An encounter with Christian Marclay, at the Celine runway show and at the Tate Modern
Dans son premier défilé pour la maison Celine, Hedi Slimane rendait un hommage marqué à l’artiste suisse-américain Christian Marclay en revisitant et transposant certaines de ses œuvres dans la collection (imprimées sur les sacs et pochettes, broderie sur les robes coutures, kimonos). Au même moment, Christian Marclay s’emparait de la Tate Modern avec sa pièce phare The Clock, montrée pour la première fois à Londres en 2010, avant de remporter le Lion d’Or à la Biennale de Venise l’année suivante. L’installation vidéo de 24 heures est composée de passages de milliers de films faisant référence au temps, et montés pour donner l’heure en temps réel. Le résultat est aussi captivant que poétique.
Propos recueillis par Maïa Morgensztern.
Numéro : Cela vous a pris trois ans et une armée d’assistants pour créer The Clock. Comment avez-vous vécu l’expérience ?
Christian Marclay : Le processus a été long et difficile. Nous avons visionné des milliers de films, dont les passages montrant ou donnant l’heure ont été extraits puis rangés par horaire dans un ordinateur. Il a ensuite fallu trouver des connections entre ces scènes qui étaient totalement déconnectées pour les monter ensemble. À chaque fois que l’on tissait un lien intéressant, il y avait cette montée d’adrénaline et une excitation palpable dans le studio. Puis il fallait à nouveau tout recommencer pour la section suivante. Ce sont ces petits moments de satisfactions chroniques qui nous ont fait tenir, quand une section semblait raconter une histoire que nous avions totalement inventée. C’était un vrai défi et j’ai parfois cru que je n’en verrai jamais le bout.
Il n’y a aucune résolution dans la narration, ce qui peut être frustrant. Pourtant The Clock a fait le tour du monde, souvent à guichet fermé. Comment expliquer l'engouement pour cette oeuvre ?
C’est vrai que le spectateur n’a aucun moyen de savoir ce qui va suivre, ni d’anticiper l’action. Pour lui, c’est peut être frustrant ! J’étais d’ailleurs surpris du temps que les gens passent devant l’oeuvre. Certains se sont imposés un vrai marathon, se retenant de manger ou dormir. Idéalement, je préférerai que le gens reviennent dans la salle, plutôt que d’essayer d’en voir le maximum d’un coup. Beaucoup d’œuvres d’art demandent plusieurs visites pour se révéler, et ce sont celles, à mon sens, qui méritent le plus notre attention. Il n’y a pas de mystère dans The Clock, mais chacun en ressort avec une expérience différente, qu’il ou elle soit cinéphile ou simple badaud. Chaque visite est une surprise.
Au final, les scènes les plus difficiles à monter sont celles qui seront les moins vues, entre une heure et cinq heures du matin. La plupart des gens ne verront jamais le film en entier, tout comme vous, qui ne l’avez pas revu dans son intégralité depuis le montage…
J’aurais voulu que l’œuvre soit visible pendant 24 heures, mais la logistique et les coûts associés étaient vraiment rédhibitoires. Il y a plusieurs nocturnes à la Tate Modern, ce qui est déjà pas mal ! Il était évidemment hors de question de diffuser le montage des heures creuses à un autre horaire. L’oeuvre doit être vue en temps réel. Cela n’est pas un caprice technique, mais parce que les scènes racontent des histoires différentes en fonction de l’heure, comme dans la vraie vie. La nuit, on trouve beaucoup de scènes de rêverie ou de fantasme. Le spectateur doit lui aussi être fatigué et lutter pour ne pas s’endormir. Il peut sombrer et se réveiller en pleine scène de cauchemar par exemple, ou bailler aux corneilles et s’endormir avec un acteur qui fait de même à l’écran. Il se crée un véritable lien entre l’oeuvre et le spectateur, un peu comme une communion… ce qui ne serait pas possible avec la même scène à dix heures du matin.
Après avoir visionné autant de films, vous confirmez que minuit est l’heure du crime ?
C’est en tout cas le passage que j’ai le plus vu ! Je me suis servi de minuit comme point de référence pour caler le son, car c’est en effet l’horaire où il se passe le plus de choses folles. J’ai vu des scènes très différentes étalées sur cent ans de cinéma, toutes extrêmement riches. Montrer minuit est un acte cinématographique fort en soi. C’est cette atmosphère étrange que j’essaie de retransmettre à travers The Clock. C’est d’ailleurs pour cela que je ne prête jamais l’oeuvre, même à des chercheurs. Elle n’a de sens que dans le contexte d’une installation complète. Pour la voir, il faut se rendre à la Tate Modern, au Centre Pompidou ou à l’Israel Museum de Jérusalem, qui ont acheté conjointement une copie. Je suis conscient de limiter la diffusion de mon travail, mais c’est un peu comme un Rubik's Cube… tout est lié, cela n’a aucun intérêt de n’en avoir qu’un bout !
The Clock de Christian Marclay est à la Tate Modern jusqu’au 20 janvier 2019. Nocturne les 6 octobre et 3 novembre 2018.