Que vaut “Nomadland”, sacré meilleur film aux Oscars 2021 ?
Avec Frances McDormand en tête d’affiche, le film de la réalisatrice américaine d’origine chinoise Chloé Zhao était l’un des plus attendus de la cérémonie.
Par Chloé Sarraméa.
Il y a déjà trois ans, Frances McDormand repartait de la 90e cérémonie des Oscars avec une statuette de la meilleure actrice sous le bras (qu’on lui a ensuite volée lors de l’afterparty, et finalement rendue). Cette consécration – la deuxième de sa carrière après celle de Fargo, en 1997 –, elle la doit au film 3 Billboards, où elle incarne une femme qui se bat contre un système judiciaire incompétent au cœur d’une ville perdue des États-Unis.
C’est dans la même Amérique rurale – celle des grands espaces, des couleurs ocre et souvent violettes au coucher du soleil –, qu’on la retrouve dans le rôle de Fern, une veuve fauchée qui sillonne les routes du Midwest avec pour seul compagnon fidèle son van, surnommé “A-van-guard”. Cheveux coupés à la garçonne, guenilles sur le dos, l’actrice américaine incarne dans Nomadland ce qu’elle a désormais l’habitude de représenter au cinéma : une personnalité esseulée à la féminité agressive (ou inexistante) et l’incarnation d’un pays où gloire et lumière ont été éclipsées par la misère. Et – comme elle le faisait déjà dans 3 Billboards – l’épouse du cinéaste Joel Cohen porte de nouveau un film ostensiblement axé sur son talent… qui lui vaudra d’être récompensée d’un nouvel Oscar de la meilleure actrice.
Un hommage à la communauté nomade
Avec son troisième long-métrage – après Les Chansons que mes frères m’ont apprises (2015) et The Rider (2017), tous deux sélectionnés à Cannes –, Chloé Zhao entend raconter l’Amérique post-crise des subprimes à travers l’une des conséquences de cette dernière : la recrudescence du van-dwelling, c’est-à-dire la nomadisation d’une population, contrainte à quitter ses maisons pour vivre dans des fourgons.
Au début – comme l’a fait Ken Loach avec son dernier opus Sorry we missed you –, le film prend des airs de critique de l’uberisation de la société : l’une des premières scènes de Nomadland se déroule dans une usine Amazon, où le personnage incarné par Frances McDormand, Fern, trie des colis à la chaîne. Revenue dans le van dans lequel elle dort, fait la cuisine et assouvit ses besoins naturels – l’actrice impressionne d’ailleurs lors d’une scène de toilettes peu ragoûtante –, l’ancienne institutrice à court d’argent depuis la mort de son mari contemple les vestiges de sa vie passée. Tout en essayant d’en bâtir une nouvelle.
Au lieu de dénoncer une détresse financière induite, aux États-Unis, par les lacunes du système de santé du pays (le mari de Fern est mort des suites d’un cancer), Chloé Zhao cherche à montrer le beau et à éviter le fatalisme. Elle veut, en fait, célébrer voire rendre hommage à la communauté nomade américaine qu’elle dépeint comme un groupe extrêmement soudé (bien que disparate), qui répond à ses propres règles et coutumes. Troc – une bière contre un sandwich, une chaise contre une lampe à huile –, séances de thérapie home made, travail collectif – pour payer l’entretien de son van vétuste, Fern enchaîne les petits boulots, nettoie les sanitaires du camp avec Linda May (comédienne non professionnelle et vraie nomade), et travaille dans un diner avec un homme rencontré sur la route… On en viendrait presque à trouver la sédentarité ennuyeuse.
En écrivant une histoire de résilience, dont le personnage principal lutte pour survivre – au froid, à la dépression, à la solitude – Chloé Zhao souhaite décrire un phénomène précis : le refus d’adhérer à une vie “normale”, faite de déjeuners en famille et de nuits dans des lits au carré. Dommage, donc, qu’elle s’égare dans des accès de spiritualité un peu naïfs à l’Américaine : les personnages aux gueules abîmées (souvent filmées de très près) jurent de se retrouver dans “le paradis des nomades” lorsqu’ils tombent malade ou meurent, ou se livrent à des rites cathartiques visant à exorciser leurs malheurs lorsqu’ils se retrouvent le soir autour du feu. Avec un film aux images trop léchées et aux scènes dramatiques pas vraiment assumées, la réalisatrice tente d’atteindre un univers de cinéma qu’elle rêve trop parfait, dans lequel, malheureusement, le jeu d’une actrice et l’esthétique des plans ne livrent qu’un fantasme de réalité, celle d’une communauté meurtrie par la paupérisation des États-Unis.
Nomadland (2021) de Chloé Zhao, date de sortie en France encore inconnue.