Le designer Germans Ermičs métamorphose les objets en couchers de soleil et en océans infinis
La galerie Maria Wettergren dévoile à Paris une exposition collective signée du designer russe Boris Berlin, qui entremêle ses propres œuvres avec celles de son fils Daniel Berlin et celles du Letton Germans Ermičs. Ce jeune créateur né en 1985 et déjà multi-récompensé explore les effets de la couleur et de la lumière pour transformer tables et chaises en œuvres éthérées.
Par Thibaut Wychowanok.
Sunburst, la chaise en verre sculpturale de Germans Ermičs, se présente à la galerie Wettergren comme un trône flamboyant sous les rayons d’un coucher de soleil. Tout y est en tension entre deux pôles opposés : d’un côté, la fragilité du verre et de ses trois panneaux obliques s’élançant vers le ciel, comme prêts à se disloquer les uns des autres, et, de l’autre, la stabilité de l’assise, resserrée à sa base, créant un lieu solide, intimiste, protecteur. Le dialogue entre la couleur et la forme de la chaise vient renforcer cet étrange et délicat équilibre : l’éclat sombre, rouge et orangé du verre s’élance du sol pour s’éclaircir progressivement – rendre plus légère la matière, plus éthérée la forme de l’objet. L’ensemble crée une ouverture vers le ciel, un appel au spirituel, invité à s’engouffrer au sein du trône pour y prendre place.
La filiation de Germans Ermičs avec le mouvement artistique minimaliste californien Light & Space est clairement revendiquée, Larry Bell et James Turrell en tête. On y retrouve l’usage que ces artistes des années 60 faisaient de matériaux industriels simples, libérant les objets de leur fonction pour revenir à l’essence de la forme et à la noblesse de la matière. Seule la matière demeure, et son rapport et à l’espace, au vide et à la lumière. “J’ai toujours voulu créer une lumière semblable à celle que nous voyons dans nos rêves, expliquait James Turrell. Reproduire la manière dont la lumière filtre à travers nos songes, colore l’atmosphère ou révèle l’aura d’une personne. Ce n’est pas une lumière que nous voyons dans nos vies quotidiennes, mais nous la connaissons tous. Il ne s’agit pas d’un territoire inconnu. Cette lumière est très spéciale parce qu’elle nous rappelle un ailleurs, un lieu que nous connaissons déjà”. De la même manière, chez le jeune designer letton, l’exploration des matériaux et de la couleur vise, là encore, à changer la manière dont nous percevons les objets et l’espace. Pour l’exposition à la galerie Wettergren, Germans Ermičs a ainsi réalisé avec Boris Berlin une véritable table illusionniste. Composée à la fois de miroir et d’un verre noir, Black Mirror semble s’évanouir dans son propre reflet. Elle forme un océan infini nous plongeant dans les abîmes de la mer, ou dans un trou noir spatial aspirant le regard, à la fois plein et vide.
Chacun des trois artistes de l’exposition offre aussi sa version d’un objet. Table d’appoint ou tabouret, tous ont en commun leur taille et leur forme cylindrique. Loin des formes éthérées précédentes, Germans Ermičs a choisi de le travailler avec la sensualité du marbre. Dans son œuvre Pele de Tigre (Signature Object), il choisit de se servir des veines de marbre. Alors qu’elles sont habituellement polies, Ermičs au contraire a développé une nouvelle technique pour faire ressortir cette texture sauvage du matériau, veineuse et sensuelle, comme pour le libérer d’une histoire de l’art et de l’architecture qui – justement – n’a cessé de le polir. La ressemblance avec les colonnes des temples et des palais italiens ne doit rien au hasard. C’est sans doute tout l’objet de l’exposition : assumer les emprunts à l’histoire du design et de l’art (du modernisme au classicisme) tout en s’amusant à les disloquer subtilement par des couleurs plus chaudes, des matières moins pures et veineuses ou par la disparition de l’objet lui-même dans un trou noir obsédant.
Modernism Crystallized, galerie Maria Wettergren, jusqu’au 11 septembre 2021.