6 sept 2018

Rencontre avec Róisín Murphy, pop star malgré elle

Icône de mode et pop star malgré elle, Róisín Murphy se singularise par son extravagance, sa pop expérimentale et une vision très glamour de l’art. À l'occasion de la sortie de ses quatre nouveaux EP, elle répond aux questions de Numéro.

Propos recueillis par Antoine Ruiz.

Róisín Murphy © Nicole Nodland.

Fruit d'une rencontre entre la disco-funk de Chic et la pop de Madonna, la diva venue d'Irlande Róisín Murphy émerge à la fin des années 90 avec son groupe Moloko, qu'elle forme alors avec son ex-compagnon. Originaire d'Arklow, une ville du Comté de Wicklow au sud de Dublin, elle se prend très vite d’affection pour la mode, et son ami Alexandre Vauthier la prend sous son aile. Il la fera notamment défiler à Paris lors de la présentation de sa collection printemps-été 2009. Depuis, Róisín Murphy mène une carrière solo prolifique qui flirte avec l'art-pop. Ses derniers opus en date : quatre mini EPs en collaboration avec Maurice Fulton, producteur virtuose de house music.

 

Numéro : Vous avez travaillé avec Maurice Fulton sur une série d'EP. Deux sont déjà sortis et deux autres n'ont pas encore été publiés. Pourquoi avoir choisi de sortir quatre EP au lieu d'un album complet ?

Róisín Murphy : C’est une question de contexte. Avec l'essor de la club music – cette musique un peu underground – j’ai voulu suivre une tendance avec laquelle j'ai souvent flirté par le passé. Et j'ai du mal à associer la club music avec un albumb. Le format de l'EP convient mieux à cet univers. En vérité, ces quatre EP auraient pu être rassemblés en un seul album. Mais il aurait fallu polir un peu plus les morceaux, les travailler davantage ce n'était pas ce que Maurice Fulton et moi voulions. Nous avons tenté de préserver la nature authentique et brute de nos titres, comme si on les jouait en club. Et puis, il faut savoir que produire un album engendre beaucoup plus de pression. Avec un EP, on est plus libre et, pour le coup, on s'est vraiment éclaté.

 

Votre nouveau morceau avec Ssion s’intitule The Cruel Twirl. Comment vous êtes-vous retrouvée à travailler avec lui ?

Je l'ai rencontré à de multiples reprises, c'est une personne adorable et incroyablement talentueuse. Quand il était en train de travailler sur son dernier album, O, il m'a contacté pour j'y figure. Je ne savais pas trop à quoi m'attendre. Il m'a alors envoyé le texte de The Cruel Twirl et m'a demandé de lire le texte avec une légère intonation tout en m'enregistrant. Un job qui n'était pas excessivement compliqué il faut l’avouer. Par la suite, il a ajouté ma voix sur le titre. Il n'y a vraiment que lui pour créer ce genre de chanson.

 

 

“L'essentiel est de préserver l'esprit authentique de chaque genre. Je me ne revendique pas musicienne savante mais je m'évertue à donner du sens et de l'expression à ma musique.”

Comment définiriez-vous la pop star idéale d'aujourd'hui ? Si ce n'est vous-même…

Je ne suis pas sûre d'être une pop star, je n'ai pas grand chose à voir avec toutes ces chanteuses pop d'aujourd'hui. Pour moi, la vraie pop star, c'est Madonna. Je devais avoir tout juste 10 ans quand elle est apparue. Elle représentait à elle seule la véritable pop music. Elle a bouleversé les codes de cette industrie, par ses tenues, par ses paroles, mais aussi dans sa façon de se comporter. Elle “vivait” pop et a participé à transformer le monde musical avec une musique pop intelligente. Aujourd'hui, ce genre est fracturé, le niveau n'est plus aussi élevé. Moi, mes inspirations pop, je les puise dans cette période d'euphorie révolutionnaire de la fin des années 70.

 

Qu'écoutez-vous quand vous êtes chez vous ?

Pour être honnête, j'écoute de tout. Je suis favorable à l'interconnectivité en ce qui concerne les artistes. D’ailleurs, je pense qu’il est important d'écouter de tout. Par exemple, récemment, j'ai écouté Prefab Sprout puis Carl Craig le lendemain. Parfois, pour punir les enfants, on leur fait écouter du classique. C'est une bonne punition qui les cultive en même temps. Mais je dois admettre que mes enfants préfèrent la pop, et de loin !

 

Jazz, funk, pop, électronique, disco, house music... vous avez exploré tous ces genres sur vos projet. Vous êtes une sorte d’alchimiste de la musique que l'on ne peut pas catégoriser…

Quand j'étais petite, j'adorais écouter mon oncle et son groupe de jazz. En grandissant, je me suis dirigée vers des sonorités plus underground. Ma première collection de disques étaient très axée punk. À l'opposé du jazz, je dois bien le reconnaitre. Mais le jazz demeure toujours l'un des ingrédients principaux dans ma musique. Tout le monde mélange les genres aujourd'hui. Certains mieux que d'autres. Pour moi, l'essentiel est de préserver l'esprit authentique de chaque style. Je me ne revendique pas musicienne savante mais je m'évertue à donner du sens et de l'expression à ma musique.

 

 

“J’essaye de prendre conscience du fait que c'est moi qui porte les vêtements et non l'inverse. Je ne laisse pas la mode me définir. C'est moi qui décide de mon identité visuelle.”

Róisín Murphy © Nicole Nodland.

Si vous deviez refaire un EP comme Mi Senti, dans quelle langue étrangère serait-il et pourquoi ?

Probablement en français. Mais ce n'est pas vraiment à propos de langue. Je n'ai pas vraiment voulu chanter en italien avec Mi Senti, j'ai voulu adopter la fibre pop italienne classique. Il ne s’agissait pas seulement d’apprendre l'italien, j'ai dû appréhender tout un contexte ainsi que le sens caché de chaque morceau. Un gros travail de recherche. En ce qui concerne mon envie de chanter en français, je ne pense pas que ce serait de la pop. La pop française n’est pas aussi bonne que la pop italienne. Je préfère de loin l'ère new-wave et post-punk qui s’est abattue sur la France dans les années 80. C’est de ce côté que je me dirigerais…

 

Votre aisance scénique est devenue votre marque de fabrique, un style très visuel et conceptuel… Róisín Murphy est-elle une icône de mode ?

Plus maintenant. À l'époque de mon deuxième album solo, Overpowered, oui totalement. Je jouais beaucoup avec la mode à ce moment-là. C'était palpitant, cela plaisait énormément à mon public. Je me sentais connectée au commerce de la mode, c'était une période folle. Maintenant, cela ne m'intéresse plus. Mais je reste tout de même associée à cet univers. Après Overpowered, j'ai sorti Hairless Toys, et je suis devenue cette femme simple, sobre, très classique. Je m'inspirais de l'élégance chic de Lady Diana. Puis, avec Take Her Up To Monto, j'ai retrouvé mes racines irlandaises. Je suis devenue l'ouvrière du bâtiment. L'art fonctionne de la même manière que le parcours universitaire. Une fois que l'artiste obtient son diplôme – une reconnaissance de son œuvre dans son ensemble – il passe à l'étape suivante. J'évolue constamment, jusqu'à devenir l'artiste que je souhaite être, une artiste complète qui reflète toutes les étapes par lesquelles je suis passée. Encore aujourd'hui, j'aime être vêtue de costumes étranges et extravagants sur scène, c'est ce qui me reste de cette période fashion. J’essaye surtout de rester consciente du fait que c'est moi qui porte les vêtements et non l'inverse. Je ne laisse pas la mode me définir. Je suis la seule à décider de mon identité visuelle.

 

 

“Quand j'étais petite, je scrutais des livres sur le design pendant des heures. J’étais particulièrement obsédé par tout ce qui était flamboyant, ce que l’on retrouvait dans les catalogues.”

Vous parvenez à créer des univers pour chacun de vos albums, des univers très chics et glamour à chaque fois … Avez-vous grandi dans un environnement semblable ?

Je ne viens pas d'une grande ville très glamour comme Paris, je viens d'une petite ville irlandaise. Mais on m'a appris très jeune ce que représentait le style que l'on choisissait d’adopter, et son reflet dans la société. Quand j'étais petite, je scrutais des livres sur le design pendant des heures, cela me fascinait. Je vivais dans une demeure très antique, très vintage pour l'époque. Ma mère me trainait dans les friperies et les vide-greniers du coin. Mais j’étais particulièrement obsédé par tout ce qui était flamboyant, ce qu'on retrouvait dans les catalogues. Forcément, cela a eu un impact sur mon art et sur l'artiste que je suis aujourd'hui.

 

En 2009, vous défiliez pour Alexandre Vauthier à Paris… Cette période vous manque-t-elle ?

C'était une belle époque. Alexandre Vauthier est à la fois un ami proche et une source d’inspiration. Je le referais volontiers, pour lui en tout cas, c'est certain. Mais je ne le ferai pas pour l'argent, seulement en l’honneur de notre amitié. Je ne veux pas être associée à l'industrie de la mode. La mode est un juste un jeu, un extra qui complète ma panoplie artistique.

 

Quels sont vos prochains projets ?

Je travaille, encore et toujours, sur la musique. J'ai de nombreuses idées et j’écris beaucoup en ce moment. Je pense sortir un album prochainement. J’ai entamé un nouveau projet il y a quelques mois avec producteur avec lequel je n'avais jamais travaillé avant. J’aimerais ussi m’essayer à la réalisation, j’ai quelques sujets en tête… 

 

 

Le nouvel EP de Róisín Murphy, Jacuzzi Rollercoaster / Can’t Hang On, en collaboration avec Maurice Fulton, est disponible.