5 oct 2020

Carla Bruni, l’interview vérité : “Mon pauvre mari se cogne toutes mes chansons…”

Supermodel, première dame de France, chanteuse adorée pour sa voix délicate et émouvante… Au cours de sa vie, Carla Bruni a déjà connu plusieurs existences exaltantes. Alors qu’elle fait son retour sous les spotlights avec un nouvel album sobrement baptisé de son seul nom, Numéro mène une conversation à bâtons rompus avec cette charismatique charmeuse, aussi féline que fine diplomate.

Propos recueillis par Philip Utz.

Réalisation Clément Lomellini.

Portraits Yann Orhan.

Numéro : Quel est donc ce mystérieux “quelque chose” auquel fait allusion le titre de votre dernier single ?
Carla Bruni : [Rires.] Eh bien, c’est quelque chose… [Rires.] … que l’on aime bien… Quelque chose qui vit en nous et qui palpite… disons que ce serait quelque chose d’assimilable au désir.

 

C’est marrant, parce que j’ai organisé un petit dîner entre copines à la maison ce week-end pour justement tenter d’élucider le mystère. Soixante margaritas plus tard, tout le monde est arrivé à la même conclusion, qu’il ne pouvait s’agir que d’une seule chose : d’une verge en érection.

[Rires.] Épargnez-moi vos interprétations sexistes et phallocrates, par pitié. C’est quand même dingue ce truc des mecs et de leur pénis… Qu’est-ce que vous avez tous, quand est-ce qu’on va s’en sortir, nous, les femmes ? Que font les psychanalystes ?

 

Quand va sortir votre nouvel album et quel sera son titre ?
Figurez-vous qu’à cause du Covid, on a dû enregister l’album en six jours, et boucler tout le reste en quelques heures – l’artwork, les photos, les vidéos, les lives, etc. Du coup, j’ai bien fouillé dans ma cervelle. D’habitude je me sers toujours du titre d’une chanson pour baptiser l’album, et là, j’avais dans l’idée de choisir Rien que l’extase. J’aime que les mots disent un truc, mais sans pour autant sacrifier la manière dont ils sonnent. Dans celui-là, ce qui me gênait, c’était de commencer par le mot “rien”. Du coup, je me suis dit que l’album n’aurait pas de titre, que je lui donnerais mon nom, chose que je n’avais jamais faite jusqu’ici. Puis, m’est venue une autre idée, j’ai appelé le label, et on m’a répondu : “Trop tard, cocotte, t’avais trois heures pour nous filer un titre et c’était la semaine dernière ! Là, il est déjà en fabrication, ton album !” Bref, l’album n’a pas de titre, il portera mon nom, et c’est pas plus mal comme ça, ça me rajeunit, car normalement ce sont les débutantes qui font ça. Whitney Houston, par exemple, son premier album s’appelait Whitney Houston…

 

Saviez-vous que vous étiez une icône gay au même titre que Whitney ?
Cela m’enchante !

 

 

“Le streaming a complètement bouleversé l’industrie musicale.”

 

 

Pourquoi avoir précipité l’enregistrement de l’album ?
On devait entrer en studio le 5 mai, mais vu qu’on était confiné depuis mars, l’enregistrement n’a commencé que le 9 juin. Du coup, au lieu d’avoir dix, quinze jours pour enregistrer l’album tranquillement, comme à l’accoutumée, suivi d’un bon mois et demi de mixage, il a fallu tout faire en six jours.

 

En quoi la pandémie a-t-elle affecté votre travail en studio ?
Elle l’a affecté d’un immense bonheur, dans la mesure où nous sortions tous de confinement, et on avait tous une envie de travailler, de jouer que je ne peux même pas vous décrire.

 

Comment abordez-vous la composition de vos chansons ?
Je m’y mets ! [Rires.] Tous les jours, je note une phrase ou quelques notes sur mon portable, dans des carnets, en les transcrivant assez rapidement de peur qu’elles disparaissent. Vous savez, je suis vieille, moi, j’ai la mémoire qui flanche. [Rires.] Je note les mélodies aussi. Et quand j’essaye de faire un album, je m’installe ici, à mon bureau, le soir, quand tout le monde dort, et je fouille dans tout ce que j’ai mis de côté pour faire le tri et tenter d’en extraire quelque chose.

 

 

Vous arrive-t-il parfois de vous réveiller en pleine nuit, comme possédée par un couplet ou un refrain, et de vous jeter sur votre bloc-notes pour le noter avant de l’oublier ?
Oui, parce que même si vous avez une idée incroyablement fabuleuse et complètement simple – je ne sais pas, Let It Be par exemple, très bonne idée, pas la mienne, certes, même si j’aurais bien voulu –, on se dit : “Hmm ! Je suis en train de m’endormir, Let It Be, quelle bonne idée, je ne vais pas la noter, je vais m’en souvenir, Let It Be, c’est facile. [Elle fredonne.] Let it be, let it beee !” Mais en fait, pas du tout. On se réveille, on a oublié, et on est là comme un con. Les bonnes idées, il faut les saisir au vol, sinon on les perd à jamais.

 

Votre mari ne doit pas dormir de la nuit.

Il se cogne toutes mes chansons parce que quand elles me viennent, je fais immanquablement preuve d’un enthousiasme débordant et incontrôlé. Et de les lui chanter à tue-tête à 3 heures du matin, en insistant : “Qu’est-ce que tu dis de ça ? Qu’est-ce que tu dis de ça ?” Mon pauvre mari, il ouvre un œil absent, marmonne : “C’est formidable !” puis se rendort. »

 

 

Quels sont les moments les plus propices à la composition ? Lors de la cigarette post-coïtale, par exemple, ou sous la douche le matin ?
Il n’y a pas de modus operandi, sauf peut-être en ce qui concerne l’écriture des textes, où j’ai tendance à privilégier les moments de la journée où je me sens un peu plus sensible qu’à d’autres. Après avoir fait le courrier ou la compta, par exemple, ce n’est pas forcément propice. En sortant d’un cours de gym, en général, ça ne vient pas non plus. Le printemps qui arrive, un soir d’été qui se prolonge, tout d’un coup un silence, une fenêtre ouverte, tout le monde dort, on se demande ce qui se passe dans cette ville, des gens tombent-ils amoureux ? D’autres se déchirent- ils ? – et là, ça me donne envie d’écrire.

 

Quelles vont être les répercussions de la pandémie sur l’industrie musicale, de manière plus générale ?
Les retombées seront terribles : en l’absence de concerts et de tournées, les acteurs de l’industrie musicale – régisseurs, techniciens, managers, musiciens, gérants et personnel des salles de concert – sont tous à la dérive. Si l’on ne peut pas vite remonter sur scène et refaire des spectacles vivants, la musique va mourir puisque, par ailleurs, elle déjà est gratuite.

 

Comment ça, elle est gratuite ?

Le streaming a complètement bouleversé l’industrie musicale.

Que gagnent les artistes lorsqu’on écoute leur musique sur Apple Music ou Spotify ?
Tout ce que je sais, c’est que quand on m’a dit que ma reprise de Stand By Your Man, une des chansons de mon dernier album French Touch avait été “streamée” 130 millions de fois en Corée – parce qu’elle a servi de bande-son à un film coréen –, j’ai pensé que j’avais gagné au loto, les six numéros et le complémentaire… Résultat des courses, j’ai touché quelque chose comme 3 000 euros. J’étais toute dépitée. [Rires.]

 

Le port du masque n’est-il pas une aubaine pour les célébrités, qui peuvent désormais faire leurs emplettes au Franprix parfaitement incognito ?
Oui, non, je pense que le masque donne surtout lieu à un comportement de prudence, en plus de protéger.

 

 

“Être Première dame n’est pas un poste officiel, c’est un titre usurpé en ce qui concerne la République française, qui est vraiment lié à cette idée de First Lady aux États-Unis.”

 

 

La bonne nouvelle, c’est qu’en plus de nous protéger contre ce foutu virus, les masques nous préservent également des faciès laids et déplaisants, des postillonneurs de tout poil et autres haleines de chacal…

Euh, oui, c’est un fait.

 

Comment étaient les vacances au cap Nègre ?

[En plaçant son index sur ses lèvres.] Chut ! Imprudent !

 

Justement, ne serait-il pas opportun de le rebaptiser ce fichu cap, en ces temps de Black Lives Matter ?
Ah oui… Vous avez une idée ?

 

Je ne vais pas m’aventurer sur ce terrain glissant. Nous étions, quant à nous, dans le Luberon, qui était infesté de moustiques- tigres qui n’avaient d’yeux que pour moi. Mon mari, lui, s’en tire toujours indemne, la vie est trop injuste…

Passionnant.

 

Pardonnez-moi, je digresse. Comment fait-on pour devenir première dame ?
On épouse mon mari.

 

“Première dame” fait définitivement partie
de mes buts dans la vie, pensez-vous que j’ai les qualités requises ?

Moi, oui. Je pense que vous avez les qualités requises. Après, première dame, ça dépend beaucoup du mari, vous me suivez ? Votre mari est absolument obligé d’être président, sinon vous ne pourrez jamais être première dame – et ce, quelles que soient vos qualités. Donc il va falloir que vous en parliez avec lui, et si vous voulez, je vous organise un stage – s’il est prêt, s’il est apte – j’ai un spécialiste sur le sujet sous la main.

 

Vous feriez ça pour moi ? Vous me formeriez pour devenir première dame ?
Non, l’idée serait plutôt que votre mari suive un stage avec le mien. Il y a une chose que vous ne semblez toujours pas saisir, et qu’il faut pourtant que vous vous mettiez dans la tête : vous ne serez pas première dame sans mari président. À moins que vous ne deveniez, vous, président, auquel cas la première dame serait votre mari.

 

Lorsqu’on a été une fois première dame, le reste-t-on à vie ?
Ce qui est sûr, c’est qu’on reste à vie quelqu’un qui a vécu quelque chose d’extraordinaire. [Rires.]

 

Quelle est la description du poste, exactement ?

Il ne s’agit pas d’un poste officiel, c’est un titre usurpé en ce qui concerne la République française, qui est vraiment lié, je pense, à cette idée de First Lady aux États-Unis. D’ailleurs, l’épouse du président américain – ou un jour, peut- être, le mari de la présidente – est vraiment quelqu’un qui joue un rôle très actif. Elle est élue, en quelque sorte, au même titre que son mari, ce qui n’est pas du tout le cas en France.

 

Mais que font-elles, au juste, à part changer les rideaux et rafraîchir le Rose Garden ?

Michelle Obama, avec sa campagne “Let’s Move!”, a fait un travail remarquable pour lutter contre l’obésité infantile et la malbouffe aux États-Unis. Laura Bush – qui était bibliothécaire avant de devenir First Lady –, a quant à elle énormément travaillé pour la promotion de la littérature et de la culture outre-Atlantique…

 

Et la pauvre Melania Trump ?

Quelle question ! Non mais, comment vous êtes ! [Rires.] Vous exagérez ! Je ne sais pas, il faudrait que je me renseigne. Vous savez, je ne suis pas la politique.

 

 

“Le peu de petits contretemps que nous avions dans nos caractères entre top model quand nous étions jeunes et rivales s’est évaporé à la cinquantaine.”

Existe-t-il un dress code auquel il faut se plier en tant que première dame ? Ne plus porter de minijupes en imprimé léopard, par exemple, ni de talons de plus de 12 cm ? Autant vous dire que le vinyle, les shorts en latex et les trikinis étaient proscrits. À mon grand dam. [Rires.]

 

Comment faisiez-vous pour être toujours aussi parfaite lorsque vous étiez à l’Élysée ? Pour ne pas vous pointer au G20 – le sommet politique, on s’entend, pas la supérette – avec un bas filé ou du persil entre les dents, par exemple ?
Merci ! [Rires.] J’ai eu beaucoup de chance, et une glam team à la hauteur de la situation.

 

Bon, parlons un peu de mode : racontez-nous tout au sujet d’Yves Saint Laurent, avec qui vous avez eu la chance de collaborer… En version non censurée, s’il vous plaît, avec tous les détails sordides !
Yves Saint Laurent était un homme merveilleux, extrêmement délicat et timide. On sentait chez lui une espèce d’enfant enfermé dans un corps d’adulte, qui ne demandait qu’à sortir, rigoler et blaguer, qui n’aimait que l’insouciance. Je l’ai rencontré assez tardivement : il avait déjà la cinquantaine, et moi, j’étais toute jeune mannequin. Je sentais qu’il ne faisait peut-être plus autant la fête, qu’il s’était un peu rangé. M. Bergé l’avait sans doute déjà rappelé à l’ordre parce que je crois qu’il exagérait un chouia, qu’il poussait le bouchon un peu loin, et qu’il s’agissait de sauver sa peau. Mais rien n’a jamais fait la peau à sa façon magistrale de travailler. Lors des essayages dans le salon vert de l’avenue Marceau, il était à la fois incroyablement proche – intime, familier dans le sens tendre du mot, bien élevé, vouvoyant les mannequins et nous appelant “mademoiselle” – et incroyablement distant. J’ai rarement vu quelqu’un créer de cette façon. Quelle que soit, à l’époque, sa fatigue physique et mentale, il faisait preuve d’une fulgurance exceptionnelle. C’était une atmosphère incroyablement magique et surannée, comme suspendue dans le temps.

 

On m’avait toujours dit que vous vous haïssiez entre tops, alors comment diable Donatella Versace est-elle parvenue à toutes vous réunir – Claudia, Naomi, Cindy, Helena et vous – pour son défilé printemps-été 2018 ?

Le peu de petits contretemps que nous avions dans nos caractères quand nous étions jeunes et rivales s’est évaporé à la cinquantaine. Maintenant on s’adore.

 

Le peu de petits contretemps dans nos caractères” ! Vous pouvez nous la refaire ? Il paraît que vous avez néanmoins appelé Donatella pour lui dire que si Linda Evangelista faisait le show, elle pouvait faire une croix sur vous.

Pas du tout, au contraire, j’adore Linda, elle est venue à mon concert de New York, et j’ai d’ailleurs regretté qu’elle n’ait pas pu être des nôtres à Milan.

 

Imaginez une seconde que vous êtes à bord du Costa Concordia en plein naufrage, au large du littoral sud de la Toscane… qui de vos quatre consœurs citées précédemment balanceriez-vous par-dessus bord en premier pour vous assurer une place sur le canot de sauvetage ?

Hum !… je comprends votre question, vous sollicitez mon imagination… s’il faut la soulever, je vous répondrai : la plus légère !

 

 

Carla Bruni, de Carla Bruni, disponible le 9 octobre.