Johanna Dumet, la peintre qui érige les sacs de luxe et le pastis au rang d’icônes
Un sac Chanel rose vif de près de deux mètres de long envahit la toile au fond vert éclatant de “Coco Rose” (2021), l’une des plus récentes peintures à l’huile de Johanna Dumet qui érigent les must-have de la mode au rang d’icônes. À travers son oeuvre colorée et audacieuse, la jeune peintre française installée à Berlin semble toujours renouveler le sacre de la joie et du désir. Pour Numéro, elle revient sur son parcours et livre son regard sur la mode, l’art et… le pastis.
Par Alix Leridon.
Influencée par ses études de mode, l’artiste réalise ses séries de peintures un peu comme l’on pourrait concevoir une collection de haute couture. En utilisant exclusivement des matériaux nobles associés à un savoir-faire et des techniques ancestrales, comme la colle de peau de lapin (gélatine naturelle posée en sous-couche sur la toile) ou les bâtons encaustiques (mélanges d’huile de lin, de pigments et de cire d’abeille), elle cherche à arriver à un “rendu très classique et organique, qui permettra à la toile de traverser le temps en gardant sa qualité”. À l’instar d’une ligne de vêtements, ses séries fonctionnent selon un principe de répétition et de variation autour de mêmes motifs ou thématiques (animaux, natures mortes ou scènes de repas entre amis), quand elles ne sont pas simplement prédéterminées par un ensemble de couleurs : “quand je n’ai pas d’idée, ou que je travaille en dehors de mon atelier berlinois, je pose mes toiles les unes à côtés des autres et je choisis trois ou quatre couleurs différentes que j’étale dessus de façon abstraite. Là arrive mon moment préféré : j’observe les toiles et j’essaie de trouver des éléments figuratifs dans l’abstraction, de trouver une histoire pour commencer ensuite à peindre quelque chose. C’est un peu comme observer les nuages.” A l’image de son rapport ludique et enfantin à la peinture, il se dégage de son oeuvre une incroyable énergie positive, pleine de joie et de poésie ; comme un remède ensoleillé à la grisaille berlinoise.
Die Geile Ausstellung, de Johanna Dumet, est visible à la Galerie Droste de Wuppertal du 15 mai au 12 juin 2021. L’artiste fera ses débuts en France dans une galerie parisienne l’année prochaine.
Johanna Dumet grandit à la campagne de la Creuse, entourée d’animaux, de fleurs et d’arbres fruitiers. À cinq ans, elle annonce à ses parents qu’elle sera artiste peintre et s’éprend de l’immense liberté qu’offre une vie entièrement rythmée par l’art et la nature. Vingt-cinq ans plus tard, la jeune femme vit toujours entourée d’animaux, de fleurs et d’arbres fruitiers : ceux des toiles qu’elle peint dans son atelier de Berlin, où elle habite depuis bientôt une décennie avec son partenaire, l’artiste-sculpteur Manuel Wroblewski. À 30 ans, elle entretient encore précieusement son âme d’enfant : “Mon enfance, c’est un trésor que je garde au fond de moi et qui ressort dans mes peintures ; j’étais libre comme l’air, et je fais de l’art aujourd’hui car pour moi être artiste c’est le summum de la liberté.” Après l’obtention d’un bac Arts Appliqués, Johanna Dumet a étudié la mode et le design textile à Marseille, où elle pouvait passer “des heures assise en terrasse à siroter un Ricard”. Depuis, il lui arrive de confectionner ses propres vêtements quand elle trouve un tissu à son goût, ou de peindre directement sur des pièces de sa garde-robe : ce qui lui plaît là-dedans, c’est “l’idée de pouvoir porter une oeuvre d’art”. Son goût pour la mode autant que son appétit pour les grandes tablées conviviales et ensoleillées se rencontrent aujourd’hui dans son œuvre, mêlant en peinture petits jaunes (pastis), fruits de mer, polos Lacoste et sacs Prada sur des toiles souvent gigantesques et très colorées.
Libre et spontanée dans son travail, l’artiste compose des toiles instinctives qui semblent autant emprunter au fauvisme qu’à l’art naïf, sans pour autant se réclamer d’aucun mouvement en particulier. Dans ses natures mortes XXL, elle associe la brillance et la noblesse de la peinture à l’huile à ce qu’elle appelle des “objets de désir”, du verre de Ricard au sac Chanel, en passant par la boite de caviar et l’assiette de homard. Elle mêle ainsi le luxe et le populaire, le noble et le trivial, en faisant cohabiter des éléments qui se rejoignent tous dans leur fort potentiel de séduction et d’attractivité : “qu’on soit millionnaire ou qu’on touche le SMIC, on a tous envie d’un Ricard en terrasse… C’est un objet populaire, comme les cigarettes, le café et l’alcool en général ; ça m’intéresse de peindre des objets qui se trouvent dans toutes les classes sociales.” Et lorsqu’elle peint des sacs de luxe, l’idée est finalement la même : “Avoir un sac Chanel, c’est aussi quelque chose que tout le monde – ou presque – désire ; c’est bien pour ça que beaucoup de gens en achètent des copies !”
En 2020, la jeune peintre se lance dans une série intitulée Johanna Dumet couture 2020, constituée de dizaines de petites peintures représentant individuellement des must-have de la mode : un sac Chiquito de Jacquemus, des gants Prada, une paire de sabots Crocs ou encore un sac Ikea, qui ensemble composent un inventaire éclectique. Peints d’abord en miniature, certains de ces accessoires ont par la suite donné lieu à des toiles monumentales, comme pour mieux souligner leur pouvoir. Car à travers cette série, Johanna Dumet s’intéresse à la puissance symbolique des objets de consommation, des sacs de luxe aux sacs publicitaires (Aldi, Ikea) qu’elle érige au rang d’icônes dans une démarche réflexive et ironique. Parce que ces accessoires nous sont toutes familiers, qu’ils convoquent des imaginaires et des fantasmes bien particuliers, “ce qu’ils symbolisent compte finalement plus que ce qu’ils sont réellement” d’après l’artiste. Les formes simplifiées de ces objets sont alors sublimées sur ses toiles par un travail chromatique audacieux, caractérisé par de grands aplats de couleurs vives, presque violentes, que Johanna Dumet se plaît à générer elle-même : “je fais énormément de mélanges pour obtenir des couleurs que l’on ne trouve pas en magasin. J’ai parfois l’impression d’être une magicienne, et je crois que c’est ça que j’aime le plus.”
Influencée par ses études de mode, la jeune femme réalise ses séries de peintures un peu comme on concevrait une collection de haute couture. En utilisant exclusivement des matériaux nobles associés à un savoir-faire et des techniques ancestrales, comme la colle de peau de lapin (gélatine naturelle posée en sous-couche sur la toile) ou les bâtons encaustiques (mélanges d’huile de lin, de pigments et de cire d’abeille), elle cherche à obtenir un “rendu très classique et organique, qui permettra à la toile de traverser le temps en gardant sa qualité”. À l’instar d’une ligne de vêtements, ses séries fonctionnent selon un principe de répétition et de variation autour de mêmes motifs ou thématiques (animaux, natures mortes ou scènes de repas entre amis), lorsqu’elles ne sont pas simplement prédéterminées par un ensemble de couleurs : “quand je n’ai pas d’idée, ou que je travaille en dehors de mon atelier berlinois, je pose mes toiles les unes à côtés des autres et je choisis trois ou quatre couleurs différentes que j’étale dessus de façon abstraite. Là arrive mon moment préféré : j’observe les toiles et j’essaie de trouver des éléments figuratifs dans l’abstraction, de trouver une histoire pour commencer ensuite à peindre quelque chose. C’est un peu comme observer les nuages.” A l’image de son rapport ludique et enfantin à la peinture, il se dégage de son oeuvre une incroyable énergie positive, pleine de joie et de poésie comme un remède ensoleillé à la grisaille berlinoise.
Malgré son regard critique et humoristique sur l’industrie de la mode, Johanna Dumet avoue toutefois ne pas être insensible à ce qu’elle appelle ces “icônes suprêmes” : “Quand j’ai commencé à vendre de plus en plus de peintures, il y a deux ans, j’ai décidé de m’acheter un sac de luxe… Mais pour le moment, je n’ai succombé qu’à un Louis Vuitton et un Prada, et de seconde main, ça pourrait être pire!” La jeune femme, qui milite par ailleurs pour une mode éthique et responsable, conserve ainsi une certaine fascination pour les maisons dont elle réinterprète les sacs et aimerait même pouvoir collaborer avec Hermès, Louis Vuitton ou Prada. Pour l’instant toutefois, Johanna Dumet ne démarche personne et choisit de vivre au jour le jour, profitant avant tout de ce qui s’offre à elle avec, toujours dans son viseur, la peinture.
L’exposition “Die Geile Ausstellung” de Johanna Dumet est visible du 15 mai au 12 juin 2021 à la Galerie Droste, Wuppertal. L’artiste présentera sa première exposition en France dans une galerie parisienne l’année prochaine.