Oserez-vous plonger dans la soul fantasque et capricieuse de Hendrix Harris ?
À 27 ans, Hendrix Harris façonne une musique multicolore, fantasque, capricieuse et clivante. Une fusion de genres allant du R’n’B caniculaire à la soul contemporaine, en passant par un hip-hop sulfureux et inattendu. Il défend Awakening, un disque de huit titres sorti fin mai. Rencontre.
Propos recueillis par Alexis Thibault.
Awakening ou la musique kaléidoscopique et expérimentale de Hendrix Harris
D’après ses propres dires, les compositions expérimentales de Hendrix Harris ont été influencées par les souvenirs de son enfance… C’était à Cuba, à la fin des années 90, dans un quartier chic de La Havane, où la plupart des artistes et des hauts dignitaires avaient élu résidence. Londonien d’adoption, – élevé par une mère anglo-jamaïcaine et un père français –, le musicien se souvient encore des manguiers conquérants, des jardins luxuriants bordant des maisons Art déco, de l’odeur de la chaussée inondée par les averses tropicales et des effluves d’essence émanant des massives Chevrolet des années 50.
Cet improbable kaléidoscope a façonné sa musique. Multicolore, fantasque, capricieuse et clivante. Une fusion de genres allant du R’n’B caniculaire à la soul contemporaine, en passant par un hip-hop sulfureux et inattendu. Comme si Akira Kurosawa avait réalisé Le Parrain en plein cœur de Brixton.
En 2022, l’un de ses titres, The Hill, figurait sur la bande originale officielle du jeu vidéo de football FIFA aux côtés d’artistes tels que Little Simz et Pa Salieu. C’est ainsi que beaucoup ont découvert Hendrix Harris. Aujourd’hui, le compositeur défend Awakening, un disque de huit titres sorti fin mai. Rencontre.
Rencontre avec Hendrix Harris
Numéro: Quel artiste avez-vous appris à aimer avec le temps alors que vous ne l’appréciez pas du tout à l’origine ?
Hendrix Harris: Il y en a plusieurs même. Je n’aimais pas vraiment Travis Scott auparavant. Je l’ai peut-être découvert trop jeune. À l’époque, il y avait presque une sorte d’injonction à l’aimer. Après Astroworld (2018), je suis devenu fou ! Et, contre toute attente, je l’apprécie de moins en moins aujourd’hui… J’ai toujours eu tendance à juger assez vite les choses. Assez durement aussi. J’ai toujours eu un peu de mal avec Frank Ocean aussi. Disons que je préfère D’Angelo, Jill Scott et Erykah Badu dans la branche R’n’B ou nu-soul.
Comment expliqueriez-vous votre musique à un enfant de 10 ans ?
Je crois que j’aurais beaucoup de mal à lui expliquer… C’est un grand ensemble d’émotions très fortes. Une suite de diapositives. Un panorama. Il faudrait aussi que je lui explique ce que signifie la saudade [un terme portugais]. Ce sentiment mélancolique mêlé de rêverie et d’un désir de bonheur imprécis. Ma musique évolue au rythme de mes peurs et de mes chagrins d’amour. On y croise aussi des choses mystiques, divines ou spirituelles. Cet enfant, il faudrait qu’il comprenne que je raconte mes traumatismes d’homme noir qui a grandi en France, en Angleterre et à Cuba, des sociétés où ce n’était pas vraiment évident. Ma musique exprime la peur de la trahison, la peur du jugement de l’autre.
Pas très joyeux tout ça…
Le thème est triste mais, ce que j’en fais, pas forcément. Je ne suis absolument pas quelqu’un de pessimiste. Je crois plutôt être un homme entier, passionné et très investi. C’est certainement pour cela que, lorsqu’on me trahit, cela me blesse énormément. Il faut donc que je transforme cette peine en quelque chose d’autre.
Cherchez-vous à expérimenter pour que votre votre musique ne ressemble pas à celle de quelqu’un d’autre ?
Non, pas du tout. J’essaie simplement de proposer quelque chose de très fidèle à ce que je suis. Et, sans vouloir être prétentieux, je pense être quelqu’un d’assez complexe. Donc mes compositions doivent l’être tout autant. Je suis le fruit d’un métissage, j’ai grandi avec de nombreuses influences musicales et culturelles différentes et je ne me sens pas capable de les exprimer en une seule vie. Au contraire, j’essaie même de simplifier mon propos au maximum. Si je laisse complètement libre cours à mes pensées, c’est la tempête permanente.
Si vous deviez dessiner votre musique sur une feuille A4, à quoi votre œuvre ressemblerait-elle ?
À pas grand chose car je dessine très mal ! [Rires.] Cela ne ressemblerait à rien mais ce serait un rien très puissant ! J’utiliserais clairement du rouge, beaucoup de rouge…
Jusqu’à la saturation. Comme dans la plupart de vos compositions musicales finalement. L’utilisation d’une voix écorchée et de synthétiseurs déchirés vous permet-elle d’exprimer une colère mêlée à un improbable sentiment de douceur ?
C’est exactement ça ! J’ai toujours eu la voix cassée. Même petit, ma voix semblait détruite… J’ai remarqué que plus ma musique évoluait, moins elle était lisse. Certainement parce qu’elle évolue à mesure que je vieillis. Les années passent et elle prend du relief. La saturation des sons est l’un des moyens d’expression de tout cela.
Vous sentez-vous en décalage avec la musique dite “mainstream” en proposant quelque chose de plus niche ? Vous forcez-vous à adapter vos morceaux pour qu’ils puissent toucher davantage de monde ?
Rendre un propos complexe plus accessible est aussi un processus très beau si l’on parvient à ne pas le dénaturer. Je pense que c’est la démarche que j’entreprends depuis deux ou trois ans. Dans Awakening, mon dernier projet en date, je crois qu’aucun morceau n’est 100% accessible. Mais c’est la cohérence du projet dans son ensemble qui le rend plus digeste. Vous êtes là, tranquille, avec une petite ambiance groovy et, soudainement, vous prenez un énorme coup de trap en pleine face. Comme si vous entriez dans une machine à laver. Je comprends que cela puisse surprendre mais j’ai toujours fonctionné comme ça. Je ne me limite pas. Je m’autorise 90 accords différents, 22 changements de rythme.
Parlez-moi du titre The Surge qui est, selon, moi, le meilleur de l’EP.
Je l’ai composé au moment où j’habitais à Paris. Cela a duré environ six mois. Je sortais d’une rupture très compliquée et je me sentais très seul. J’étais complètement aliéné et je vivais dans un quartier pourri, au 11e étage d’une tour. J’avais l’impression d’être dans le 1984 de George Orwell. C’était une véritable dystopie et mon cœur était en mille morceaux… J’ai posé quelques accords au piano et j’ai composé le morceau d’une traite. Après l’avoir écrit, je l’ai directement envoyé à cette fille. Nous avons poursuivi notre idylle au sein d’une chanson…
Awakening de Hendrix Harris, disponible.