’œuvres produites sur mesure, l’exposition personnelle de l’artiste s’apparente aussi bien à une déambulation onirique enfantine qu’à une mise en abyme de la pratique artistique. Comme l’annonce d’ailleurs son titre, “CuCo & CO”, référence à la formule chimique du carbonate de cuivre, mais également au chant du coq ou du coucou…
Une sculptrice virtuose du métal à la HAB Galerie
Ces sculptures inédites le prouvent : depuis un peu plus de dix ans, Caroline Mesquita est passée maître dans le travail du métal. Bien avant de développer ce bestiaire onirique, l’artiste originaire de Brest s’inspirait d’appareils mécaniques aéronautiques et automobiles, comme dans le cadre du prix Fondation Pernod Ricard dont elle fut la lauréate en 2017. L’artiste présentait alors d’étonnantes motos faites de tôles et de tubes métalliques, formes de machines expérimentales tout droit sorties du laboratoire d’un inventeur farfelu, où l’on perçoit les influences de la sculpture constructiviste, là où ses silhouettes composites évoquent plutôt les corps géométrisés et tubulaires des artistes de l’avant-garde russe ou de Fernand Léger.
Au fil des années, la plasticienne trouve son matériau de prédilection, le laiton, qu’elle apprécie à la fois pour sa légèreté, sa modularité, son faible coût et sa familiarité, avec notamment sa présence importante dans l’univers du mobilier. Mais c’est sans doute son pouvoir de transformation qui lui plaît le plus : “Contrairement au bois ou a la pierre, le métal a la particularité de pouvoir se métamorphoser a l’infini, confie la trentenaire. On peut le resouder, le recouper, le refondre…”
Après avoir donné forme à ses volumes, l’artiste altère et oxyde les métaux à l’aide de produits chimiques et d’acides. À la HAB Galerie, ses animaux et silhouettes se parent ainsi de feuilles bleutées, ocres voire pourpres, et bien sûr de doré, qui émerge comme fil rouge de cette exposition. “La peau de mes sculptures réagit différemment selon mes interventions, ajoute l’artiste, leur attribuant d’emblée des propriétés humaines. Un peu comme notre corps, lorsqu’il transpire, qu’il rougit ou qu’il bronze.”
Accrochés dans l’un des pavillons édifiés pour l’exposition, huit panneaux verticaux saisissants, peints en rouille, bleu, vert ou encore en ocre, s’écartent du figuratif de ses animaux pour montrer l’éventail de la palette de l’artiste. Comme dans une chapelle, ils appellent à un moment de contemplation au cœur de ce bestiaire espiègle, rappelant que, malgré son apparente froideur, le métal peut être lui aussi un grand véhicule d’émotion.
De la sculpture à la peinture en passant par l’architecture : une pratique holistique
“Caroline Mesquita plonge dans le spectateur dans l’espace comme dans un tableau”, explique Marie Dupas, commissaire de l’exposition à la HAB Galerie. Forte de sa pratique pluridisciplinaire et de sa vision holistique, la sculptrice occupe en effet la salle comme un terrain de jeu, démontrant également son talent d’architecte : chaque structure blanche accueillant ses œuvres a été savamment conçue pour créer un parcours et des angles de perception inédits. En permettant d’apprécier ses personnages par dedans ou dehors, au-dessus, à côté ou derrière, leur créatrice semble leur donner vie et parvient à tenir toujours le visiteur en éveil.
D’ailleurs, bien que ses créatures restent immobiles, l’exposition porte les traces de leur hypothétique mouvement. Sur la table dressée au sein du pavillon, les petits oiseaux et chats miniatures semblent être en cours de construction, comme dans un atelier. Sur le sol de la galerie, des cercles plats de laiton doré évoquent quant à eux les traces laissées sur leur passage par ces créatures encore en fusion. La métaphore se file avec la mise en scène du geste artistique : de la main géante sculptée à celles représentées sur ses toiles, Caroline Mesquita célèbre l’origine de la création tel qu’on la retrouve dans ses récits les plus ancestraux.
Présentée à l’entrée, sa fontaine incarnerait ainsi la source d’un monde nouveau émergeant de ses gouttes magiques, tandis que les quelques seaux peints sur les toiles entérinent l’importance de ce liquide mystérieux. Celui, on peut l’imaginer, qui se solidifiera pour façonner un peuple de métal où coexisteront machines, animaux… et humains. Car comme l’artiste aime à le rappeler, “nous n’en avons peut-être pas l’air, mais nous aussi sommes composés de cuivre, et de zinc !”
Caroline Mesquita, “CuCo & CO”, exposition présentée dans le cadre du Voyage à Nantes jusqu’au 29 septembre 2024 à la HAB Galerie, Nantes.