11 sept 2020

Rencontre avec les frères Schneider, fratrie fascinante de la musique et du cinéma

Comme touchés par la grâce, les quatre frères Schneider ont su transformer leur passion de la musique et du cinéma en un métier vécu au quotidien. Numéro Homme a réuni sur un même plateau Aliocha, Vassili, Volodia et Niels – à l’affiche du film “Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait” d’Emmanuel Mouret, diffusé sur Canal+ ce mardi 25 mai – pour évoquer ce qui rassemble cette fratrie fascinante au-delà de son évidente beauté angélique.

De gauche à droite : Aliocha, Vassili et Niels portent des pulls en bandes de coton tressées et des jeans en denim, Fendi. Niels porte une montre “Santos-Dumont”, Cartier. Volodia porte un gilet en cuir tressé, un pantalon en coton technique, Fendi, et un bracelet “Love”, Cartier.

Une terrasse de café parisien près de Pigalle, au milieu de l’hiver. L’image est saisissante : Aliocha, Niels, Vassili et Volodia Schneider, les quatre frères élégants et emmitouflés, aux visages singuliers et harmonieux, forment un groupe compact. Une bande liée par le sang et réunie par un goût commun pour la liberté de créer. “Les gens nous disent souvent qu’on se ressemble beaucoup, mais ceux qui nous connaissent vraiment savent qu’en réalité, pas tellement, que nous sommes tous distincts”, prévient d’emblée Aliocha, 26 ans. Une façon de faire remarquer que ce qui se passe devant nos yeux n’a rien de fréquent. “Depuis quand on ne s’est pas vu tous ensemble à Noël ?” C’est l’aîné, Niels, qui parle. Volodia lui rappelle qu’ils ont été réunis l’année précédente, mais tout le monde autour de la table se rejoint pour formuler l’évidence : l’enfance est loin. Si les frères se fréquentent beaucoup, c’est surtout par paires. Les voir tous ensemble dans le même espace – et plus encore sur la même photographie – relève de l’exceptionnel. Car la fratrie artistique est éparpillée entre Paris et Montréal, au gré des projets des uns et des autres et des accélérations de leurs vies. Si Niels Schneider, 32 ans, est aujourd’hui le plus célèbre depuis son César du meilleur espoir masculin obtenu en 2017 avec son rôle dans Diamant noir d’Arthur Harari, qui a fait de lui l’un des piliers du cinéma français, ses trois frères travaillent aussi entre cinéma et musique, avec des promesses d’avenir solides et un présent déjà désirable. Vassili, le benjamin, mène une carrière de comédien et de réalisateur en germe, Volodia est, quant à lui, un musicien de studio réputé (à la batterie) et acteur, tandis qu’Aliocha, également comédien, sort ce printemps son deuxième album après Eleven Songs en 2017, en tant que compositeur et interprète hanté par la folk, remarqué par la presse la plus pointue.

 

J’ai commencé avec des rôles où je m’emmerdais et qui ne me correspondaient pas. Les rôles qui me touchent viennent avec le temps. Depuis deux ou trois ans, j’ai l’impression de pouvoir m’exprimer davantage.” Niels Schneider

 

 

L’histoire de la fratrie Schneider est d’abord une histoire de voyages et de distance, voire de déchirements. Seul Volodia n’habite pas à Paris – Aliocha y vit à mi-temps et Vassili s’y est installé il y a un peu plus de un an – mais de nombreux mouvements ont éraillé les dernières décennies. Le premier à s’installer de manière constante loin du Canada a été Niels. Né dans la capitale française – comme Aliocha et Volodia – avant que ses parents ne décident d’aller vivre à Montréal à l’aube de ses 9 ans, c’est après avoir tourné dans Les Amours imaginaires de Xavier Dolan en 2010 qu’il revient en France pour tenter sa chance. Avec ce que la vie de jeune acteur implique : une variété de rôles parfois proche de l’écartèlement, au moins en termes d’ambition. Entre le Télémaque peu mémorable de la série Odysseus et le jeune homme androgyne et fascinant du beau film queer et orgiaque de Yann Gonzalez, Les Rencontres d’après minuit, tous les deux en 2013, Niels Schneider a imposé son style sans trop se poser de questions. Et avec un certain don pour la patience.

Vassili porte une combinaison zippée en toile de coton, Fendi. Montre “Tank Solo”, Cartier.

Ses débuts dans le métier ont été précoces, dès l’adolescence, par tropisme familial. “Nous avons un grand frère, Vadim, qui a été très tôt passionné de littérature et de théâtre, raconte Niels. Il prenait des cours avec mon père. Il a aussi fait du chant et de la guitare. Aliocha a débuté très jeune. Pour La Promesse de l’aube, sa première pièce, il avait 13 ans.” Volodia se souvient d’un “effet domino” entre frères. “Vadim était très investi, très littéraire et il aimait beaucoup la musique. En le voyant, j’ai eu envie de choisir mon instrument. Puis mon père nous a fait entrer dans des agences de comédiens.” Vassili, le plus jeune, a sans doute été le plus prompt à embarquer dans cette vie dès l’enfance. “Moi, j’ai débuté le doublage dès 6 ans. Nous avons tout de suite été plongés dans un monde artistique. À la maison, on regardait beaucoup
de films, il y avait cette culture-là. Nous étions comme une bande de potes avec la même passion pour la musique et le cinéma.
” Niels se souvient du vidéoclub auquel son père était inscrit comme d’une porte d’entrée collective vers la cinéphilie. “Nous avions accès à tous les films gratuitement et en illimité. Cela construit quelque chose.

 

 

L’autre événement qui a construit la fratrie Schneider et l’a soudée pour toujours est une tragédie. Ce frère évoqué par Niels et Volodia, Vadim, a trouvé la mort dans un accident de la route alors qu’il se rendait sur le tournage d’une série qui l’avait fait connaître au Canada, 15A. Il était âgé de 17 ans. Niels avait seulement seize mois de moins que lui. Après le choc, il décide d’accélérer son choix de devenir comédien. Après un début de carrière intéressant au Canada et dans ses premières années en France (même si l’intéressé modère : “J’en ai fait des daubes.” [rires]), une forme de frustration domine, liée à la difficulté de trouver des rôles passionnants. On ne dit peut-être pas assez à quel point les actrices et acteurs, en dépendant du désir des autres, mettent parfois longtemps à cerner le leur. Certains n’en ont même jamais l’occasion. Après avoir dépassé la trentaine, il semble que Niels Schneider y soit enfin parvenu, dans la foulée de son César. “Dernièrement, les rôles m’ont totalement aspiré. Le film de Catherine Corsini, Un amour impossible, celui de Guillaume de Fontenay à Sarajevo, Sympathie pour le diable, vous absorbent. Les choses ont changé pour moi, oui, je le sens. Il y a deux sortes d’acteurs. D’abord, ceux qui veulent vraiment faire ça, depuis longtemps. Et ceux qui sont repérés grâce à des castings sauvages, ce qui arrive énormément en France. J’ai même l’impression qu’une majorité d’acteurs  ont été choisis de manière sauvage. Cela peut causer des problèmes. On voit des comédiens qui ont commencé avec des chefs-d’œuvre, et pour qui cela a été compliqué de construire. Moi, j’ai commencé avec des rôles où je m’emmerdais et qui ne me correspondaient pas. Les rôles qui me touchent viennent avec le temps. Depuis deux ou trois ans, j’ai l’impression de pouvoir m’exprimer davantage.

Niels porte un pull en cachemire, Fendi. Montre “Tank Solo”, Cartier.

La devise de Niels Schneider et de ses frères serait donc de prendre le temps qu’il faut. Avant la recherche du succès, la pratique artistique modèle leurs vies comme une seconde peau. Voilà ce qui les rassemble au quotidien. Même s’ils ne vivent plus sous le même toit depuis longtemps, certains rapprochements ont eu lieu récemment. “Niels est parti en France quand j’avais 10 ou 11 ans, explique Vassili, j’ai vraiment l’occasion de le voir plus maintenant que j’habite à Paris. Notre relation s’est faite ces dernières années, je dirais. Avant, j’étais son petit frère, le bébé de la famille. Maintenant on est tous les deux adultes.” C’est sans doute pourquoi une bienveillance, et même une admiration commune, se dégage quand il s’agit de parler du travail des autres. Si Niels Schneider est arrivé au top de son domaine (en plus de sa position d’aîné), les relations fraternelles semblent plutôt aller dans le sens d’une circulation fluide. “On s’envoie toujours notre travail”, explique Niels. “On est tous hyper intéressés par ce que font les autres, confirme Vassili. Si Volodia sort une vidéo de batterie, on en suit toutes les étapes.” Ce que le musicien confirme : “Avant de sortir quelque chose, on fait un peu valider par les autres ! En tout cas, on le montre aux frères.” Vassili, lui, sait que “le retour sur un travail sera juste et construit”.

Aliocha porte une veste croisée en coton et soie, Fendi. Montre “Santos-Dumont”, Cartier.

Si, pour l’instant, aucun projet n’a réuni les quatre frères – ils ne l’excluent pas dans le futur : “C’est dans les plans” –, les collaborations entre eux semblent naturelles. Ainsi, depuis plusieurs années, Volodia a joué de la batterie pour les concerts d’Aliocha. Ce dernier a aussi demandé à Vassili de réaliser avec lui les clips accompagnant la sortie de ses nouveaux morceaux. “J’avais vraiment envie de ce regard commun, explique Aliocha. Nous avons une belle complicité tous les deux.” En novembre 2019, ils révélaient l’envoûtant single The Party, au clip inspiré de Festen de Thomas Vinterberg, où Aliocha se place dans la peau d’un jeune homme rencontrant ses beaux-parents, qui détruit méthodiquement la bienséance demandée. Trop soûl pour marcher, il commence à danser, se brise un verre sur le crâne… Au début de l’année, dans le clip de Naked, toujours réalisé à deux voix, Aliocha apparaissait courant à travers les champs dans le plus simple appareil… Sur la pochette du disque, le voilà étalé sur le ventre, nu, sur un sol entièrement blanc. Durant ce premier trimestre 2020, Aliocha sort un deuxième album (prévu le 20 mars) et tient l’un des rôles principaux d’une nouvelle série française pour Netflix, Vampires. Une relecture contemporaine du mythe, l’histoire d’une famille aux canines forcément acérées dans Paris aujourd’hui, où Aliocha Schneider retrouve notamment Oulaya Amamra (Divines), Suzanne Clément (Mommy, Laurence Anyways), Dylan Robert (Shéhérazade) et Kate Moran (Un couteau dans le cœur). Un casting chic et prometteur. “J’ai tourné aussi dans Pompéi, un film de John Shank et Anna Falguères présenté aux Festivals de Toronto et de Berlin, avec Garance Marillier et Vincent Rottiers.” Le signe que 2020 sera l’année d’Aliocha ? Dans son nouveau single, on entend ces paroles qui attestent d’une maturité et d’une joie intérieure assumées : “Naked as a truth, as a liberated youth” (“Nu comme une vérité, comme une jeunesse libérée”), chante celui qui n’a pas 30 ans. Comme s’il donnait le ton pour ses trois frères et pour lui.

Volodia porte un pull en cachemire ajouré, Fendi. Montre “Santos-Dumont”, Cartier.

Nudité, vérité, liberté. Le mot d’ordre pourrait servir de devise à la fratrie entièrement tendue vers l’exaltation des projets personnels, intimes, en ordre à la fois rapproché et dispersé. Cette quête les unit vraiment, au-delà du patronyme et d’un évident air de famille. Quand on demande à Aliocha ce qui le rapproche de Niels, de Vassili et de Volodia, sa première réponse spontanée part pourtant dans l’autre direction : “Au lieu de chercher notre point commun, je dirais plutôt qu’on essaie de trouver ce qui nous différencie. Pour Vampires, ils m’ont mis les cheveux en arrière et je leur ai tout de suite dit que je ressemblais trop à Niels dans Diamant noir. Ce n’était pas possible.
Il reste pourtant un sujet de rapprochement évident mais plus difficile à cerner : le rapport que les quatre Schneider entretiennent avec le masculin, ses idées et ses images. Longtemps, Niels Schneider a été vu comme un jeune premier à la blondeur élégiaque, raffiné, ce que Vassili incarne aujourd’hui à sa manière. Comment vit-on son identité à l’heure où la remise en cause de la masculinité toxique se déploie mondialement ? “Mon père a une féminité en lui, note Niels. Mais en même temps, on a tous grandi avec une idée de la virilité. On ne peut pas dire qu’on a reçu une éducation ‘anti-virilité’, loin de là. La notion de virilité existait, mais notre part de féminité était aussi totalement assumée. Il y a toujours eu les deux.” Entre frères, les souvenirs surgissent. Volodia rappelle que ce père a été danseur de ballet. “Il voulait nous donner des cours de danse, et finalement, seul Aliocha en a pris, se rappelle Niels. Mais en même temps, il voulait nous donner des cours de boxe. Donc les deux étaient présents.” Aliocha abonde dans le sens de son frère : “Les deux pôles étaient assez forts. J’ai rarement vu quelqu’un d’aussi viril et féminin en même temps.” Comment s’est jouée la transmission dans ce cadre mouvant ? “Il a forcément transmis quelque chose, ajoute Niels. Aucun parmi nous n’essaie de jouer au bonhomme. D’un autre côté, je ne suis pas si féminin que ça. À vrai dire, je n’y comprends rien à ces trucs !

 

Un dialogue s’installe alors. Vassili explique à Niels sa perception : “Il y a dix ans, tu avais quelque chose de plus féminin qui s’est un peu dissipé.” Son grand frère admet qu’il a raison. “C’était un truc de post-adolescent. Le corps est comme ça. Mais, de par mon éducation, j’ai toujours eu un problème avec les caractères qu’on donne aux genres a priori. Des femmes viriles, des femmes fortes, il y en a toujours eu. Des maris qui font les durs au travail et qui reviennent chez eux et s’adoucissent, cela existe aussi. Les femmes de caractère ne datent pas de 2020. Avoir une part féminine, ça ne veut pas dire qu’on n’a pas de caractère.” Vassili lui emboîte le pas : “Souligner chez un homme la douceur ou la sensibilité, cela enlève quelque chose au masculin, c’est faire comme si ces caractéristiques étaient forcément étrangères aux mecs. À l’inverse, dire d’une femme qu’elle a de la puissance signifierait que c’est une qualité ‘naturellement’ masculine ?

La conversation pourrait se poursuivre des heures. Se trouver en présence des frères Schneider en 2020, c’est toucher à une génération de jeunes hommes qui interrogent comme peu avant eux leur statut, leurs désirs et les messages qu’ils envoient. Depuis ses débuts, Niels a certainement joué contre les clichés ordinaires du masculin, sans même se le formuler. “Quand j’ai commencé à faire du cinéma, c’était en 2009, avec Xavier Dolan. Ensemble, on n’a jamais adopté les codes classiques. L’un de mes premiers films, Les Amours imaginaires, transformait justement les rôles. C’était un Jules et Jim inversé, je faisais Jeanne Moreau ! Depuis dix ans, il y a de plus en plus de films LGBT, par exemple. En fait, je n’ai jamais connu le cinéma français à la Gabin, où t’es un dur !” Au Festival de Cannes 2019, Niels Schneider a trouvé avec Justine Triet, une réalisatrice qui osait poser sur lui – comme sur les autres hommes de son beau film Sibyl – un regard désirant, son personnage provoquant les fantasmes de l’héroïne jouée par Virginie Efira. “Pour revenir à ce qui nous lie entre frères, je pense qu’en effet quelque chose nous constitue par rapport au masculin. Mais quoi exactement ? C’est difficile de le savoir. Dans notre jeunesse, on n’a eu ni un modèle masculin ‘pur’, ni un modèle féminin ‘pur’. Aujourd’hui, je suis très bien dans ma peau d’homme. Au Festival de Cannes, toutes les questions pour Justine Triet portaient sur ce sujet. C’est le signe d’une époque. Sauf qu’en tant que cinéaste, elle ne théorise pas cette question et je trouve ça formidable : Justine a intégré le féminisme en elle et dans son regard. Elle n’a pas besoin de le mettre en avant. C’est là, partout, dans tous les plans.

 

La masculinité troublée et résolument moderne de Vassili, Aliocha, Volodia et Niels Schneider devrait trouver un écho de plus en plus fort. Ils auront l’occasion de creuser la question puisque, pour les années à venir, les uns et les autres fourmillent de projets et de rêves. Déjà comédien, Vassili aimerait se tourner vers la réalisation et travaille à l’écriture de films, même si son objectif principal est de se “développer en tant que musicien”, l’autre virus familial. Aliocha, de son côté, explique qu’il a trouvé un équilibre entre les pratiques. “Je dirais que ces activités séparées, la musique d’un côté et le jeu de l’autre, me permettent de me laver la tête. Je ne fais pas beaucoup de liens directs entre les deux. Ça me permet d’être toujours frais.” Également comédien mais “dépendant de la batterie”, Volodia se voit glisser peu à peu vers la réalisation, comme Vassili. Il met en ligne des vidéos de batterie au style travaillé, “comme un prétexte pour faire mes griffes en tant que metteur en scène”. Niels, quant à lui, se donne tout entier à la surprise. “Ce que je trouve chouette, c’est que rien ne se passe comme prévu. Passer d’étonnement en étonnement, c’est vraiment la chose la plus excitante. L’année dernière, j’ai tourné le film d’Emmanuel Mouret [Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait] avec un ton plus comique. J’ai adoré faire ça. J’ai aussi participé au film de Benoît Jacquot [Suzanna Andler] et à un long-métrage italien. Je suis serein car j’arrive à profiter, j’essaie d’être heureux avec ce qui m’arrive. Peut-être que dans dix ans je ferai un film en tant que réalisateur, mais peut-être pas. Et le fait de me dire ‘peut-être pas’ n’a rien de grave. Je ne sais pas ce que je serai à 40 ans. Je n’ai jamais fait de plan de vie.

 

Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait, d’Emmanuel Mouret, avec Niels Schneider, en salle le 16 septembre.