Rencontre avec Maisie Williams, la star de “Game of Thrones” transformée en toiles de maître
La petite Arya Stark qui bataillait dans “Game of Thrones”, c’est elle. Enfin, c’était. Aujourd’hui, la jeune femme de 24 ans a séduit Hollywood (elle était à l’affiche du blockbuster “Les Nouveaux Mutants”) mais aussi la maison Cartier dont elle est devenue ambassadrice. Actrice, réalisatrice, égérie… Maisie Williams incarne une nouvelle génération engagée et ultra-créative. Pour Numéro art, elle a accepté de rejouer les plus grands chefs-d’œuvre de la peinture, du Cri de Munch au Bacchus du Caravage.
Photos par Lee Wei Swee.
Réalisation Samuel François.
Concept Thibaut Wychowanok.
Texte Olivier Joyard.
Pendant une décennie, son maniement de l’épée a électrisé les écrans. Arya Stark la flamboyante dans Game of Thrones, c’était elle, enfant traumatisée par la violence des adultes, devenue femme conquérante au fil des saisons de ce hit mondial. Maisie Williams, 24 ans aujourd’hui, n’a donc pas connu une adolescence normale mais une vie à grande vitesse dès son entrée à Hollywood. On l’a redécouverte en 2019 dans la série Two Weeks to Live et dans le blockbuster Les Nouveaux Mutants, mais également dans un rôle plus glamour, endossant le rôle d’ambassadrice de la maison Cartier pour la nouvelle montre Pasha. Désormais productrice autant que comédienne, engagée dans les causes féministe et environnementale, la jeune femme originaire de Bristol goûte enfin à un quotidien plus habituel pour quelqu’un de son âge. Nous l’avons interviewée – à distance respectable évidemment – à Paris où elle s’est installée cet été. Rencontre avec une actrice épanouie, aux idées claires et aux ambitions neuves.
Numéro art : Vous êtes à Paris depuis quelques mois. Pourquoi avoir choisi le doux air de la capitale française ?
Maisie Williams : J’aime beaucoup être ici. Je me sens très inspirée, bien plus qu’à Londres. De plus, je travaille avec mon petit ami [Reuben Selby] sur la première collection de sa marque. Nous avons bossé dessus pendant le confinement et nous aimerions organiser un défilé au Ritz. Je suis aussi lancée dans des projets personnels et comme tout passe par Zoom, je suis bien mieux à Paris.
Tout le monde vous connaît en tant que comédienne, notamment dans Game of Thrones, mais votre spectre est plus large.
Je me suis toujours considérée comme quelqu’un de créatif. Ma véritable expression traverse plusieurs médiums. Se limiter à une seule forme de créativité n’a pas de sens à mes yeux. La musique influence mon jeu d’actrice, ma personnalité est nourrie par mon rapport à la mode [lors des défilés parisiens en septembre, elle s’est affichée dans des tenues et du maquillage assortis à ceux de son petit ami]. Ce qui m’intéresse s’élargit constamment. La production a pris une certaine place dans ma vie récemment et je compte mettre en avant de jeunes artistes. Je développe également une série que j’espère financer avant la fin de l’année. Je l’écris, je la produis et j’ai l’intention de la réaliser. Mais le processus est long! Je peins aussi depuis deux ou trois ans et je n’oublie pas mon travail d’actrice. Je tourne bientôt l’histoire vraie d’une artiste céramiste des années 20, ce qui m’a permis de me lancer dans la poterie.
Pour alimenter ce tourbillon créatif, par quoi êtes-vous inspirée en ce moment?
J’ai beaucoup écouté de musique classique; elle me projette dans un état suspendu. Debussy, je le trouve très utile pour se recentrer. C’est un art si pur. Je me suis également donné comme but de regarder un film par jour. J’ai exploré le cinéma de Yorgos Lanthimos, Charlie Kaufman, Alex Garland, qui a écrit La Plage et réalisé notamment Ex Machina. J’ai regardé pas mal de films d’Alma Har’el, y compris ses courts-métrages.
Vous êtes originaire de Bristol. Vous auriez pu être dans la série Skins, tournée là-bas. Elle a marqué les années 2000 par sa représentation trash des ados.
J’avais 8 ans quand Skins a commencé. Sept ans plus tard, je l’ai découverte comme une série vintage. [Rires.] Donc, je n’ai pas pu passer le casting! Mes débuts dans l’industrie audiovisuelle ont été très différents de ceux qu’on imagine quand on pense à des actrices et des acteurs venus d’Angleterre. Il est très difficile de devenir comédienne si vous êtes issue d’une famille de la classe ouvrière. On vous met dans une case “réaliste” et on vous y garde au chaud. À titre personnel, je ne me suis jamais sentie réduite à une seule partie de moi-même. J’ai l’impression de pouvoir entrer dans plein de boîtes et intéresser des personnes très diverses. J’ai la capacité de m’adapter à celles et ceux que je rencontre, y compris professionnellement. Je suis capable d’être charmante dans n’importe quel milieu ! À mon sens, c’est la clef du succès. Il faut savoir porter plusieurs chapeaux.
Parlons de la série Game of Thrones, qui s’est terminée en 2019. Le rôle d’Arya Stark vous a offert une célébrité mondiale, mais surtout, vous avez traversé l’adolescence et au-delà dans la peau de ce personnage obstiné. Pour vous, la série doit ressembler à une capsule temporelle.
Effectivement. Je vois cette partie de ma vie comme un moment très singulier qui sera figé dans le temps pour toujours. Je le regarderai de l’extérieur. Je ne pourrai plus jamais connaître et comprendre ma vie telle qu’elle était à ce moment-là. Au fond, c’est assez sain de penser de cette manière. Ce qui m’est arrivé est profondément bizarre, peut-être l’une des expériences les plus singulières qui puissent arriver à une jeune personne. J’ai beaucoup appris sur moi-même. J’en suis sortie, cette porte est fermée. Et c’est une sensation puissante.
Avez-vous l’impression d’avoir manqué quelque chose de votre jeunesse et de ne reprendre le contact avec la réalité que depuis un an et demi?
Quand la série s’est terminée, j’ai eu une sensation étrange, comme si j’avais prétendu être adulte pendant dix ans alors que je ne l’étais pas. Il y a quelques mois, j’ai téléchargé TikTok, qui est une porte d’entrée très détaillée dans le cerveau de ma génération. Ce qui est pensé et ressenti par la jeunesse traverse cette application d’une manière ou d’une autre. J’ai compris tout ce que j’avais raté en tant que teenager. Pendant le confinement, je me suis connectée avec mon “moi” plus jeune, avec l’insouciance d’une personne de 15 ans, cette insouciance que je n’ai pas eue à l’époque. C’était très agréable. Maintenant, quand je suis en contact avec des gens de mon âge, je me considère moins comme une étrangère. Je suis plus naturelle. Ce n’était pas le cas dans le monde du cinéma et des séries, où je prétendais être une adulte. Je l’ai fait pendant si longtemps… Cela m’a écartée de quelque chose. J’ai été heureuse d’enlever enfin mon masque – façon de parler.
Votre génération semble plus inclusive et plus impliquée dans le futur de la planète que les précédentes. Pour quelle raison, à votre avis ?
Elle est plus lucide, c’est certain. Je sens un respect et un émerveillement pour la planète sur laquelle nous vivons. Le futur nous importe. C’est difficile de dire pourquoi, mais nous n’acceptons plus certains comportements. Pourquoi les autres avant nous n’ont pas relevé le défi de la gentillesse, de l’inclusion ? Je ne peux pas le dire. Ce qui est sûr, c’est que dans les dix dernières années, le développement de la technologie a constitué un fait marquant. Les luttes politiques en ont été un autre. Un nouveau monde se dessine et pas mal de gens s’accrochent désespérément à l’ancien. Je le ressens très fortement: nous sommes à un tournant. C’est comme si l’humanité était à l’intérieur d’une cocotte-minute. Il y a tant d’inconnues. Je pense que les historiens qui regarderont notre époque dans deux cents ans considéreront qu’elle a été majeure. Dans ce contexte, des œuvres extraordinaires peuvent naître et l’art tient une place centrale.
Quels sont vos plans pour le futur? Devenir une artiste complète ?
Je ne prévois pas beaucoup dans ma vie. Mon but est de rendre les autres heureux, de les aider à découvrir de nouvelles perspectives. En tant qu’actrice, beaucoup de choses que je fais sont intenses et dures. J’aimerais que mon intervention dans le monde soit de plus en plus positive et le moins triste possible. J’ai envie de toucher à la réalisation pour accomplir ma vision. J’ai toujours été fascinée par ce métier depuis que j’ai commencé à être actrice.
On a beaucoup associé à votre personnage d’Arya Stark dans Game of Thrones le mot “badass”, qui signifie puissante, guerrière, indestructible. Le revendiquez-vous?
Je vais vous dire la vérité : pour moi, ce mot n’a pas beaucoup de sens. Franchement, c’est une expression un peu pourrie, vous ne trouvez pas? Je pense que les gens ressentent le besoin de mettre des étiquettes sur les femmes quand elles ne sont pas “féminines”. C’est une façon de les faire rentrer dans une boîte quand même. Je sais que c’est censé être flatteur et gentil de dire “badass”, mais je pense que toutes les femmes ont en elles des couches extrêmement diverses. C’est vrai que j’endosse des rôles comme celui d’Arya Stark qui sont typiquement masculins, a priori. Mais ce n’est pas la peine de s’accrocher uniquement à cela. Les femmes peuvent être fragiles et c’est très bien aussi. Ce mot est beaucoup trop utilisé. On mérite mieux !