Les confessions de Cat Power, l’icône de la musique en concert aux Folies Bergère
La chanteuse originaire d’Atlanta Chan Marshall, alias Cat Power, est l’une des plus belles voix de la musique américaine et l’une de ses âmes les plus écorchées. Après plusieurs albums de chansons originales et de reprises bouleversantes, elle sortait en novembre dernier un disque dédié à l’une de ses idoles. Il s’agit de l’enregistrement live d’un concert de Bob Dylan datant de 1966, qu’elle a recréé en entier – avec une verve quasi sacrée -, en 2022, au Royal Albert Hall de Londres. Alors qu’elle est en concert à Paris, aux Folies Bergère, les 15 et 16 juillet 2024, retour sur notre rencontre avec une artiste aussi habitée et intranquille qu’attachante.
propos recueillis par Violaine Schütz.
En novembre 2022, la chanteuse américaine Cat Power se produisait sur la scène de la salle mythique du Royal Albert Hall de Londres pour rejouer, entièrement, un concert intitulé The Royal Albert Hall Concert de Bob Dylan. La performance de Bob Dylan, qui a en fait eu lieu au Manchester Free Trade Hall, en 1966, mais qui a été mal étiquetée et nommée dans sa version “pirate”, a marqué un tournant dans l’histoire de la musique. En effet, l’artiste et ses musiciens, sont passés, durant ce set, de la guitare acoustique à la guitare électrique. De quoi provoquer l’ire des amateurs de folk. Un spectateur a même crié “Judas !” à l’époque, accusant le chanteur de traîtrise concernant le genre musical qui a fait son succès.
Armée de sa voix sublime et d’une capacité rare à transmettre des émotions puissantes aux auditeurs, Cat Power a réussi à recréer l’aura presque mystique de ce moment lors d’une performance que l’on retrouve enregistrée sous le nom de Cat Power Sings Dylan : The 1966 Royal Albert Hall Concert.
Peu avant que ce beau disque ne sorte, en novembre 2023, on a rencontré la grande prêtresse du rock et du folk américains, qui nous a autant fait des confidences intimes que musicales. Allongée sur le lit de sa chambre d’hôtel parisien (de luxe), près d’une valise ouverte laissant entrevoir un tee-shirt vintage élimé de Dylan, la braguette de son jean dézippée et enchaînant les cigarettes, la chanteuse écorchée âgée de 52 ans mais plus apaisée qu’à ses débuts, est toujours d’une folle lucidité. Même lors de ses digressions chaotiques. L’apanage des très grands artistes…
L’interview de Cat Power sur son album live de reprises de Bob Dylan
Comment est venue l’idée de rejouer entièrement un concert de Bob Dylan sur scène, en novembre 2022 ?
Un jour, mon manager m’a appelée et m’a dit qu’on me proposait de jouer au Royal Albert Hall de Londres. Cette salle m’a toujours fait rêver. Et j’ai immédiatement pensé au titre de l’album bootleg de Dylan, The Royal Albert Hall Concert. Même si en fait, ce live a lieu à Manchester (il a mal été étiqueté), j’ai dit à mon manager : « Ok, on le fait, mais alors, on rejoue le concert de Dylan. » Le soir de la performance, je tremblais tellement j’étais stressée. Par le passé, il m’arrivait de reprendre des chansons de Dylan, comme She Belongs to Me, en changeant les paroles pour les mettre à la première personne (« I’m an artist. I don’t look back »). Là, je voulais être dans le respect total de ses morceaux. Ne pas mettre dans égo dans tout ça…
Après votre concert au Royal Albert Hall, il y a eu une longue standing ovation. Quelle est la réaction qui vous a le plus touchée ?
Thurston Moore (Sonic Youth) m’a dit qu’il avait pleuré quand j’ai joué Mr. Tambourine Man. C’est trop gentil de sa part…
Je crois que vous avez rencontré Bob Dylan plusieurs fois…
Oui, la première, en backstage, à Paris. Juste avant, comme je savais que j’allais le rencontrer, j’ai écrit une chanson pour lui, Song to Bobby. Je lui ai envoyé mais il ne m’a pas répondu. Je l’ai aussi rencontré à Glasgow. Nous étions dans le même hôtel. À chaque fois, j’ai l’impression de croiser un vieil ami tellement ses chansons font partie de ma vie et m’accompagnent.
“Enfant, pendant très longtemps, j’ai cru que j’étais noire.” Cat Power
Quelle importance Bob Dylan occupe-t-il dans votre vie ?
Je l’appelle God Dylan, ce qui donne un avant-goût de l’admiration que je lui porte. C’est pour ça que lorsque quelqu’un crie « Judas! » dans le public, au moment de mon concert au Royal Albert Hall, pour refaire comme dans le live original de Dylan, je réponds : « Jésus! ». En plus d’être un Dieu pour ceux qui écrivent des chansons, Bob Dylan rassemble des générations différentes, des gens de tout âge et de toute profession. Et il traverse les époques.
Vous avez découvert sa musique très jeune…
Oui, quand j’étais enfant. Ce que Bob Dylan m’a appris, c’est la puissance des protest songs et des chansons. Cela me ramène à la musique qu’écoutait ma grand-mère, quand j’étais petite. J’ai été élevée par ma grand-mère et j’ai rencontré ma mère à l’âge de 5 ans, ainsi que mon père, puis mon beau-père. On vivait dans une famille noire, avec un groupe de funk appelé Mother’s Finest, qui ont joué le rôle de figures paternelles pour moi. Car je voyais rarement des adultes qui étaient mes parents. Le créateur de mode noir Patrick Kelly, qui était ma babysitter à l’époque, a pris soin de moi tous les jours. Pendant très longtemps, j’ai cru que j’étais noire, car ma mère, d’origine cherokee, avait une permanente et un peigne dans les cheveux, comme Questlove. J’ai appris à lire à 3 ans avec ma grand-mère. Il s’agissait de la Bible, parce qu’elle lisait la Bible tous les soirs. À l’âge de 6 ans, je n’avais pas d’argent pour aller m’acheter du lait ou une glace, alors je lisais tous les jours après la classe. Les années 70 étaient une période folle, à Atlanta. Les gens allaient et venaient les uns chez les autres, sans prévenir. Les portes des maisons étaient toujours ouvertes… J’ai commencé à jouer du piano à l’âge de 10 ans, chez un voisin qui ne l’utilisait pas. Je n’appuyais que les touches noires. J’ai composé une chanson appelée Windows. À la maison, on écoutait du rock (les Stones, Johnny Cash) mais aussi du funk, de la soul… La première fois que j’ai écouté Dylan, ses chansons m’ont parlé plus que les autres, notamment en raison des paroles, ultra poétiques, qu’il fallait déchiffrer. Je me sentais très seule et il avait à articuler des choses qui étaient confuses dans ma tête.
Avez-vous une chanson fétiche de Bob Dylan ?
Pendant 10 ans, avant de monter sur scène, j’écoutais son titre Shelter from the Storm en boucle, et je me sentais forte et enracinée. La chanson parlerait de la plus belle histoire d’amour, celle liant Jésus à Marie Madeleine. D’ailleurs, j’ai appris que les reliques de Marie Madeleine se trouvaient dans une église en France (à Saint-Maximin-La-Sainte-Baume). Il faudrait que j’y aille… Marie Madeleine a eu une fille appelée Sarah. J’ai appelé mon fils Boaz sailor Sarah en hommage à elle. Je voulais qu’il ait un nom de poète.
“L’Amérique fait partie des pays obsédés par eux-mêmes, dominés par les hommes et les Blancs.” Cat Power
Pensez-vous que votre fils deviendra musicien ?
Peut-être, il joue de la basse dans un groupe appelé The White Tigers, avec des enfants plus âgés que lui. C’est lui qui a trouvé le nom du groupe. Il joue aussi de la batterie. Il en joue comme moi, de manière dispersée. Et il se met aussi au piano. Il n’aime juste pas chanter car il est timide. Il a 8 ans. Il est hilarant, il est si grand. Il aime le rock, le punk, le rap mais aussi le basket et le foot. Il est très bon au foot. Il était en tournée avec moi jusqu’à l’âge de deux mois. Avant cela, j’étais en tournée avec lui dans mon ventre, jusqu’à mes 7 mois de grossesse. Quand j’ai découvert que j’étais enceinte, j’étais en Afrique. J’ai voyagé avec ma guitare en Amérique du Nord et en Afrique du Sud. De toute façon, je devais finir la tournée et aller dans toute l’Europe. Et je pense, mes meilleurs concerts que j’ai jamais fait en solo. C’est dommage, parce que je n’ai rien enregistré à ce moment-là. J’ai oublié. Puis j’ai dû avoir une césarienne. Parce que les gynécologues américains croient que si vous avez 35 ans, vous êtes en gériatrie et qu’ils sont paresseux. Et les femmes sont toujours considérées comme des citoyennes de seconde zone. Donc ils se sont dit : on va juste l’ouvrir. « Ouais, nous allons tous les ouvrir et gagner encore plus d’argent. » Je suis assez en colère contre mon pays et quand Trump a été élu, je ne voulais plus y vivre. Il fait partie des pays obsédés par eux-mêmes, dominés par les hommes et les Blancs.
Amenez-vous toujours votre fils en tournée ?
Oui, je l’ai amené récemment en tournée aux États-Unis, alors que je jouais avec les Pixies et Modest Mouse. Juste avant de m’accompagner lors de mes concerts, il m’a dit qu’il avait besoin d’un nouveau jouet : un catcheur. Je lui ai dit que je lui en avais déjà achetés plein (des jouets), juste une semaine avant. Finalement, il est si malin qu’il m’a convaincue de lui acheter, en prétendant que j’avais de l’argent pour cela.
Y-a-t-il un lien entre ce jouet de catcheur et les gants de boxe présents sur votre album The Greatest (2006). Dans le clip de votre morceau King Rides By (2011), on voit aussi un boxeur…
Ah les boxeurs… C’est mon genre d’hommes favoris pour dater. Je les aime. Malheureusement, j’en ai connu quatre.
Laissez-vous votre fils écouter vos premières chansons, qui étaient très tristes ?
Oui, elles étaient tristes parce que j’étais triste. Dans le monde qui m’entoure et d’où je viens, il faudrait être complètement fou pour ne pas être triste. Il faudrait être sourd, muet et aveugle pour ne pas être triste à cause de tout ça. Mais c’est vrai que mon fils n’aime pas mes chansons tristes. Et il n’aimait pas quand je devais les répéter, avant un concert, au piano, et qu’il était tout petit. Récemment, je me suis pris la tête avec son père, avec qui je m’entends toujours très bien et avec lequel il y a encore beaucoup d’affection et de respect, parce qu’il le laissait traîner dans une pièce, chez lui, où il y avait des œuvres à lui très sombres. C’est un artiste visuel et j’adore ses créations. Mais elles donnent des cauchemars à notre fils…
“Un jour, Rihanna a demandé mon numéro.” Cat Power
Vous avez réalisé de nombreux disques de reprises. D’où vient votre amour pour les relectures ?
Je ne sais pas mais je me suis rendue compte que beaucoup de mes chansons préférées sont en fait des reprises. Ce que de nombreuses personnes ignorent car les relectures sont souvent devenues plus connues que les originales. C’est le cas de Stay de Rihanna, de Wild is the Wind de Nina Simone, d’I’ll be seeing you de Billie Holiday ou encore de Moonshiner de Bob Dylan. Elles n’ont pas été écrites par ceux qui les ont popularisées.
Vous avez repris la chanson Stay de Rihanna, en 2018. Est-elle une influence pour vous ?
Je l’adore, c’est la reine. Elle a l’air si cool (mais très défoncée). Je suis contente qu’elle ait trouvé l’amour, qu’elle soit avec A$AP Rocky, que mon amie Lana Del Rey connaît très bien. On sentait tellement qu’elle voulait être maman. Je suis heureuse pour elle… Un jour, elle a demandé mon numéro de téléphone. L’un de mes amis l’aidait, en tant que styliste, avant que l’album Anti (2016) ne sorte. Lors d’une séance d’essayages de robes, il passait mes morceaux et elle les a entendus, a dit qu’elle aimait ma musique et voulait en entendre plus. Et a demandé mon numéro et mon mail. Mais une semaine après, elle a fait une apparition sensationnelle au Met Gala et elle était partout. Puis l’album est sorti et elle est devenue encore plus adulée. Il avait écrit mes coordonnées sur un bout de papier. Peut-être qu’elle l’a perdu. J’ai des tonnes de morceaux de papiers avec des notes et je les perds tout le temps…
Vous avez fait face à des problèmes d’alcool durant des années. Mais sur Instagram, vous partagez avec vos followers votre nouvelle sobriété… Comment vous-sentez vous aujourd’hui ?
Je suis sobre depuis 165 jours en ce qui concerne l’alcool et 164 jours pour la weed. Je me sens bien. Je ne pourrais pas refumer de la weed aujourd’hui. Il m’arrive d’avoir des tentations bien sûr. La nuit dernière, je suis allée voir Usher, qui vient d’Atlanta, comme moi, en concert. A un moment donné, il a pointé son doigt vers moi en criant : « Cette chanson est pour Atlanta ! ». Nous avons un ami commun. Le show était super, il a une très belle voix, mais beaucoup de gens fumaient autour de nous. Il faudrait que j’évite les lieux remplis de monde…
Cat Power Sings Dylan : The 1966 Royal Albert Hall Concert (2023) de Cat Power, disponible. En concert aux Folies Bergère, à Paris, les 15 et 16 juillet 2024.