Le jour où Jane Campion est devenue la première femme à avoir remporté la Palme d’or à Cannes
En 1993, Jane Campion réalise son troisième film, “La Leçon de piano”, une romance épique et sensuelle dont l’intrigue se déroule dans la Nouvelle-Zélande de l’époque victorienne. À l’occasion de la diffusion du film sur Arte ce dimanche 16 mai, Numéro est revenu sur cette fois où Jane Campion a obtenu la Palme d’or lors du 46e Festival de Cannes, devenant la première et seule femme à ce jour à avoir remporté la prestigieuse distinction.
Par Alice Pouhier.
En 1993, Jane Campion écrit et réalise son troisième film, La Leçon de piano, une romance victorienne sensuelle célébrant l’exotisme et revisitant l’éternel triangle amoureux entre la femme, le mari et l’amant…du point de vue de la femme. Dans ce long-métrage tourné dans la moiteur d’un été en Nouvelle-Zélande – son pays d’origine –, Jane Campion capture la passion interdite entre deux amants plongés au cœur d’une jungle sauvage, bercés par le ressac de l’océan – dont l’omniprésence suggère le mystérieux tumulte intérieur ressenti par une femme qui apprivoise sa sensualité. Ada McGrath (Holly Hunter), une mère célibataire muette passionnée de piano, est promise à un homme qu’elle n’a pas choisi. Elle se retrouve prise en étau entre la morale et son propre désir, alors qu’elle tombe sous le charme de Baines (Harvey Keitel), un homme rustre vivant au contact des Maoris, à qui elle donne des leçons de piano…en échange d’un peu de tendresse. Le film, grâce à une direction d’acteurs magistrale, vaudra à la réalisatrice de 39 ans une pluie de récompenses. Aux Oscars 1994, le film remporte trois statuettes : celle de la meilleure actrice pour Holly Hunter, de la meilleure actrice dans un second rôle pour la toute jeune Anna Paquin, et du meilleur scénario pour Jane Campion.
Le romantisme flamboyant – fait de parallèles entre sentiments et paysages splendides – du film de Jane Campion séduit en Europe, et la réalisatrice atteint une renommée internationale lorsqu’elle remporte la Palme d’or lors du 46e Festival de Cannes, en mai 1993. Mais à ce moment-là, Jane Campion est enceinte de huit mois, et peine à maîtriser ses émotions. Le jour de la projection de son film, la salle est comble et l’ovation intense, mais la réalisatrice est trop anxieuse pour apprécier le moment. Le lendemain, exténuée par la promotion du film, elle s’envole pour Sydney et rentre en Nouvelle-Zélande pour se reposer avant son accouchement : elle n’a rien préparé, et ne s’attend pas à remporter la Palme. C’est Gilles Jacob en personne, alors président du Festival, qui lui donnera un coup de téléphone pour lui annoncer son triomphe. Après avoir raccroché, elle se souvient d’un moment unique, “comme un rayon de soleil qui traverse la forêt pour caresser votre visage”, avait confié la réalisatrice à GQ en 2019. Une joie qui sera bientôt balayée par une immense douleur, lorsque Jane Campion perd brutalement son nouveau-né dix jours après sa naissance. Alors, la réalisatrice se coupe du monde et se mure dans le silence, qu’elle a tant sublimé dans La Leçon de piano, un film sur tout ce qui existe au-delà des mots.
La Leçon de piano (1993) de Jane Campion, à voir sur Arte le dimanche 16 mai à 21h.