Art

9 avr 2021

Dans l’incroyable atelier de Mimosa Echard, l’enchanteresse qui transforme l’art et la nature

Sculptures textiles boudinées, collages de photos et de perles sur toiles monumentales, et autres écosystèmes sous plexiglas : la pratique de Mimosa Echard investit tout les supports, tant que ses créations matérialisent son amour pour le corps et la nature, mais aussi l’image et les vestiges de notre société consumériste. À 35 ans, l’artiste présentait récemment sa première exposition personnelle à la galerie Chantal Crousel, désormais visible en ligne jusqu’au 17 avril. L’occasion pour Numéro de parcourir son œuvre protéiforme dans un atelier à son image.

À quelques kilomètres de Paris, jalonnant un paisible parc, l’atelier de Mimosa Echard nous tend les bras. Dès l’instant où l’on pénètre ce studio de plain-pied, on est immédiatement séduit par son atmosphère accueillante : dans une pièce décloisonnée, on remarque sur notre gauche une immense cheminée en briques brunes, sur notre droite une bibliothèque où s’amassent abécédaires de plantes et magazines d’art pointus, jusqu’au jardinet face à nous, où cohabitent un arbre centenaire et un petit potager. 

Sur les murs, d’immenses toiles sont adossées alors que des guirlandes de perles pendent du plafond, des traversins s’empilent sur une étagère et des bacs en métal gisent au sol, colorés par des liquides. À travers le Velux, la lumière du soleil matinal caresse ces œuvres et révèle leur palette de couleurs percutante : du blanc laiteux et beige aux pourpres et violets, ce voyage chromatique, presque anatomique, nous emmène de l’épiderme à la profondeur des organes internes. Nul ne fait doute, l’artiste française de 35 ans baigne ici dans son élément, profitant d’un écrin ouvert sur la verdure particulièrement propice à la floraison de ses idées plastiques.

 

Une relation viscérale à la nature

Devant ce décor éloquent, on ne s’étonne pas d’apprendre les professions que, petite, Mimosa Echard s’imaginait exercer : elle sera soit peintre, soit botaniste, soit fleuriste, autant d’aspirations influencées par l’environnement dans lequel elle a grandi. Dans un village reconstruit par une communauté néo-rurale dans les années 70, situé entre le sud de l’Ardèche et le nord des Cévennes, la jeune femme a connu la familiarité et la solidarité d’un groupe partageant des valeurs communes, l’intimité des classes à douze élèves à l’école, mais aussi un éloignement de la civilisation urbaine favorisant un lien très fort avec la nature. “Enfant, j’entretenais un rapport fusionnel avec les plantes et les animaux visqueux”, confie celle dont le prénom aurait déjà pu augurer cette prédisposition. Une relation viscérale également léguée par sa mère, qui lui offre régulièrement plantes, branches et fleurs séchées – comme celles que l’on aperçoit dans l’âtre de sa cheminée, témoignages de cette transmission matriarcale.

Mais comme la plupart des jeunes adultes, Mimosa Echard a dû un jour quitter le nid, et délaisser le cocon rassurant du foyer pour explorer son amour de l’image en 2D à Marseille. Passée d’abord par une formation en design graphique, qui déçoit ses désirs d’expérimentation, l’étudiante monte ensuite à Paris pour entrer à l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs (ENSAD). Et si la transition vers une ville aussi dense, rythmée et bruyante est parfois difficile, l’étudiante décide de s’emparer des paradoxes qui la traversent : d’abord, celui entre son village de naissance et le milieu parisien bourgeois dans lequel elle s’intègre par ses études, mais aussi la fascination de sa génération milléniale pour les jeux vidéos, MTV et les nouvelles technologies, étrangement antinomique avec le mode de vie néo-hippie dans lequel elle s’est construite “sans vraiment l’avoir choisi”.

Alors, chaque fois qu’elle regagne le domicile familial, la jeune femme emporte avec elle une caméra DV [Digital Video] pour y capturer pendant des heures fleurs et animaux, maisons et objets électroniques dans l’eau dans les paysages qu’elle connaît si bien depuis ses premiers jours. “Happée, comme elle le décrit, par la dimension sensuelle de la vidéo”, l’artiste fait plusieurs années plus tard de ces nombreux rushs un film de deux heures, “une sorte de tissage où les images se superposent entre elles” sans émettre un seul mot, comme pour raconter la circulation permanente [de sa pratique] avec le lieu où [elle a] grandi.”

 

Le liquide, pour passer de l’image à la matière

D’ailleurs, dans l’œuvre de Mimosa Echard, tout est liquide. Fortement inspirée par les mares, étangs et autres étendues aqueuses, l’artiste utilisera sans cesse cet état dans sa démarche afin de relier le monde numérique au monde physique. C’est déjà cette liquidité que l’on retrouve dans le montage dilué de ce premier film, qu’elle qualifie d’“objet très organique”, ou dans les céramiques qu’elle réalise à l’ENSAD, à l’aide d’un four oublié. Le liquide est aussi présent lorsqu’en 2012, la jeune femme à peine diplômée de l’école fonde avec son ami et mentor, le peintre Jean-Luc Blanc, et l’artiste Jonathan Martin un fanzine à Los Angeles : si les dessins, photos, photocopies d’objets et effets d’impression composent cet objet, l’ensemble est maintenu par l’essence de térébenthine, dont Jean-Luc Blanc barbouille encore aujourd’hui les feuilles de chaque numéro et qui donne son nom à la publication, Turpentine.

Lorsque Mimosa Echard moule ensuite des bidons ou des bouteilles en plastique dans la résine pour y figer des écosystèmes composés de divers rebuts et curiosités de nos sociétés consuméristes, on croirait les voir vivre dans d’étranges aquariums. Lorsqu’elle suspend sur cintre des vêtements pour les teindre et les recouvrir de latex, ou assemble au pistolet à colle des fragments de tissus imprimés pour former des rideaux, tous coulent jusqu’au sol comme des traces de peinture sur une toile. Lorsqu’elle agrège sur la soie graines de pavots et camomilles, noyaux de cerises et de pêches, acrylique et liant, toutes ces composantes deviennent interdépendantes, générant d’étonnantes peintures-confitures aux couleur rougeoyantes.

Dans ses œuvres présentées récemment lors de sa première exposition personnelle à la galerie Chantal Crousel, l’artiste fait, une fois de plus, la part belle au liquide : sur des toiles monumentales de presque 2 mètres par 3, elle dispose des photos d’œufs de limace et de corps dénudés, des pilules contraceptives et cheveux de poupées, des bouts de câbles et élastiques colorés de tailles diverses, qu’elle fait dégouliner de matières et de couleurs. Recouverts de colle et maintenus par des tissus fins et translucides, ces matériaux composent des paysages chaotiques régis par des jeux d’échelle et de trompe-l’œil, mais surtout par de nombreux fluides. Comme toute bonne cuisinière, Mimosa Echard invente ses propres recettes en exploitant les techniques qu’elle maîtrise puis laisse le temps faire le reste, et la chimie amener sa part d’imprévisible.

Le corps comme point d’ancrage

 

Mais il serait réducteur de ne voir dans ses créations que les expérimentations farfelues d’une alchimiste – un qualificatif dont la trentenaire s’affranchit d’ailleurs volontiers. Sans se prétendre biologiste, l’artiste étudie depuis son enfance “la structure des plantes, des fibres à l’intérieur à la manière dont elles se détachent” et observe attentivement les réactions des matières vivantes entre elles pour en retranscrire l’énergie. Aussi protéiformes et hybrides soient-elles, toutes les œuvres de Mimosa Echard parlent, à leur manière, du corps. Alignés au sol ou superposé, ses “boudins” en tissu rembourré, par exemple, évoquent aussi bien par leur couleur charnelles et leur mollesse des boyaux géants que les volumes plus morbides de corps recouverts de linceuls. Les suspensions de perles, elles aussi, évoquent les organes digestifs, les terminaisons nerveuses, circulations sanguines ou intestinales, l’artiste donnant à chacune de leur couleur une signification spécifique. Les cercles tracés par les perles et les vues microscopiques de ses toiles renvoient aussi bien aux cellules qu’aux cavités buccales, anales ou vaginales, jusqu’à schématiser la fécondation même.

Quant aux textiles recouvrant ses supports, ils matérialisent indubitablement la surface d’une peau sous laquelle grouilleraient des organismes indéterminés. “Je recherche l’émotion dans l’ambiguïté entre plusieurs stades de transformations et de métamorphose, justifie l’artiste. Je pourrais établir un parallèle entre mes peintures et la musique : elles vacillent entre la brillance de la pop et la déconstruction de la noise, par exemple…” Un imbroglio organisé que reflètent précisément ses bacs en inox similaires à ceux utilisés en chirurgie : devenus réceptacles de divers cartes postales, colliers, jetons couverts de laque acrylique, ils se voient personnifiés par l’artiste, qui les décrit comme des ventres renfermant les mouvements du vivant. La dernière étape de leur conception avant de les accrocher aux cimaises est à cet égard significative. Mimosa Echard les enfile dans des collants élastiques, un geste protecteur d’une artiste démiurge et bienfaitrice, fin prête à livrer le fruit de ses entrailles au public… et au monde.

L’exposition personnelle de Mimosa Echard, “Numbs”, est à visiter virtuellement jusqu’au 17 avril sur le site de la galerie Chantal Crousel.

Vue d’installation “Mimosa Echard, Numbs”. Galerie Chantal Crousel, Paris, France (05/03 — 10/04/2021). Courtoisie de l’artiste et de la | Courtesy of the artist and Galerie Chantal Crousel, Paris. Photo: Aurélien Mole.