Rencontre avec Hervé : “Je ne viens pas d’un milieu où on connaît des profs de piano et des gens qui bossent en label”
Avec son allure de hooligan anglais, Hervé, chanteur-compositeur parisien âgé de 33 ans dénote dans le paysage de la chanson hexagonale. Alors qu’il vient de sortir son troisième album, Adrénaline, retour sur notre rencontre avec un artiste qui dresse un pont entre Bashung, Primal Scream, les Daft Punk et les Happy Mondays.
propos recueillis par Violaine Schütz.
Quand on écoute Hervé et qu’on le regarde s’agiter dans ses clips et sur scène avec son crâne rasé, ses Creepers et son pantalon feu de plancher, de nombreuses images nous viennent en tête. On pense, pêle-mêle, à la scène “Madchester” des 80’s/90’s portée par le club l’Haçienda et la MDMA, aux raveurs, au Bashung très punk des débuts, à l’énergie du rap et de la french touch 2.0. À 33 ans, ce Breton originaire de Plougasnou (Finistère) qui a grandi en banlieue parisienne, à Fontenay-le-Fleury (Yvelines), entre Versailles et Trappes, brouille les pistes spatio-temporelles tout en sonnant follement moderne.
Pendant la pandémie, Hervé a su toucher de nombreux adeptes avec des tubes mélangeant textes poétiques et énergie dancefloor tels que Addenda, Cœur poids plume ou Si bien du mal. Peut être parce qu’il fait danser la mélancolie au moment où les clubs sont fermés. Ou qu’il évoque des thèmes bien ancrés dans l’époque comme le trouble des sentiments ou la santé mentale. Le fait est que rien ne semble arrêter le sprint fou d’Hervé qui avance comme il danse : sans filets. Réfractaire au laisser-aller, le chanteur qui conçoit son projet de A à Z (composition, écriture, voix) a joué à l’Olympia pour une session de streaming et réalisé des clips avec son iPhone.
Couronné aux Victoire de la Musique en 2021, il vient de sortir un troisième album, Adrénaline. L’occasion de revenir sur notre discussion, via Zoom de cuisine, de style et d’adolescence avec le nouveau visage solaire de la chanson française.
L’interview du chanteur Hervé, qui sort l’album Adrénaline
Numéro : Avez-vous réussi à garder vos Dr. Martens sur terre après avoir gagné une Victoire de la musique de la Révélation masculine en 2021 ?
Hervé: Je n’y croyais pas. Je ne m’étais pas du tout préparé à gagner. Mais cette Victoire possédait une vraie saveur après l’année qu’on venait de passer. Le soir, je suis rentré à la maison, normalement. Le lendemain on a regardé la cérémonie avec mes proches et je mangeais un grec, comme avant. [Rires.] Je crèche toujours dans le 9m2 parisien où je compose. Heureusement qu’il y a un miroir qui donne l’effet d’amplifier la pièce.
« Je ne me drogue pas. J’aime bien être au plus proche des choses et sur scène, je lâche complètement prise, façon Billy Elliot. » Hervé
Vous avez été le compagnon d’infortune idéal par temps de pandémie. Vous avez tourné en confinement le clip de Si Bien du mal dans votre cuisine, donné des lives avec le public assis, filmé la vidéo Maelström en pleine libération, dans la campagne, entre deux confinements. Et vous avez récemment enregistré un titre aux airs prophétiques, Un Monde Meilleur sur lequel vous avez demandé à vos followers d’assurer les chœurs….
C’est vrai que j’ai vécu cette aventure au rythme du Covid. L’an dernier, juste avant d’attaquer le Printemps de Bourges, j’étais allé passer une semaine chez mon père en Bretagne. C’est là que je me suis retrouvé bloqué. Il s’est alors passé un truc de l’ordre de la résilience. Instinctivement, je me suis dit que je ne pouvais pas rester à rien faire, à rien dire. Pendant la première semaine de confinement, j’ai sorti le clip de Si Bien Du Mal. J’ai eu peur de le poster par rapport à l’ambiance très glauque qui régnait. En même temps, la mélodie de ce titre m’est venu dans cette cuisine, qui est celle de mon père, en Bretagne. Quand je l’ai sorti, j’ai commencé à voir les gens qui imitaient ma danse en cuisinant des crêpes. Alors j’ai pensé : « Et si je lançais un challenge de danse dans sa cuisine pour voir si les gens sont chauds ? » Et là, ça a pris. J’ai l’impression que ça a fait du bien à tout le monde de danser dans sa cuisine. Je ne pensais que ma musique jouerait ce rôle-là, à un moment pas facile du tout. Quand le Covid est arrivé, l’album venait juste d’être fini. Je l’ai composé, produit, écrit. C’était intense. Alors il fallait que je le défende. Quand l’Olympia, qui était déjà booké, a été annulé, j’ai décidé de le remplacer par une session en streaming pour que tous ceux qui n’habitent pas Paname puissent le voir, ainsi que ressentir la vie en backstage en filmant les coulisses. Il a fallu tout le temps se réinventer. Je me suis servi de mon téléphone pour filmer des clips, en collant le smartphone sur la voiture de mon père pour Maelström par exemple. J’ai livré des vidéos en UPS ou avec des Wetransfer de 17h, au fin fond de la campagne, qui ne passaient pas.
Sur scène et dans vos clips, vous déployiez une énergie folle, entrant dans une sorte de transe ? Quelle est votre drogue ? Un excès de café [Si Bien du Mal a illustré une pub pour une marque de boisson caféinée] ?
Ah ah, non, je ne me drogue pas. J’aime bien être au plus proche des choses et sur scène, je lâche complètement prise, façon Billy Elliot. Je ne vais jamais voir le moniteur pendant un tournage de clip pour savoir si mon profil était bon ou si la scène rendait bien. Je profite un maximum. Cette énergie-là, elle vient peut-être du sport, même si je n’en fais plus beaucoup en ce moment. Je suis hypersensible et j’ai une hyperactivité cérébrale qui engendre sûrement cette hypertonie qui peut être vivifiante.
Le titre de votre premier album, Hyper (2020), fait songer aux sentiments qu’on peut ressentir adolescent, quand tout semble exacerbé. Soit on va hyper bien, soit hyper mal…
Je ne réalise souvent qu’une fois le morceau fini que subsistait quelque chose de mon adolescence dans le texte. Pour mon premier EP, Mélancolie FC, les thèmes pouvaient se résumer à nos rêves et nos vies de demain. Sur l’album, il s’agit plus d’un truc hérité de l’enfance. Des artistes que j’avais beaucoup écouté gamin remontaient : Dire Straits, Bashung, Higelin. J’aime aussi beaucoup les chanteurs abstraits comme Christine and the Queens, William Sheller ou Christophe dont beaucoup de paroles sont imagées. Mais sinon, j’avoue que je suis un éternel ado. Je n’ai pas le permis, toujours les mêmes potes, les mêmes logiciels pour produire de la musique. J’aborde toujours le son de la même manière, comme de la bedroom pop. L’adolescence, ça reste le feu sacré. On nourrit un rapport absolument premier degré avec la musique. On peut même adorer, voire aduler, un truc vraiment nul. Et ça, c’est très précieux comme sentiment. On va dire que j’essaie de composer des chansons avec le même sentiment que celui que j’éprouvais en les écoutant adolescent.
« Je ne viens pas d’un milieu où on connaissait des profs de piano ou des gens qui bossaient en label. » Hervé
Quelles sont vos influences majeures ?
J’ai beaucoup écouté de rap français et j’ai découvert tard la musique électronique. Je connaissais déjà les Daft Punk et les vieux groupes de rock. Mais je ne jouais pas dans un groupe de rock au collège ou un lycée. Vers 17 ans, la claque ça a été Ed Banger. Quand j’ai commencé à sortir, la scène parisienne de la “french touch 2.0” m’a transporté. Cette turbine, cette énergie, c’était génial. J’ai moins aimé ce qui a suivi sur Soundcloud, notamment les productions tropicales. Les teufs période Ed Bang étaient dingues avec Justice, Sebastian, Kavinsky et Dj Mehdi (paix à son âme) dans les line-up’s des soirées. Je restais jusqu’à 5h-6h du matin pour les derniers DJ sets. On pouvait comparer cette émulsion à la Fabric de Londres. J’ai d’ailleurs tourné en Angleterre avec le duo électro-pop dont je faisais partie, Postaal. J’avais monté mon label là-bas. J’ai découvert en Angleterre des trucs qui ne passaient pas à la radio en France, des classiques comme la scène de Manchester, l’Haçienda. On a aussi joué à Margate, Liverpool, l’Île de Wight… La musique anglo-saxonne influence énormément mes productions. Et j’ai retrouvé beaucoup de Bretagne… en Grande-Bretagne. L’énergie des gens, le son, la politesse et la déglingue quand même aussi. J’ai vécu de sacrées années en Angleterre.
Plus jeune, vous avez songé à devenir footballeur pro. Quels sont les points communs entre la musique et le foot ?
En Angleterre, on voit depuis longtemps bien le lien entre le rap, le foot et le cinéma. Le récit social qui est raconté est souvent le même. Gallagher et Manchester, ça sonne comme une évidence. En France, on réalise depuis peu les ponts entre Niska et Matuidi par exemple. Dans la pratique du foot, on peut faire des transferts. Le vestiaire, c’est con, mais c’est une loge. Il y a l’échauffement, des rendez-vous le soir, à une heure précise. Et puis, c’est que du partage. Tu peux gagner sur scène, ou ne pas gagner mais y a rien à perdre à jouer.
Vous avez connu pas mal de petits boulots avant de réussir dans la musique comme celui de déménageur, d’homme de ménage, de vendeur de glace… Ça a forgé une grande force de travail chez vous et une proximité avec le public que vous ne regardez pas de haut ?
Je ne supporte pas quand des artistes se murent dans une attitude condescendante. Si je dois aller rebosser comme avant demain, j’irais rebosser. Je suis le seul musicien de ma famille. Mon père fait de la musique bretonne depuis quelques années, mais seulement depuis qu’il est à la retraite. Je ne viens pas d’un milieu où on connaissait des profs de piano ou des gens qui bossaient en label. À mon anniv, à part mes ingés son, tu ne croiseras personne de la musique. Cette aventure n’est basée que sur le boulot. Je suis là parce que les gens ont aimé mon travail, ont partagé, etc. J’ai jamais fait ce métier pour que ça fonctionne, pour avoir du blé, pour aller aux Fashion Weeks. Après ça peut me plaire et me faire marrer d’aller à un défilé. J’essaie d’amener un proche pour qu’il découvrE aussi ce domaine assez loin du mien. Mais j’aime les vêtements : je m’habille en fonction de photos que j’adore ou des films que j’ai vu.
« J’ai longtemps été contre les claquettes-chaussettes. » Hervé
Les claquettes-chaussettes que vous portez dans le clip de Si Bien du Mal ça vient de votre amour pour le rap ? De votre enfance en banlieue parisienne ?
Je les porte en ce moment même ! [Rires.] J’ai été longtemps contre. Je trouvais ça horrible. En plus, j’ai l’impression que c’est parti des stars en festivals qui se trouvaient tellement cool qu’elles pensaient qu’elles pouvaient tout porter comme des chemises à fleurs et des claquettes avec chaussettes tout en restant sexy. Et puis j’ai essayé et c’est tellement agréable à porter (mais pas agréable à l’œil je le concède) que j’ai continué. Pour le clip, je me suis posé la question : est-ce que j’allais porter des chaussons ? Mais ça me semblait pas terrible les chaussons. Sinon je suis plutôt chaussures noires à grosses semelles, des Creepers, des Adieu qu’on m’a offerte aux Victoires ou des Dr. Martens. Ça correspond plus à l’iconographie que j’avais en tête pour l’album Hyper.
Vous avez co-écrit des textes pour Johnny (présents sur l’album Mon pays c’est l’amour), quel souvenir gardez-vous de lui ?
Je ne l’ai jamais rencontré ! Je ne suis jamais allé à Los Angeles, je n’ai pas roulé à moto avec lui. Il est décédé avant la sortie de l’album. C’est comme quand je sors un disque et que le Covid débarque… Je n’ai rien vu encore.
Vous êtes allé cuisiné des crêpes chez les gens après avoir lancé un concours dans toute la France. Avez-vous une recette de crêpes spéciale ?
Non pas du tout. Beaucoup de beurre. Et sinon rien d’autre que les ingrédients de base, pas de rhum, de bière, pas de vanille ou je ne sais quoi dedans. Brut, nature.
Adrénaline (2024) d’Hervé, disponible.