11 mar 2021

Qui est Andrew Thomas Huang, réalisateur favori de Björk et FKA twigs?

Fidèle collaborateur de Björk, réalisateur du clip de “Cellophane” – titre phare du dernier album de FKA twigs –, pour lequel il a été nommé aux Grammys en 2019… L’Américain Andrew Thomas Huang a su séduire les musiciens les plus pointus avec ses créations qui mêlent animation en 3D et captation réelle, reflétant autant la mythologie que l’hyper-réalité. Rencontre.

Propos recueillis par Chloé Sarraméa.

FKA twigs se change en créature mi-animale mi-robot, le visage de Thom Yorke se fond dans une vallée tandis que Björk joue de la flute au milieu de formes non-identifiées et étranges… Extraordinaires, ces transformations sont l’œuvre d’Andrew Thomas Huang, jeune réalisateur américain queer d’origine asiatique qui a fait des effets visuels sa marque de fabrique. Mêlant prises de vue réelles et images numériques, ses vidéos ont séduit le milieu de la musique, toujours avide de produire des clips de plus en plus innovants. Basé à Los Angeles, cet artiste qui travaille actuellement à la production de son premier long-métrage – lequel a déjà été soutenu par Sundance – a débuté par l’étude des beaux-arts, du dessin et de la peinture. Il s’est ensuite intéressé à l’animation et plus particulièrement à l’image numérique, sur laquelle il travaille à l’aide d’un ordinateur, dans l’intimité d’une chambre – un environnement rassurant pour celui qui se décrit lui-même comme très introverti. Son univers, qui mêle mythologie, science-fiction et fantastique nous embarque dans un monde virtuel ultra futuriste, barré, captivant et… extravagant. Rencontre avec le réalisateur de clips le plus doué du moment, qui, après huit collaborations avec Björk en presque dix ans – dont des pochettes d’album et des vidéos en réalité virtuelle pour sa rétrospective au MoMA (en 2015) – s’apprête à faire ses preuves sur grand écran.

 

 

Numéro : Je ne comprends pas… Quel est l’intérêt de réaliser un film, alors qu’un clip comme Cellophane de FKA twigs a été visionné 13 millions de fois sur YouTube ?

Andrew Thomas Huang : Vous savez, désormais, avec TikTok, une vidéo de chat peut avoir 100 millions de vues mais les gens l’oublieront très vite. Mais une œuvre d’art géniale peut être vue par 50 personnes mais les changer à tout jamais. L’idéal serait d’être vu par 13 millions de personnes et qu’elles soient toutes bouleversées ! [Rires.]

 

 

C’est ce que vous avez fait en 4 minutes avec Cellophane

J’ai eu beaucoup de chance : elle voulait faire du pole dance, elle souhaitait raconter son histoire et j’ai réussi à l’interpréter comme un conte de fées. D’ailleurs elle voulait tourner un autre clip dans la foulée… J’aurais bien aimé mais je pense qu’après Cellophane, il aurait été difficile de travailler sur autre chose parce qu’FKA twigs donne tout pour un projet. Elle est très captivante, elle a énormément de personnalité… Je connais très peu d’artistes comme elle, des gens capables de créer tout un monde autour d’eux. U2 par exemple, qui est un groupe que j’adore au demeurant, est devenu une sorte de marque. 

 

 

“Depuis Paris Hilton, nous sommes tous devenus des marques.”

 

 

Thom Yorke aussi ? 

Certainement. Depuis Paris Hilton, nous sommes tous devenus des marques. Nous ne pouvons plus échapper au capitalisme. Dans le cas des clips musicaux, le meilleur scénario est de créer quelque chose d’impactant, qui touche autant de personnes que possible, et qui peut se donner le défi de changer les gens… Mais c’est délicat : il y a tellement de tournages chaque année qu’il est difficile de se démarquer.

 

Vous étiez nommé aux Grammys en 2019 dans la catégorie “Meilleur clip”. C’est pourtant Calmatic pour la vidéo d’Old Town Road de Lil Nas X qui l’a emporté, pourquoi selon vous ?

[Rires] Vous savez quoi ? Je pense que c’est une question d’impact culturel. Le clip a cartonné, 500 millions de vues, c’est énorme. Je me souviens même avoir vu des vidéos d’enfants faisant la chorégraphie d’Old Town Road ! Je trouve génial qu’un rappeur noir et gay soit reconnu à ce point. Les Grammys sont des prix sont politiques et l’art que nous faisons signifie que nous n’avons de comptes à rendre à personne. 

 

 

Vos clips ont une esthétique particulière : vous utilisez des effets 3D mêlés à de la captation réelle, ce qui donne un résultat très futuriste, tout en étant empreint de mythologie. Êtes vous un fan de science-fiction ?

J’ai grandi avec Star Wars. Beaucoup de gens considèrent la saga comme de la science-fiction mais pour moi, c’est de la fantasy. Plus généralement, mon travail se rapproche des films fantastiques que j’ai vus en grandissant … j’utilise un langage symbolique et de la 3D pour exprimer des récits personnels.

 

 

Les effets visuels permettent-ils, pour des artistes introvertis, de s’exprimer plus librement ?

Björk et Thom Yorke sont venus me chercher après avoir vu mon court-métrage Solipsist [2012], qui est sans dialogue et expérimental. Ce langage onirique leur a parlé et les effets visuels sont le seul outil capable de communiquer cela. Ils se sont sans doute dit que grâce à mon esthétique, ils pourraient raconter leurs histoire et leurs récits personnels plus ouvertement… Ou peut-être qu’ils m’ont fait confiance parce que je suis quelqu’un à qui on peut facilement parler ! [Rires.]

 

Quand nous avons échangé par mail, vous avez insisté pour que je m’attarde sur votre dernier clip réalisé pour Björk, The Gate (2017). Vous avez pourtant collaboré huit fois avec elle…

The Gate [2017] est le point culminant de notre longue collaboration qui a débuté en 2012. À l’époque, elle allait sortir l’album Bastards [2012] et m’avait justement demandé de réaliser la pochette. Elle m’a laissé faire tout ce que je voulais parce que son projet était déjà très conceptuel. Lorsque nous avons commencé à travailler sur son album suivant, Vulnicura [2015], nous voulions tous les deux essayer quelque chose de différent : elle n’avait pas encore terminé la musique et je devais pourtant créer les visuels. Nous étions parfois en désaccord, il a fallu s’adapter…

 

 

“Björk se comporte comme un professeur.”

 

 

Pourquoi ?

Parce que Björk se comporte comme un professeur. Elle m’a guidé dès l’instant où je l’ai rencontrée. À l’époque, j’expérimentais différentes techniques pour produire, je me cherchais encore, et elle m’a poussé à réaliser une exposition au MoMA qui présente tout ce travail, du film Black Lake [vidéo de dix minutes et pièce centrale de la rétrospective] au travail de réalité virtuelle [le clip Family], pour lequel j’ai réalisé son avatar. 

 

 

Est-ce grâce à cette collaboration d’envergure que vous avez décidé de vous lancer dans le cinéma ?

Je me suis lancé dans le cinéma parce que je ne voulais plus travailler seul, chose que je fais la plupart du temps, en écrivant, en réalisant des images de synthèse, en dessinant, ou en faisant de la photographie. Finalement, la seule façon de grandir en tant qu’artiste est de collaborer avec d’autres personnes. Être réalisateur, c’est constamment travailler avec des gens qui sont les meilleurs dans leurs domaines. C’est stimulant intellectuellement et, à la différence de la réalisation d’un clip où on est sur le plateau pendant un ou deux jours, l’équipe se côtoie pendant un mois…