6 sept 2020

Rencontre avec Lenny Kravitz, icône rock indétrônable

Rencontre et interview avec cet archétype de la rock star, sur qui le temps n’a aucune prise. Véritable homme-orchestre capable de jouer de tous les instruments, Lenny Kravitz revient avec “Raise Vibration”, un manifeste groovy et engagé, onzième album de sa carrière. Empreint de gospel et de chants amérindiens, en hommage à ses racines cherokees, cet opus vibrant et intime célèbre aussi des figures telles que Michael Jackson ou Johnny Cash.

Propos recueillis par Sophie Rosemont.

© Mathieu Bitton

Couronne de dreadlocks, blouson en cuir noir, verres fumés et pistaches à portée de main… en cette matinée parisienne grisâtre, Lenny Kravitz tient parfaitement son rôle de star. À 54 ans, n’ayant rien perdu de son sex-appeal, le musicien ne fait pas son âge, le sait, et semble doté d’une confiance en béton armé. Aussi solide que les compositions de son nouvel album, Raise Vibration, son meilleur depuis longtemps. Si l’atmosphère musicale reste rock’n’roll, ses douze morceaux témoignent d’un groove contagieux, où se croisent échos tribaux, influences funky, pop mâtinée de folk, gospel revisité… Un melting-pot risqué mais réussi, grâce au timbre reconnaissable entre mille de Kravitz, et d’un renouveau d’inspiration qui lui va plutôt bien, plongeant dans les racines de la culture afro-américaine. Ceux qui le pensaient encroûté dans un rock FM trop clinquant ont de quoi réviser leur jugement… Multiinstrumentiste et parolier accompli, Lenny Kravitz est aussi une bête de scène – comme il le prouve à chacune de ses tournées, moment de symbiose collective étonnant à voir et auquel il est impossible de résister. La plus récente démonstration parisienne, en juin à l’AccorHotels Arena, était bluffante de générosité : pas du genre à bouder ses tubes, n’économisant aucun solo ni effet scénique, voix sollicitée au maximum et reprises bien senties (Get Up, Stand Up de Bob Marley), il a offert une vraie leçon d’entertainment.

 

 

NUMÉRO : Votre dernier concert à Paris, en juin, était une véritable démonstration scénique, sans temps morts. Où puisez-vous votre énergie ?

LENNY KRAVITZ : Dans la musique. C’est ce qui me transporte. L’énergie du public aussi. J’ai la chance qu’il me montre un amour sans faille, depuis toujours. Peut-être parce que c’est ce dont parle ma musique, qui est très positive. Les gens viennent chercher un sentiment d’unité, de rassemblement. Même s’ils ne se connaissent pas en arrivant, ils se rapprochent le temps de mon concert.

 

Comment est né Raise Vibration ?

Très spontanément. Je n’avais aucune idée de ce que je devais faire : le style, les sujets, l’ambiance… J’étais juste ouvert à mon inspiration, quelle qu’elle soit. Non filtrée, brute. Elle m’est venue par des rêves. J’avais ces songes la nuit, des histoires fantastiques, oniriques, mais aussi plus concrètes concernant ma propre vie et le monde qui nous entoure. C’est ce qui donne un aspect très visuel à ces nouvelles chansons. Vu que sur le disque je jouais de tous les instruments, j’ai confié la production à mon guitariste de longue date, Craig Ross, et le résultat est incroyable. Nous avons enregistré dans mon studio aux Bahamas… en huis clos, sans autre distraction que la nature. C’est propice à la création…

 

Rassurez-nous, New York reste votre ville de prédilection ?

Absolument, mon cœur appartient à New York. C’est là que je suis né, que j’ai grandi, que j’ai façonné mon sens du rythme et des couleurs. Que j’ai appris sur les autres.

 

Un instrument vous a-t-il semblé plus crucial sur cet enregistrement ?

Les percussions, les congas en particulier, m’ont apporté beaucoup de plaisir. À mes débuts je jouais de tous les instruments car je n’avais pas les moyens de me payer les musiciens que je voulais, et finalement, c’est devenu un choix de convenance. Passer d’un instrument à un autre est fluide pour moi, presque thérapeutique.

 

 

“C’est difficile de ne pas se sentir concerné par ce qui se passe actuellement. Il y a dix ans, je n’aurais pas pu écrire cet album. Notre époque est vraiment sombre, perturbée, anxiogène. En 2018, des gens se font encore la guerre, le racisme et la misogynie existent encore.”

Avec des titres comme It’s Enough, qui s’insurge contre la violence subie par les Afro-Américains, peut-on parler d’album engagé ?

C’est difficile de ne pas se sentir concerné par ce qui se passe actuellement. Il y a dix ans, je n’aurais pas pu écrire cet album. Notre époque est vraiment sombre, perturbée, anxiogène. En 2018, des gens se font encore la guerre, le racisme et la misogynie existent encore, c’est insupportable. Pourtant, et je ne sais pas si c’est une qualité ou non, j’ai toujours été optimiste. Je pars du principe que l’homme peut changer. Cependant, il y a de plus en plus d’actions à envisager sur cette planète et on a de moins en moins de temps. Du point de vue de l’environnement notamment. Le moins que je puisse faire, c’est d’en parler, de réagir à ma manière, de sensibiliser ceux qui m’écoutent…

 

Avec des morceaux dépassant largement les quatre minutes, vous ignorez les formats pop. Une volonté de votre part ?

Oui. Les morceaux de Raise Vibration ne sont pas unidimensionnels comme tant de musiques d’aujourd’hui, ils prennent le temps qu’ils veulent. Ils n’ont pas été calibrés pour la radio, ni pour les auditeurs pressés. La technologie, c’est génial, mais le fait que certains n’écoutent que quarante secondes d’une chanson avant de passer à autre chose me semble incompatible avec la moindre idée de musicalité. D’ailleurs, Raise Vibration s’écoute avant tout sur un vinyle.

 

Dans le morceau Gold Dust, on entend clairement votre amour du gospel…

Cette musique fait partie de mes racines. J’ai grandi au son du gospel des années 50, que ma mère adorait. Il est d’une rare puissance sociale et d’une émotion que l’on n’a jamais retrouvées depuis. Et si je mixe gospel et rock’n’roll, c’est parce qu’il s’agit dans les deux cas de fédérer, d’être sincère.

 

Votre mère a beaucoup compté pour vous, du point de vue familial, mais aussi artistique…

Oui, elle écoutait du jazz, Aretha Franklin, Gladys Knight, Stevie Wonder, Curtis Mayfield – Superfly reste l’un de mes albums préférés au monde. Ma mère, c’était aussi la force de caractère, la loyauté, l’honneur, le dévouement. C’est grâce à elle, et à toutes celles qui ont contribué à mon éducation, comme ma tante ou ma marraine, que je suis sensible à la cause féministe.

 

Et votre père ?

Il m’a beaucoup apporté également, le goût du travail, l’humilité, la soif de découvrir d’autres sons…

 

 

“La richesse de mes origines, entre l’Europe, l’Amérique et l’Afrique, est un don du ciel. J’essaye de leur faire honneur, même si c’est une initiative souvent inconsciente lorsque je compose.”

© Mathieu Bitton

Pourquoi utiliser des chants amérindiens dans le titre Raise Vibration ?

Ces chants m’ont toujours touché, parce que l’histoire et la culture des Amérindiens sont intimement liés à celle des États-Unis. Là aussi, il s’agit de mes racines : mon arrière-grandmère était cherokee. La richesse de mes origines, entre l’Europe, l’Amérique et l’Afrique, est un don du ciel. J’essaye de leur faire honneur, même si c’est une initiative souvent inconsciente lorsque je compose.

 

Qui sont les artistes qui vous ont donné envie de monter sur scène ?

D’abord les Jackson 5 : mon premier concert quand j’avais 6 ans, à Union Square ! Mon père m’y avait emmené et j’ai été épaté. Le groove, la mélodie, la tendresse, un professionnalisme impressionnant. L’année suivante, j’allais avec ma mère voir James Brown à l’Apollo Theater. Là, c’était… explosif !

 

D’ailleurs, on entend Michael Jackson sur Low ! Pourquoi et comment ?

J’avais produit le morceau Another Day pour lui, qui apparaît sur un album paru après sa mort, pas très bon, hélas… Bref, j’ai retrouvé des prises de voix qui collaient parfaitement à Low, un morceau que j’aurais volontiers donné à Michael s’il était encore vivant. D’ailleurs, je n’ai pas utilisé son chant comme un sample, mais comme une véritable intervention.

 

Johnny Cash apparaît aussi sur votre album, mais de manière plus indirecte : son nom est le titre d’un morceau où vous évoquez le jour de la mort de votre mère…

Ce jour-là, en effet, il se trouve que j’ai croisé le couple formé par June Carter et Johnny Cash dans la maison de Rick Rubin [célèbre producteur de Johnny Cash, des Beastie Boys, des Red Hot Chili Peppers, d’Adele, etc.], à Los Angeles. Encore sous le choc, je leur ai annoncé la nouvelle, car je ne savais pas à qui d’autre le dire à ce moment-là, j’étais seul. Et il y a eu cet instant surréaliste où ils m’ont pris dans leurs bras pour me réconforter. Ce que j’ai alors ressenti, c’est ce que je raconte dans cette chanson.

 

 

“J’ai appris de mes nombreuses erreurs, qui m’ont mené là où je suis. J’ai changé dans le bon sens, je suis serein. La musique m’a permis de traverser des périodes éprouvantes, de me relever après des chagrins, des désillusions.”

Si vous deviez choisir une période à laquelle vous auriez aimé vivre ?

J’aurais adoré avoir 20 ans dans les années 60. Je pense que je me serais vraiment beaucoup amusé en expérimentant ce qui a changé la société à cette époque : la musique, l’art, la société… la politique peut-être.

 

Votre premier album Let Love Rule fêtera ses 30 ans en 2019. Quel regard portez-vous sur votre parcours, sur votre réussite ?

Celui d’un homme chanceux qui n’a pas vu les années passer. À l’époque, le simple fait de publier un disque, c’était déjà énorme ! Jamais je n’aurais imaginé durer aussi longtemps. Je le voulais certainement, mais sans le formuler. Depuis, tout s’est enchaîné, sans réelle stratégie, et ça m’a porté bonheur. Même si rien n’est parfait. Aujourd’hui, je n’ai plus le même âge, mais ça ne me fait pas peur, c’est le cours de la vie…

 

Avez-vous des regrets ?

Aucun. J’ai appris de mes nombreuses erreurs, qui m’ont mené là où je suis, et je me sens heureux. J’ai changé, dans le bon sens je crois, je suis serein. La musique m’a permis de traverser des périodes éprouvantes, de me relever après des chagrins, des désillusions. Elle m’a aussi permis de vivre des moments exceptionnellement bénéfiques.

 

De quoi êtes-vous le plus fier ?

De ma fille Zoë. Elle est jolie, gentille, talentueuse, c’est une belle personne. Même si elle n’était pas ma fille, je voudrais être son ami !

 

Un mantra ?

Let Love Rule, encore et toujours. L’amour, c’est notre principale force sur terre, elle seule nous apportera la paix et le bonheur.

 

 

Raise Vibration de Lenny Kravitz (BMG), désormais disponible.